L’annonce de barils fournis à prix négatifs aux USA a semé le trouble dans toutes les rédactions mondiales et malgré le coronavirus le pétrole est redevenu un objet de convoitise.
Que s’est -il passé ? C’est assez simple, la consommation de pétrole a chuté de 30%, les stockages sont très pleins, et les oléoducs aussi. Dans le cas qui a embrasé le monde, c’est plutôt, semble-t-il, le transport du liquide qui était saturé , les stockages étant à 90 % pleins, ce qui est de toute façon énorme. Les contrats de Mai étaient échus le jour du 20 Avril, les pénalités étaient lourdes. Plutôt que de les payer les propriétaires ont préféré vendre leurs barils restant à prix négatifs( ils ont donné de l’argent en plus du pétrole aux acheteurs), c’est un évènement, cela ne signifie pas la fin du monde pétrolier, pas plus aux USA que sur le reste de la planète, et le baril a repris pour les contrats de Juin son prix d’avant, pas merveilleux pour les vendeurs, autour de 20 dollars. C’est donc ce sujet, un baril très bas, qui est intéressant à commenter pour l’avenir et non l’accident de la veille.
La chute de la consommation n’a pas fait baisser la production et la guerre entamée par l’Arabie Saoudite contre le pétrole non conventionnel produit aux USA a donc repris. Dans un premier temps cette guerre avait été perdue car les pays arabes tablaient sur un cout pour les producteurs américains de 70 dollars au dessous duquel ils devaient perdre de d’argent . C’était sans compter sur les progrès techniques et lorsque les producteurs ont continué à produire à 40 dollars le baril , l’Arabie Saoudite a « calé » et le baril est remonté autour de 6O dollars ce qui satisfaisait tout le monde. La crise du coronavirus a , dans un premier temps, conduit l’Arabie Saoudite à tenter un accord avec la Russie pour faire baisser leurs deux productions qui entraineraient toutes les autres, ils représentent à eux deux plus de 20% de la production mondiale , mais beaucoup plus en potentiel, et surtout une production à cout très modéré. L’échec de cette négociation (car débouchant sur une baisse de production peu significative) a entrainé une guerre des prix, un maintien de la production des uns et des autres et l’écrasement à 20 dollars le baril.
La partie économique est simple, les « grands » pays producteurs peuvent tenir, les plus petits sont terrassés, les compagnies privées, minoritaires en production, ont coupé dans leurs investissements pour ne pas effrayer leurs actionnaires. Ceux qui souffrent immédiatement sont les petites ou moyennes compagnies spécialisées aux USA dans le « shale oil », une soixantaine, qui sont très endettées et ne vont pas pouvoir honorer leurs remboursements aux banques . L’une d’entre elles vient de se mettre en « chapter eleven » (protection contre la faillite), d’autres suivront , les productions vont se maintenir pendant quelques mois , les puits les plus prometteurs vont être repris par les majors , ce sont les banques qui seront pénalisées, mais le montant global ne va pas les mettre en grande difficulté. À 20 dollars le baril la production de pétrole américain peut donc rester à un niveau élevé, et les tentatives de « tuer » à court terme l’industrie américaine du « shale oil » risquent encore une fois de ne pas marcher, les couts d’exploitation étant de l’ordre de 20 dollars le baril, c’est l’investissement de forage, objet des prêts des banques ,correspondant à 15 dollars le baril qui pèse sur les comptes et sur les banques. Si la consommation repart dans les six mois, on peut donc avoir un secteur shale oil qui a changé de propriétaires, des banquiers qui ont perdu quelques milliards , et un baril qui remonte à mesure que les stockages se vident.
C’est la partie politique qui est la plus difficile à prévoir car elle a sombré depuis des années dans l’irrationnel et dans des bagarres d’egos. On peut parler des USA, de L’Arabie Saoudite et de la Russie, mais il vaut mieux pour imaginer l’avenir parler de Trump et ses élections américaines, de MBS et de Poutine. Pour gagner les élections Trump a besoin de ne pas se mettre à dos le secteur pétrolier américain, MBS a besoin de nourrir un peuple de fainéants et du soutien des USA contre l’Iran, Poutine veut retrouver une place dans le concert des nations qui se limiterait à un duel USA/Chine. Chacun a besoin des deux autres pour gagner et montre ses muscles.
Le grand absent de cette lutte indécise est l’Europe, mais comment expliquer à des peuples obsédés par l’après pétrole que 85% de l’énergie fournie dans le monde est d’origine fossile-charbon pétrole-gaz, que le pétrole est utilisé à 20% dans l’industrie mondiale, que la première transformation à assurer est celle de la limitation du charbon et en premier lieu l’abandon de son utilisation domestique, que la plupart des pays du monde est sans eau ni électricité et en conséquence recherche une énergie abondante et bon marché, comment expliquer que le monde ne rêve pas de bateaux à voile, d’avions solaires et de voitures électriques, qu’ils ont pris l’habitude de faire fabriquer les produits qui les gênent ailleurs, mais qu’ils leur sont indispensables, bref que nous ne sommes ni dans l’ère post-industrielle ni dans l’ère de la disparition des énergies d’origine fossile. Ils ont fini par intérioriser que cette géopolitique du pétrole était le monde d’hier et s’y intéressent modérément, trouvant d’ailleurs dans les querelles d’egos la justification de leur mépris à l’égard du monde d’hier.
Ce qui est arrivé cette semaine pourrait être pour les peuples européens sinon leurs dirigeants un rappel aux réalités car, tandis que nous dansons autour du volcan, le pays consommateur de fossiles à prix cassés et vendeur de matériel indispensable à tous les autres , c’est encore la Chine.