Dans la mesure où cet oxymore est véhiculé désormais par un nombre de plus en plus important de commentateurs, il est sans doute plus que temps de se pencher sur les dangers de cet engouement.
Lorsque Jean-Luc Mélenchon a lancé le terme « planification écologique » en 2008 il souhaitait montrer l’importance de l’écologie dans son programme avec la création d’un Conseil à la planification écologique, une grande concertation nationale débouchant sur une loi (forcément un Grande Loi) de la planification écologique et un contrôle ultérieur de sa mise en œuvre. Le lyrisme des propos arrive souvent à transformer des verbalisations en concepts et c’est ainsi que depuis 14 ans, ayant « avalé » les mots on a fini par considérer l’idée sans contester la contradiction du mélange de la planification et de l’écologie, un oxymore, un assemblage de mots contradictoires.
La planification, le plan, c’est la définition d’un objectif à atteindre sur un certain nombre d’années et la mise en place de moyens humains et financiers pour l’atteindre. Pour une entreprise le processus est simple puisque le responsable de la décision finale est connu et la vérification du résultat sans ambigüité. Pour un pays dictatorial on sait qui fixe l’objectif et c’est le même qui annoncera le succès du programme. Dans les démocraties la planification peut fonctionner sans difficultés sur des objectifs simples comme « marcher sur la lune « ou « trouver un vaccin contre le covid » mais elle peut être rapidement confondue avec de l’Etatisme et donc, soit rejetée par les acteurs économiques , soit inefficace, ce qui a conduit, après les plans de reconstruction nationaux de l’Après-Guerre à la disparition de l’institution. Le Commissariat au Plan a fait sa réapparition balbutiante ces dernières années en France sans avoir résolu les problèmes de fond : qui fixe l’objectif et qui mesure le résultat. Ainsi tous les dispositifs de « Plans » étatiques se heurtent à la réalité de manière brutale, le fameux PPE (Plan Pluriannuel de l’Electricité) qui conduit le pays à la pénurie et aux dérives de prix incontrôlables ou le Plan de Relance source d’effets d’aubaine évidents et aux résultats non mesurables et donc incertains . Dans notre pays , à coté d’un secteur public pléthorique il existe un secteur privé toujours prêt à œuvrer pour le bien commun et donc mobilisable sans pour autant accepter la soumission . Si le mécanisme de planification est l’institution d’un dialogue et d’une communion d’objectifs et de moyens, il peut réussir, si c’est une manœuvre politique et administrative pour satisfaire des ambitions et nourrir une bureaucratie , le mot planification est mal choisi et il faut y rajouter le qualificatif « soviétique « . En régime démocratique la planification ne peut se concevoir qu’avec l’assentiment et la participation de la grande majorité de la société pour avoir une chance de réussir, c’est donc le résultat quasi unanime d’un travail collectif des forces vives de la Nation qui s’expriment d’autant plus facilement que le péril est accepté d’où la réussite plus facile en temps de guerre où l’objectif commun est plus clair qu’en temps de paix !
L’écologie c’est la science qui étudie les relations des êtres vivants dans leur milieu et l’écologisme se propose de protéger l’environnement et les équilibres naturels . Les humains agressent pour leur développement les milieux naturels, les écologistes tentent de limiter les effets de l’utilisation de la nature. La poussée démographique et la demande de satisfaire les besoins et les désirs des populations rentrent en contradiction avec l’idée de la « règle verte » qui voudrait que l’on ne prélève pas davantage sur la nature que ce que l’on peut reconstituer. La déstabilisation économique et politique de beaucoup de pays vient de la vitesse du peuplement et d’une relative lenteur du développement des infrastructures. La tentation de bâtir des régimes autoritaires est donc évidente, ce qui a conduit à un recul des démocraties un peu partout dans le monde. Le rêve d’un Gouvernement de la Planète n’a pas de réalité , pas plus que celui de réaliser un paradis écologique dans un seul pays pour faire de la vertu une contagion . Les solutions intermédiaires pour lutter contre telle ou telle pollution ou agression contre la nature sont aussi inefficaces car elles dépensent et épuisent des moyens colossaux sur des développements qui ont , eux aussi, leurs inconvénients majeurs en ce qui concerne l’avenir des milieux naturels. Ainsi l’écologisme qui voudrait préserver la situation existante vient -il heurter l’existence des humains sur la planète qui visent, eux à se multiplier et à assurer pour la survie de l’espèce l’utilisation des ressources mises à leur disposition. La « règle verte » est planétaire et suppose un gouvernement autoritaire planétaire autoritaire , ce que bon nombre de romanciers ont d’ailleurs imaginé. Alors il pourrait se concevoir une maîtrise des naissances , des fins de vie programmées, d’une maîtrise des désirs …le monde décrit par Orwell et beaucoup d’autres après lui . La protection de l’environnement et des milieux naturels ne peut donc être planifiée pas plus dans un pays que pour le monde entier, la planification écologique est donc bien un oxymore, ce qui n’empêchera pas les uns et les autres de s’en gargariser .
