Les ressorts de la réindustrialisation

Les progrès accomplis dans les discours sont considérables, que ce soient la presse ou les hommes et les femmes politiques, il est désormais clair qu’il « n’y a pas d’économie puissante sans industrie » ! Il faut se réjouir de cette avancée…verbale car il y a encore quelques années les mêmes ne juraient que par la société des services, du partage du travail et de l’utilisation des loisirs.

Hélas, ensuite les recettes correctrices sont convenues, meilleure compétitivité, abaissement des charges, simplification des procédures, formation, innovation, recherche, et soutien à l’exportation, tous objectifs louables et de portée générale qui ne sont que la manifestation d’une bonne volonté destinée à rassurer des professionnels traumatisés par les catastrophes de l’actualité industrielle récente. La faiblesse de l’analyse de la désindustrialisation du pays, du diagnostic de notre affaiblissement, conduit à ce catalogue de mesures très insuffisant.

Si en 25 ans on a perdu 3 millions d’emplois industriels et que l’industrie ne représente plus que 12% du Produit Intérieur Brut, si notre potentiel a été divisé par deux, si nous voyons disparaitre un à un nos fleurons c’est que le mal est plus profond que ce qui apparait dans les discours, nous n’avons fait que subir la mondialisation sans ni la comprendre ni anticiper ses effets. Nous avons cru à notre communication qui racontait nos exploits, l’aéronautique, le spatial, le nucléaire et le TGV en y rajoutant la Tour Eiffel et l’avenue des Champs Elysées. Nous n’avons pas voulu voir la multiplication des friches industrielles et l’absence de reconversion dans les territoires à importants savoir-faire et culture de la production.

Pour faire repartir la machine, il va falloir un remède de cheval, une prise de conscience beaucoup plus importante de notre situation, il faut trouver les ressorts de notre renouveau industriel en utilisant à plein nos ressources et les réalités de la mondialisation. On ne combat pas l’inéluctable en le niant, on étudie la manière de le dominer. La mondialisation est une donnée, il faut s’en servir et d’abord bien la comprendre.

Il existe désormais un grand nombre de pays capables de produire beaucoup de produits industriels classiques avec des couts de production inférieurs aux nôtres. On a l’habitude d’accuser dans notre pays les salaires et les charges, ce n’est que partiellement exact, car c’est un phénomène très ancien, ce qui a changé c’est une banalisation de produits phares et la capacité à construire des automobiles, par exemple, dans une centaine de pays sans que ceci soit synonyme de qualité médiocre ou de malfaçons. On s’est beaucoup moqué de la « Trabant » des pays de l’Est d’antan, les automobiles indiennes ou chinoises n’auront plus rien à envier aux nôtres. Le marché est aujourd’hui là où les gens sont nombreux avec une demande solvable, et notre industrie se doit d’être présente partout si elle veut survivre en utilisant les atouts d’une production locale. Dans l’épreuve qui a été la nôtre dans la chute vertigineuse de l’industrie nationale, il y a eu une part de « délocalisation », c’était inéluctable et ce n’est pas fini, les produits classiques sont attirés comme par des aimants par les pays à bas salaires et à marchés prometteurs.

Il nous faut donc réfléchir à la fois à ce que sera l’industrie de demain et à notre rôle, c’est-à-dire à ce que nous pouvons espérer en tant que production nationale et emplois de résidents sur nos territoires. Nous sommes tentés par une réponse globale à cette question, c’est-à-dire une analyse d’économistes agrégeant tous les secteurs et toutes les entreprises alors que la réalité est à considérer par entreprise, par territoire et par filière. La naissance, le développement et la disparition d’une activité industrielle échappent aux généralisations hâtives, un succès se fait autour d’un homme et d’une équipe, une vision, une prise de risques, des savoir-faire, un travail acharné, et des transmissions harmonieuses. La disparition d’une entreprise industrielle, c’est souvent une transformation avec un mélange d’incompétence, de cupidité, d’arrogance et d’oubli de la nécessité de mobiliser les hommes et les femmes avec la fierté du travail bien accompli et le plaisir de travailler. L’enthousiasme pour le produit doit irriguer l’entreprise tout entière, à commencer par son sommet. C’est un invariant du succès. Cette condition est indispensable, mais elle mérite d’être accompagnée par la réalité, à savoir que cette fierté doit être assise sur une compétitivité, une meilleure qualité au meilleur prix. La recherche et l’innovation comme l’utilisation des technologies de pointe doivent conduire à cette optimisation toujours à atteindre, chaque jour il faut progresser. Mais il n’y a pas « une recette », il y a une vigilance quotidienne à assurer, rien n’est jamais acquis et il faut prévoir l’obsolescence des produits ou des productions à temps pour reconvertir et utiliser au mieux le savoir-faire collectif des laboratoires, ateliers ou usines. C’est cette anticipation permanente qui a manqué à notre pays et qui explique en grande part le triste constat de notre désindustrialisation puisque dans le même temps, tous secteurs confondus, on a maintenu des industries florissantes et d’autres se sont révélées. Les conditions générales dans notre pays ne rendent donc pas impossibles l’activité industrielle, même si l’on ne peut que partager les multiples exaspérations sur les freins à notre développement industriel. Nous ne sommes pas rentrés dans le monde industriel de demain, beaucoup vivent encore avec les réflexes du 19ème siècle avec une image de l’industriel datant du « Comité des Forges ». La transformation actuelle de notre appareil industriel doit s’accompagner de celle de l’image de l’industriel dans la population, en y incluant fonctionnaires et responsables politiques.

