Pas de paroles des actes

L’industrie : l’absente du Grand Débat
N’en déplaise à tous ceux qui souhaitent revenir aux temps anciens paradisiaques, nos sociétés fonctionnent avec des produits industriels, c’est-à-dire de la matière transformée nous permettant tout simplement de vivre en étant des milliards sur terre. Il y a une industrie agricole, celle des matériels et des intrants, une industrie alimentaire, une industrie textile et d’habillement, une industrie du bâtiment, une industrie des mobilités – terre, mer et ciel- et ainsi de suite. L’industriel investit et réalise puis vend et réinvestit pour continuer à exister. Il peut lui arriver de parler, mais ce n’est pas là l’essentiel, il peut même lui arriver de ne pas être un bon orateur, d’avoir du mal à expliquer sa réussite, mais qu’importe car les faits sont têtus, et c’est son succès qui parle pour lui.
Ce n’est donc pas un « intellectuel »
Car en politique comme dans les médias celui qui s’explique mal ou n’a pas le sens de la répartie, celui qui résiste au bon mot et au buzz est balayé, et vite transformé en idiot congénital inapte à toute relation sociale de qualité. Les deux mondes doivent donc se côtoyer sans vraiment pouvoir s’apprécier mais lorsque le succès a mené à la richesse, le monde de la parole finit par se prosterner devant l’autre, quoique toujours prêt à dégainer au moindre accroc.
C’est dans ce monde fragile où nous vivons depuis les débuts de l’ère industrielle. Notre pays, la France, est certainement celui qui se réjouit le plus à chaque chute de puissant ayant accumulé un trésor réel ou imaginaire. Dans ce pays de jaloux, le succès est dangereux et il faudrait le cacher, tandis que l’on sollicite aussi les talents industriels pour qu’ils communiquent avec le grand public. Il faut montrer ses ailes pour qu’on puisse mieux les bruler. Car lorsque s’abat la guillotine médiatique rien ne résiste , les résultats sont oubliés , alors que l’essentiel de l’œuvre avait été de faire et pas d’en parler .
Vouloir réfléchir à ce qui arrive aux tentatives de désenclavement du secteur de production dans un monde globalisé est très difficile puisque ceux qui vont juger de la parole ou des écrits ne veulent prendre aucun recul, ne veulent engager aucun bilan de l’action. Ils savent d’autant plus qu’ils ne font jamais rien, ils jugent facilement puisque le propos est plus important que la réalité.
Cependant les affaires récentes Nissan-Renault, Lafarge-Holcim, Alstom-General Electric-Siemens, Rhodia-Solvay, Essilor-Luxottica, Technip-FMC, Mérial -Boehringer, Alcatel-Nokia, Air France-KLM Chantiers de l’Atlantique-Ficantieri … Ont toutes un point commun, les paroles ont été brillantes mais les faits les ont démenties ! Il suffit pour les prédateurs de déclarer que la France est un pays merveilleux et que des Français vont maintenir le drapeau sur les installations nationales en y faisant croitre les emplois pour qu’un tonnerre d’applaudissements issus de tous les politiques et commentateurs submergent toute tentative de prendre un peu de distance. Le pire c’est que, quand l’industriel étranger a mis à sac le savoir-faire de notre pays, il se fait encore applaudir car il peut déclarer que la marchandise achetée était de mauvaise qualité. La presse américaine s’interroge sur la débâcle de General Electric, sur la présentation de ses comptes qui voudraient que ses difficultés proviennent de l’achat d’Alstom. Chez nous, sans discussion, nous nous réjouissons de nous en être débarrassés à bon compte ! C’est aussi le cas pour Lafarge honteusement méprisée aujourd’hui et définitivement installée en Suisse malgré tous les articles célébrant le mariage entre égaux dans la présentation d’origine. Les paroles sont donc toujours brillantes et nous promettent un avenir radieux tandis que la réalité qui suit est calamiteuse et entretient l’idée que les industriels sont tous des salauds qui ne pensent qu’à se remplir les poches en cédant à bon compte notre outil industriel. On reconnait là l’addition d’une idéologie politique qui réclame un changement de société avec la disparition de l’industrie dévastatrice et de l’expression de défaitistes congénitaux et méprisants.