Ce constat est nécessaire mais ne doit pas conduire à ne rien faire, bien au contraire, mais à se rendre compte de la nécessité de revenir à la réalité et à ne plus se limiter aux mots …et aux oxymores .
Il est clair que l’augmentation des activités humaines sur terre dues à la fois à la démographie et aux innovations scientifiques, techniques et industrielles conduit à des modifications de plus en plus sensibles de notre environnement. La nature, sur terre ou sur mer, est un trésor que nous voulons à la fois préserver et utiliser, nous sommes donc dans une perpétuelle contradiction comme nos jeunes « accros « à leurs portables et leurs « applis » fustigeant une société « dans les griffes du marché ». Nous sommes donc tous des « écologistes » vivant en « prédateurs » conscients ou inconscients. Comme expliqué nous ne sommes pas en mesure de « planifier l’écologie », mais nous devons et nous pouvons modifier notre trajectoire en luttant contre le gaspillage et en investissant dans le recyclage. Mais pour cela il faut tenir compte de nos connaissances actuelles, des solutions éprouvées, des progrès à réaliser et ne pas engager nos ressources financières et humaines dans des impasses évidentes défendues par des idéologues éloignés des réalités, c’est-à-dire oubliant les données physiques, les coûts et l’acceptabilité sociale.
La lutte contre la pollution urbaine est confondue avec la lutte pour le climat , c’est-à-dire contre les émissions de gaz carbonique ou CO2. C’est une erreur ! Le CO2 n’est pas un polluant. On peut lutter contre la pollution urbaine avec la généralisation de la voiture électrique ou à hydrogène, mais rien ne dit que l’intégralité de leur fabrication, de leur utilisation et de leur démantèlement soit meilleure pour le CO2 que les véhicules à moteur thermique.
La lutte contre les plastiques à usage unique a été promue par l’émotion mais aucune preuve de l’efficacité des mesures acceptées n’a été fournie . On est même à parler d’investir massivement dans le recyclage de produits par ailleurs interdits à la fabrication et à l’usage !
La promotion des énergies solaire et éolienne s’accompagne de propos sur le stockage électrique « certes difficile aujourd’hui mais ce sera mieux demain « . On connait le débat, il faut se dégager des fossiles émetteurs de CO2 , on va utiliser comme complément provisoire à l’intermittence le gaz ( Russe pour l’Allemagne aujourd’hui !) le temps de faire des progrès dans le stockage. Malheureusement il y a une notion oubliée , c’est que les électrons en mouvement ne se stockent pas et il faut donc changer l’électricité à stocker dans autre chose qui , en retour, plus tard refera de l’électricité. Deuxième notion , bassement terrestre, il y a deux changements d’état et donc étude des rendements. Et quel que soit la transformation souhaitée, l’eau en réservoir, l’hydrogène après électrolyse ou le méthane il faut produire quatre fois ce que l’on peut restituer ! Plus grave c’est le rendement théorique qui est mauvais , comme celui des installations éolienne ou solaire qui ont besoin de vent ou de soleil. Ces énergies peuvent être des appoints dans un mix énergétique, mais pour cette raison fondamentale de rendement on ne peut pas en faire le centre d’une politique énergétique …sur la planète terre.