L’industrie de demain , ce ne sont pas des objets futuristes, avion solaires, voitures sans chauffeurs, trains ultra-rapides pneumatiques dans tuyaux, drones généralisés… ce ne sont pas non plus des start-ups d’applications sur smartphones, ce sont des productions utilisant la mécanique, la métallurgie, l’électricité, l’électronique, l’hydraulique, la physique des solides, l’informatique…tout ce qui progresse tous les jours avec des laboratoires, des ateliers et des usines, avec des robots mais aussi des hommes et des femmes de plus en plus « technicisés » utilisant des « tablettes » et tous les outils d’aides à la création, au contrôle. Il y aura toujours des lieux de travail, des machines, des concepteurs, des fabricants, l’humain ne va pas disparaitre, l’équipement physique non plus, mais les outils évoluant, les transformations vont être colossales et nécessiter une adaptation et une flexibilité pouvant conduire à l’angoisse. C’est là que l’équipe dirigeante doit anticiper et rassurer si on veut aller vers l’efficacité. Les nouveaux outils, digital et robotique, ont comme première conséquence l’optimisation et donc le gain de temps. Le design est plus rapide, la construction aussi, la production de même, et l’on supprime les intermédiaires entre client et fournisseur ! C’est désormais là que réside le réservoir de compétitivité dans tous les secteurs. Par conséquent dans un pays comme le nôtre à protection sociale et salaires élevés, c’est notre capacité à accepter et à généraliser l’outil numérique qui va décider de notre maintien ou non dans les nations industrielles. Personne , aucune compagnie, aucun territoire, n’est à l’abri de cette transformation digitale, chaque industriel doit comprendre ce que peut lui apporter ces nouveaux matériels comme la réalité virtuelle ou l’imprimante 3 D. Nous possédons les hommes et les femmes compétents, nos écoles forment des jeunes avides de transformer le monde industriel, il suffit de leur faire confiance pour retrouver notre place industrielle dans le monde de demain.

Mais pour revenir à la pointe de l’investissement industriel, il faut casser notre tirelire, nous ne pourrons pas maintenir et retrouver notre rôle dans le monde si nous ne voulons pas réinvestir dans notre industrie. Pour cela il faut que notre fiscalité change, qu’elle accepte que l’épargne investie dans l’industrie sur le moyen et le long terme ait un traitement préférentiel, que la société dans son ensemble accepte que le risque industriel soit notre dernière chance de maintenir notre niveau de vie et d’en faire profiter les générations à venir. Nos systèmes démocratiques regorgent de promesses dérisoires tandis les capacités financières de l’ensemble de la population sont drainées par l’immobilier ou les produits financiers exotiques tandis que notre appareil productif devient la propriété des fonds de pension étrangers ou des fonds souverains des pays du Golfe ou de l’Asie. Dans un pays qui est des grands épargnants du globe, cette situation est intolérable et explique la régression. On doit la dénoncer et prendre les mesures correctives.

Car que se passe-t-il aujourd’hui ? Les start-ups se multiplient et souvent trouvent des aides si le sujet traité est à la mode. Mais le drame de notre industrie est ailleurs, il est dans l’incapacité pour les petits de devenir moyen, pour les moyens de devenir grands, et pour les grands de conquérir le monde, il est dans l’incapacité au-delà des clusters existants de financer la mutualisation des achats, du commerce international, des avancées techniques, dans la difficulté à faire accepter de nouveaux modes de travail avec les indépendants, il est dans les freins financiers à l’expansion internationale. Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle administration susceptible de sélectionner et de fournir des aides étatiques, il faut, comme avec le crédit d’impôt recherche qui est remarquablement efficace, trouver des automatismes qui favorisent la prise de risque industriel. Il ne faut pas que l’objectif des start-ups soit de se vendre à Amazon, Google ou Facebook, pas plus que la seule solution des sociétés moyennes ne peut pas être de se faire racheter par l’industrie américaine, nous devons permettre aux petits de grossir comme cela a été fait outre-Atlantique avec de nouveaux géants dont la puissance financière est aujourd’hui considérable, il faut résister et trouver des solutions nationales, nous ne devons pas accepter la colonisation, nous en avons les moyens humains et financiers, il faut les mobiliser.

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