Vouloir conserver un leadership à partir de la France sur l’ensemble des secteurs industriels est un leurre, c’est indiscutable, et le présent comme l’avenir vont nous apprendre à modérer nos ambitions. Mais céder des activités d’excellence mondiale est visiblement une erreur car ceci conduit à la disparition des compétences, des emplois et à une perte de souveraineté. Dans la situation actuelle du pays on aurait pu penser que ce sujet méritait attention, la disparition progressive de l’industrie nationale étant la cause essentielle des « revendications ».
La résistance de l’industrie française c’est d’abord celle des familles détentrices de la majorité dans des entreprises phares qui ont voulu garder leur implantation nationale :Michelin, Dassault, Air Liquide, Bouygues, Capgemini, Danone, L’Oréal, Peugeot…et un grand nombre d’entreprises performantes régionales Mérieux, Bénéteau, Plastic Omnium ,Fleury-Michon… car très souvent le jeu capitaliste mal digéré et l’accélération de la mondialisation ont fait perdre la tête aux experts financiers recherchant les fusions acquisitions pour augmenter la « valeur » avec des ventes d’actifs pour « se recentrer sur son cœur de métier » suivies de ventes tout court pour « avoir la taille critique » et …sauver les emplois ! Il nous reste encore, et heureusement quelques autres grandes entreprises qui se sont maintenues mais si nous ne prenons pas conscience de leur fragilité nous ne pourrons pas les maintenir lorsque les difficultés arriveront, et l’on refera pour elles ce qui est arrivé pour les précédentes.
Une façon de réussir la mondialisation de nos entreprises est de réaliser les acquisitions en temps et en heure pour ne pas se retrouver en situation d’infériorité, c’est ce que font bon nombre des entreprises françaises. Mais lorsque les capitaux disponibles sont insuffisants, avant de se mettre en position d’être balayés, on peut tenter des rapprochements et c’est ce qui a été imaginé pour Airbus qui est jusqu’à présent un succès européen. Il s’agit d’une seule entreprise avec une gestion franco-allemande. Il n’y a qu’une tête et il y a une coopération culturelle européenne dont le produit, l’avion ou l’hélicoptère, est le ciment. C’est original, risqué, mais cela a marché. Faut-il en faire un modèle ? Ce serait prendre un risque inutile de le croire, mais ceux qui parlent sans faire peuvent continuer à en parler.
Une autre façon de raisonner a été d’essayer de grossir par addition des cultures, c’est ce qui a été tenté avec Renault-Nissan et Air France-KLM. Le mot d’ordre était le maintien du caractère original de chaque entreprise en résistant à la concurrence par l’accomplissement des synergies. On baisse les couts en multipliant les standards communs mais sans faire disparaitre les personnalités des composantes. C’est ce paradigme original que Carlos Ghosn a réussi à faire marcher qui a inspiré ceux qui ont voulu suivre cette voie, c’était l’idée d’Alstom-Siemens à la place de la calamiteuse vente d’Alstom-Energie à General Electric, de Essilor-Luxoticca, c’était l’idée des rapprochements Chantiers de l’Atlantique -Ficantieri, Technip-FMC, et cela a été la présentation (erronée) des ventes de Lafarge à Holcim, d’Alcatel à Nokia, de Mérial à Boehringer et de Rhodia à Solvay.
C’est pourquoi pour l’industrie française la mise en détention de Carlos Ghosn a été un drame car son succès était en train de démontrer que la mondialisation pouvait prendre une autre forme que celle d’un effacement des cultures au profit d’une culture dominante, que l’on pouvait réussir contre les monstres américains et chinois avec des alliances entre « petits pays » entre entreprises européennes et japonaises en cumulant les savoirs, les savoir-faire et les originalités culturelles sans imposer un modèle unique. C’était passionnant et le malheur c’est que l’on risque de ne jamais savoir si cela pouvait marcher ou pas, c’est-à-dire jusqu’où on pouvait mélanger sans mêler. Les financiers adorent les fusions -acquisitions et ne seront pas déçus, on va continuer à célébrer les vertus de la monoculture, mais les industriels qui veulent espérer mutualiser certaines de leurs dépenses sans perdre le contrôle « national » ou « régional » des structures d’origine ne peuvent qu’être attristés de ne pas connaitre la fin de l’histoire.