Ce sont des exemples sur des dossiers « à la mode « , mais le lancement tonitruant de programmes d’avenir sur telle ou telle solution , la fin des plastiques, la civilisation hydrogène, les petits réacteurs nucléaires, suivi de guerres picrocholines pour engranger les aubaines ainsi répandues et « gratuites « puisque ces bontés sont originaires de l’Etat devraient s’arrêter avec quelques propos de bon sens .
Les problèmes posés par nos contradictions d’humains ne seront pas résolus par un démiurge ou un « sachant ». il faut laisser une chance à toutes les techniques et les solutions parce que personne ne peut savoir les développements possibles. On a condamné le charbon, mais il continue à être utilisé et les travaux pour diminuer les émissions lors de sa combustion ont quasiment disparu…les équipes françaises ont du partir …en Suisse ! On a condamné le véhicule thermique, il continue à être plébiscité dans le monde entier tandis que les travaux sur la captation du CO2 se poursuivent avec beaucoup de succès et d’espoirs. On a condamné le nucléaire en particulier la filière à neutrons rapides (arrêts Superphénix et Astrid) mais dans quatre pays on continue à travailler …avec nos données ! On fait du « plastic bashing « en France mais on considère que la consommation mondiale va doubler en cinq ans ! On annonce des parcs d’éoliennes en mer mais on oublie le désastre de la pêche côtière . La poursuite de nos activités sur terre a besoin non de contraintes, punitions, réglementations, incitations …mais de liberté , d’initiatives , d’innovations , on n’a pas besoin d’interdits , de tabous, de contrôles ni de bureaucratie, on a besoin de respirer, de vivre, d’espérer. On tâtonne et on annonce la décarbonatation de secteurs entiers à une date déterminée en ignorant les effets pervers et les progrès à venir de la science , de la technique et de l’industrie. On est bien incapables de planifier , mais on n’arrête pas d’en parler, comme si les mots pouvaient effacer la peur, comme si l’utilisation immodérée d’oxymores permettait de conjurer le mal, celui de vouloir à la fois consommer, utiliser et préserver.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France s’est dotée d’institutions et d’instruments pour reconstruire l’économie et adapter la société dans une perspective longue: ce fut en particulier le rôle du Commissariat général du Plan, créé en 1946 par le général De Gaulle.
La création du Plan a été décidée sous l’influence des États-Unis, pour canaliser l’aide accordée dans le cadre du plan Marshall.
Le premier « Plan de modernisation et d’équipement » a été mis en place en 1946 par Jean Monnet. (La planification française a fonctionné jusque dans les années 1990 (10 plans, la plupart quinquennaux se sont succédé) pour éclairer l’avenir, dépasser l’immédiat… définir les enjeux du moyen et long terme et programmer les investissements publics qui vont structurer l’économie. Ils ont servi à assurer la cohérence des politiques publiques en articulant les objectifs et les moyens, permettant ainsi de les atteindre et enfin promouvoir la concertation pour favoriser la conscience de ce qui est important et entraîner l’adhésion des acteurs concernés.
Théoricien de la décision en avenir incertain, Pierre Massé est connu pour avoir qualifié le Plan de « réducteur d’incertitude », dans son ouvrage au titre évocateur « Le plan ou l’anti-hasard » publié en 1965. Pour justifier l’utilité de la planification, Pierre Massé part d’une critique de la théorie du « marché généralisé » défendue notamment par Gérard Debreu, en montrant que toutes les éventualités futures ne peuvent être connues à l’avance. Ce qui est particulièrement le cas pour les investissements à long terme, tels que la construction d’un barrage, pour lequel il n’existe pas de marché, ni de prix reflétant les services futurs. Le plan est comparé à une « vase étude de marché » dont l’instrument serait le tableau économique d’ensemble imaginé par François Quesnay (1759), et repris par Leontief (1941). La procédure était la concertation au sein des « commissions de modernisation », créées dès le 1er plan, au nombre d’une vingtaine, qui regroupent pour chaque secteur de l’économie l’ensemble des acteurs concernés : administrations publiques, patronat, syndicats, usagers, universitaires.
