Après la publication vendredi des « excellents résultats » financiers de Sanofi en 2020 et suite à l’annonce d’une hausse des dividendes accordés aux actionnaires, les syndicats du groupe pharmaceutique ont dénoncé les futures suppressions de postes et l’absence de hausse générale des salaires. Loïk Le Floch-Prigent revient sur les spécificités de Sanofi.
On comprend bien le mécanisme qui a conduit le Conseil d’Administration de Sanofi à se réjouir des bons résultats financiers, à augmenter en conséquence le dividende versé aux actionnaires et à confirmer la baisse d’effectifs dans l’activité de recherche : il fallait bien rassurer les « marchés » sur la poursuite d’activités d’un groupe mondial en prises avec un échec, celui de la mise à disposition d’un vaccin pour la Covid, la pandémie qui fragilise toute la planète. La fourniture immédiate par la concurrence de deux vaccins ARN messager et d’un autre adénovirus sans parler du vaccin russe démontre le retard pris par la première compagnie mondiale de vaccins, celle qui a fait fructifier les travaux de Pasteur et Mérieux. Le but était donc d’éviter que le titre « dévisse » en Bourse ! (Comme on a vendu une entreprise avec une belle plus-value le résultat net a bondi de 340%)
Malheureusement la Covid a depuis un an mis le doigt sur ce qui allait mal dans la société française, en particulier sur un système bureaucratique incapable de réagir hors des corps de doctrine habituels. Pour éviter cette critique frontale on cherche aussi ailleurs des coupables et les commentateurs ont rapidement désigné les mauvais industriels qui avaient choisi de délocaliser la fabrication de masques, de respirateurs, de produits pharmaceutiques et surtout des principes actifs : on a beau montrer comment taxes, normes et règlementations ont fragilisé durablement notre appareil productif on sent bien que les anticapitalistes, les apôtres de la décroissance, le monde de l’anti science et de l’anti industrie sont prêts à enfourcher la moindre maladresse du secteur pharmaceutique.
C’est certainement l’entre soi qui a conduit un Conseil à ne pas voir les signaux forts de la société française pour demander à notre industrie pharmaceutique nationale de ne pas l’abandonner et de tout faire pour qu’elle puisse revenir très vite à un fonctionnement social acceptable. Ce n’était pas le moment de montrer que seuls les actionnaires devaient être pris en compte, en ignorant le pays d’origine de la firme mondialisée, la France, et son personnel de scientifiques et d’industriels nationaux. Ces annonces confortent, et c’est plus que maladroit, une grande partie de la population française dans l’idée que l’industrie ne pense qu’à l’argent, ni au peuple, ni au personnel. Malgré la présence de représentants des salariés au Conseil, on ne croule pas sous la compétence médicale et pharmaceutique dans cette enceinte, et la conduite a été dictée uniquement par des considérations financières (ce problème de compétence technique dans les CA des entreprises du CAC 40 n’est pas spécifique à Sanofi, c’est, hélas, très fréquent). Tout est ouvert désormais pour parler nationalisations, réquisitions… alors qu’il était de l’intérêt du secteur pharmaceutique, de l’industrie tout entière, de montrer à cette occasion un sens des responsabilités des dirigeants d’une entreprise créée et développée par la nation : malgré les difficultés on allait trouver des solutions avec les confrères pour vacciner rapidement l’intégralité de la population, on allait développer les activités de recherche en France, et on allait alimenter un grand nombre de chercheurs à l’intérieur de la société et aussi dans les start-ups et les laboratoires publics. Les biotechs françaises n’arrêtent pas de crier qu’elles ne trouvent pas d’argent, elles trouvent une oreille attentive en Grande-Bretagne ou aux USA, nos ingénieurs se font recruter dans tous les pays du monde… et Sanofi trouve 2,5 milliards de dollars en Janvier 2020 pour racheter une biotech californienne Synthorx cotée 322 millions, peut-être à juste titre, mais tout cela fait désordre. Dès ce mois-là, BioNtech, Moderna et Curevac travaillent sur le vaccin ARN messager, Sanofi a été en relations avec eux, néglige cette voie et y travaillera seulement en Juin 2020 avec une Biotech de Boston, Translate Bio, trop peu, trop tard.
Car Sanofi a concentré une grande part de la pharmacie française à partir d’une initiative publique, Pierre Guillaumat, Président d’ELF engage une diversification en désignant deux de ses collaborateurs et en leur ouvrant les crédits pour racheter et agglomérer. Lorsque Jean-François Dehecq, un des deux fondateurs historiques, quitte Sanofi en 2010 c’est une multi nationale de 100 000 personnes à travers le monde dans les premières de la Big Pharma mondiale ! Désormais détachée des actionnaires publics on peut comprendre qu’elle ne suive aucune directive publique, mais il faut alors ne pas se tromper sur la perception des acteurs principaux, les français qui voient dans Sanofi leur champion national et le personnel qui doit garder sa motivation et sa mobilisation. Il faut aussi prendre en compte l’effort des industriels pour redresser l’image vis-à-vis de la population française de leur métier en s’impliquant plus dans la vie sociale, environnementale, dans le développement durable, dans la formation professionnelle… pour comprendre la déception en lisant les commentaires sur Sanofi et l’amalgame immédiat avec l’ensemble de la profession.
Il est clair que comme l’ont dit beaucoup d’industriels « le patron c’est le client », c’est à dire que ce sont les commandes qui font l’activité et dans la pharmacie c’est l’ensemble de la population qui a été, est ou sera malade. En l’occurrence la pharmacie est une économie administrée avec comme client l’Etat ou le contribuable-Sécurité Sociale-. La sensibilité des Français à l’égard de « leur » industrie des médicaments et des vaccins est très forte, combien de fois a-t-on entendu « on attend le vaccin de Pasteur « au cours de ces derniers mois. Le fonctionnement privé (et néanmoins au service de la population) est fondamental pour faire comprendre que c’est là que réside l’efficacité. L’investissement de l’épargne française dans l’industrie est insuffisant et tous les efforts des chefs d’entreprise d’aujourd’hui conduisent à faire comprendre comment cela fonctionne à la fois pour développer les productions et satisfaire personnel et acheteurs. Nous avons beaucoup progressé ces dernières années dans les relations humaines avec une meilleure compréhension au sein des entreprises des raisons des transformations menant à une gestion des difficultés nécessitant les efforts de chacun. Cette évolution est bonne pour les entreprises et bonne pour le pays tout entier qui doit impérativement se redresser en augmentant la compétitivité et la dimension de son activité industrielle. L’affreux « capitalisme « c’est aussi la prospérité collective si l’on arrête de prendre des postures et de caricaturer les rôles.
« En même temps » vouloir caresser la Bourse, diminuer la recherche, et atténuer ou taire ses échecs, (dont celui, majeur dans les vaccins avec la vente des vaccins vétérinaires Mérial en 2016, erreur stratégique) cela peut marcher dans le microcosme « entre soi », mais il faut désormais, avec l’ensemble des industriels français, affronter personnel et population qui demandent aux producteurs de richesses de réussir en annonçant de bons résultats, bien sûr, mais aussi en montrant que c’est bien l’intérêt des salariés et du pays.