La parole, celle qui sait sans faire, va reprendre ses droits, on va « approfondir » l’alliance, la maintenir, la réformer…mais ce discours, comme celui qui essaie de repeindre Air France KLM, comme celui qui va naitre entre Essilor et Luxoticca, ou chez Technip-FMC…et les autres devra s’ancrer sur la réalité : l’hégémonie capitalistique est-elle la seule permettant aux entreprises de prospérer , faut-il se fondre pour se mondialiser, faudra-t-il demain être américain ou chinois pour encore exister ou pourra-t-on monter des alliances pouvant rivaliser avec les monstres en train de se créer. Ce qui arrive avec les Gafam des deux cotés du Pacifique, ce qui se profile avec la 5 G, les acquisitions technologiques des Chinois en Europe comme les robots Kuka en Allemagne ou les cartes à puce Linxens en France nous montrent qu’il est urgent de réfléchir…et de décider de la conduite à tenir.
Pour moi , l’industrie des Européens et des Japonais ne résistera que s’il est possible de faire des alliances « à la carte » pour contrer la prédation des deux industries assises sur des capitaux sans limites. Royal Dutch-Shell a vécu depuis plus de cent ans avec deux sièges et deux nationalités, anglaise et néerlandaise, tout est possible dans le monde industriel, mais il ne faut pas que les « politiques » s’en mêlent car il s’agit de « faire » et non de parler. Il est certain qu’avec les règles d’aujourd’hui cette belle centenaire n’aurait pas eu le droit d’exister. C’est aux industriels de dire aux dirigeants des pays et à leurs peuples vers où nous pouvons aller, la souveraineté ou la mort lente, et pour la souveraineté dans un grand nombre de cas l’Alliance plutôt que la fusion.
La déconfiture de General Electric et l’effacement progressif des morceaux d’Alstom nous obligent à réfléchir à la structuration de l’électro-mécanique française en commençant par le nucléaire, l’hydraulique et le ferroviaire. Mais ces activités n’auront un avenir qu’avec des alliances européennes ou japonaises.
Les Chantiers de l’Atlantique devaient s’allier, et pourquoi pas avec Ficantieri, mais il fallait d’abord clarifier l’alliance des italiens avec les chinois.
La position de faiblesse dans laquelle nous nous retrouvons systématiquement tient à plusieurs facteurs que nous pouvons corriger si nous faisons un effort de lucidité :
-La mobilisation de l’épargne française vers l’industrie est trop faible et ne permet pas à celles qui ne disposent pas de familles patriotes de s’assurer d’un maintien du contrôle de la part nationale. Lutter à « mains nues » contre les capitaux américains ou les fonds souverains est illusoire, l’investissement industriel est toujours à long terme.
-Les anathèmes portés contre des techniques que nous maitrisons nous fragilise. Les exemples sont nombreux, la victoire des combattants contre les « fossiles » permet aux américains de l’alliance Technip-FMC de recentrer l’alliance entre égaux sur Houston, la lutte acharnée contre le diesel affaiblit notre industrie automobile, de même que les coups de butoir permanents contre l’énergie nucléaire.
-Le fait de nommer un français provisoirement à la tête d’une alliance n’est ni nécessaire ni suffisant, les accords, assis sur une position forte capitaliste doivent contenir le maintien de la culture nationale et de la propriété industrielle.
– Il faut s’assurer de la compétitivité de l’industrie française pour éviter que l’alliance ne se déséquilibre rapidement et pose des problèmes de gouvernance .
L’industrie est un sujet essentiel, il pourrait être intéressant que notre pays arrive à en parler lorsqu’il est question de l’avenir .

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