Le contenu et les méthodes de la planification française ont évolué dans le temps. Ainsi, le Ve Plan (1966 – 1970) innove en introduisant une « programmation en valeur », qui concerne notamment l’évolution des prix et des revenus, au moment où la politique des revenus était inscrite à l’agenda des gouvernements.
À la différence de la planification dirigiste des pays du bloc soviétique, la planification française était indicative, même si elle était considérée comme une « ardente obligation » par les responsables politiques, de Charles de Gaulle à Pierre Mendès France. L’idée était que, étant élaborés dans le cadre d’un débat et d’une concertation entre les « partenaires » politiques, économiques et sociaux, sous l’égide de l’État, la planification et ses objectifs s’imposeraient d’eux-mêmes à ces derniers.
Il y a consensus pour attribuer un rôle important à la planification dans l’évolution économique et sociale de la France au cours des « Trente Glorieuses » avec le rôle « stimulant et pondérateur » du Plan dans leur explication des bonnes performances économiques en termes de croissance de la production, des revenus, de l’emploi, de réduction des inégalités dans la France de l’après-guerre. Les économistes institutionnalistes, qui ont étudié les capitalismes nationaux dans leur diversité, ont montré l’importance des institutions et des politiques publiques dans les capitalismes européens, qualifiés de « capitalismes coordonnés ». La France était un des seuls pays capitalistes européens, avec la Suède, à avoir mis en place un système de planification dans l’après-guerre.
La planification n’a pas été le seul instrument au service des politiques publiques à moyen et long terme. La France a également mis en place un système de contrôle du crédit, sous l’égide du Trésor public et de la Banque de France, qui a joué un rôle important dans l’allocation des financements dans l’économie française en fonction des priorités politiques. La nationalisation de la Banque de France et des quatre principales banques de dépôt en 1945, ainsi que la création du Conseil national du crédit présidé par le ministre des Finances et chargé de veiller aux orientations de la politique monétaire, illustrent la subordination du crédit et de la monnaie aux objectifs économiques et sociaux du gouvernement… (et pas le contraire…)
Les limites de la planification française étaient liées à l’idéologie « productiviste » et « colbertiste » qui dominait la France au lendemain de la guerre, marquée par la recherche d’une croissance rapide, qui était l’un de ses principaux objectifs.
Le développement des secteurs de l’énergie, des transports et du logement figurait parmi les objectifs prioritaires des plans successifs. Mais les enjeux écologiques, tels qu’ils sont mis en avant aujourd’hui, étaient largement absents des préoccupations du Plan. Par ailleurs, la philosophie « centralisatrice » et colbertiste de l’État s’imposait au détriment du rôle des territoires, dont le rôle est reconnu comme essentiel aujourd’hui pour la transition écologique et sociale, mais qui ne furent que tardivement intégrés dans le processus de planification, à l’occasion du IVe Plan (1962 – 1965). Ces missions territoriales ont été confiées à une institution distincte, la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire – la Datar – créée en 1963.
Vouloir réhabiliter les idées de planification et de long terme aujourd’hui peut apparaître totalement « décalé » dans une société dominée par l’idéologie individualiste de la « start up nation », par la logique court-termiste des marchés et par la dictature du « temps réel » des réseaux sociaux.
il est néanmoins intellectuellement indispensable de réfléchir du meilleur moyen pour ce doter aujourd’hui d’institutions de long terme afin de faire face au formidable défi de la transition énergétique et du changement climatique. Cela n’a rien d’un oxymore.
Édifiant ! Bravo Loïc
Je vous invite à lire le plan de transformation de l’économie française « THE SHIFT PROJECT » pondu par un groupe de réflexion (et pas que écolo!) sur la transition énergétique, animé par Jean Marc Jancovici, qui présente pour chaque secteurs de l’économie, des leviers de transformation avec les implications inévitables en matière d’emploi, de mode de vie… et d’organisation de la sté. Du grain à moudre pour une meilleure sobriété, quoi!