Qui seront les acteurs de la réindustrialisation ?

On peut se satisfaire du diagnostic porté par ceux qui briguent désormais la charge suprême, le pays s’est désindustrialisé gravement, surtout ces cinq dernières années ! Cela réconforte ! Chacun décrit néanmoins comment, lui, a mieux compris que les autres ce qui aurait dû être fait et même ce qu’il a fait dans telle ou telle circonstance. Une bonne lecture de la réalité d’aujourd’hui aurait sans doute conduit à rayer ces mots d’autosatisfaction, mais on ne peut pas en vouloir à des personnes qui cherchent à se faire élire et à présenter d’eux la meilleure image, après tout c’est aux journalistes et aux électeurs d’avoir de la mémoire.

La réindustrialisation du pays va nécessiter beaucoup d’efforts mais elle va d’abord reposer sur des acteurs essentiels, les industriels eux-mêmes, c’est-à-dire les producteurs que rien ni personne n’a pu encore décourager. Ces aventuriers existent toujours et ce sont eux qu’il convient de soutenir pour qu’ils résistent d’abord et qu’ils se développent ensuite. Si, déjà, on ne change pas sans arrêt les normes et règlements et si on les applique sans hostilité, on fait un grand pas en avant. Mais cela ne suffit pas, bien sûr, car la croissance est un impératif absolu et nécessite des investissements et des financements, et c’est là que se situe notre faiblesse historique.

Après avoir fait un petit tour de France et avoir rencontré un grand nombre d’acteurs économiques, je pense que les initiatives sont nombreuses, un peu désordonnées, et largement inefficaces. Les pôles, les clusters et les incubateurs se multiplient, ainsi que les maitres-soigneurs tous azimuts de notre appareil industriel, chacun se sentant investi de sa potion et souhaitant briller au moment du succès, c’est donc d’abord de la communication, pas de l’industrie. La chasse à la subvention ou au prix peut être utile dans un petit nombre de cas, mais elle ne résout pas le problème de milliers d’industriels qui rament tous les jours et n’ont pas le temps ni le gout à remplir des dossiers en plus de ceux qu’exigent les contrôleurs classiques. Ces « bonnes fées » qui s’agitent dans tous les sens ne font pas partie de la solution, mais on sent confusément qu’ils sont une partie du problème, c’est-à-dire que des personnes en situation de pouvoir croient pouvoir juger de la pertinence (ou non) d’une stratégie ou d’un développement. On organise une foire aux vins et l’un des vignerons gagne la médaille d’or ! Avons-nous pour autant traité le problème du développement du vignoble ? Non, c’est évident.

Je vous propose donc de réfléchir à un autre type d’acteurs qui est le complément du chef d’entreprise, le banquier régional. C’est lui qui est aux premières loges dans le boom industriel des allemands, c’est lui que l’on retrouve dans l’essor du Nord de l’Italie, et c’est encore lui qui est derrière certains industriels espagnols, flamands ou néerlandais. Son raisonnement est clair, il a des clients, il les fidélise, les aide à se développer et ainsi il pérennise son entreprise à lui. Un déplacement dans n’importe quelle région du pays vous fera découvrir le turn-over insensé des grandes banques nationales « globales », la dépersonnalisation accélérée des agences multiples qui inondent les centres-villes et l’inaptitude de tous les agents à accompagner un risque quel qu’il soit. Or, l’industrie c’est le risque, il n’y a pas de certitude et aucun dossier ne peut venir à votre secours, on croit ou on ne croit pas à la « vista » du chef d’entreprise, il n’y a pas de recette, de « ratio », de protection, tout est dans la tête de l’interlocuteur et dans la confiance. C’est de longues habitudes de travail en commun qui permettent de saisir les risques réels et les potentialités d’un projet. Le « délégué local, départemental ou régional » n’ayant pas le droit de décider envoie le chef d’entreprise à l’étage au-dessus, il ne connait pas les codes, il est impressionné, il ne comprend pas la langue, et c’est la catastrophe ! L’un a rencontré un plouc, et l’autre a été humilié. Je pense que bon nombre d’individus se reconnaitront dans ces descriptions.

Ce sont donc aujourd’hui les hommes de terrain dans les banques régionales qui représentent une partie importante de l’espoir de faire revivre notre appareil industriel. Pour en avoir rencontré un grand nombre ces derniers mois, je peux dire que j’ai été impressionné par leur connaissance intime du tissu industriel et des acteurs, de leurs egos comme de leur aptitude à coopérer ou non. Il ne s’agit donc pas  d’aller « inventer » de nouveaux acteurs, de nommer de jeunes et talentueux fonctionnaires pour sélectionner et contrôler, il faut s’appuyer sur les responsables actuels des crédits agricoles, crédits mutuels, caisses d’épargne, banques populaires…ceux qui ont acquis une expérience, un savoir-faire, ceux qui ont désormais la confiance des chefs d’entreprises qui ont pris l’habitude de se confier à eux, et qui savent comment il faudrait faire pour accroitre la production, bâtir des solidarités, internationaliser les entreprises… Il n’y a jamais eu d’histoire industrielle sans la présence et le dévouement de ces acteurs essentiels et nous avons la chance de les avoir dans chacun de nos territoires, agglomérations, départements, régions.

Mais encore faut-il leur donner la liberté de risquer dans l’industrie une partie des avoirs dont ils assurent la gestion. Depuis des années, mais surtout 2008 on leur rogne les ailes, on les met en tutelle, on les empêche de faire vivre le tissu économique régional, les uns disent que c’est la Banque centrale Européenne, les autres le Ministère des Finances français, enfin on accuse les sièges centraux, mais le résultat est là, par rapport à leurs homologues allemands, italiens, espagnols, flamands, nos banquiers régionaux sont bridés et c’est ce verrou qu’il faut faire sauter en priorité. Cela nécessite-t-il un changement à Francfort, Bercy ou Paris ? En tous les cas il faut retrouver une autonomie des échelons locaux des établissements régionaux. Certains ont pu trouver des « accommodements raisonnables », d’autres ruent dans les brancards et sont prêts à jeter l’éponge, tous ont le sentiment qu’ils pourraient faire beaucoup mieux si on les laissait prendre les décisions qui conviennent pour assurer le développement régional des entreprises dont ils sont les banquiers. Les banques des « Landers » allemandes échappent en grande partie aux contrôles tatillons, cela ne réussit pas si mal que ça, qu’est ce qui nous empêche d’en faire autant ? Devrions-nous attendre un changement de Constitution et un Etat Fédéral, ou pouvons-nous, pour une fois essayer d’appliquer dans notre intérêt national les règles européennes. Et cela peut se faire tout de suite, ce n’est pas la peine d’attendre le mois de Mai !

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