Depuis des années, on dit que le train est écologique et est donc l’avenir des mobilités tandis que les consommateurs, les clients, constatent sa cherté et sa dégradation matérielle sur la plupart du réseau.
Atlantico : Le ministre des Transports Clément Beaune a annoncé le gel des tarifs en 2024 pour les Ouigo, Intercités et la carte avantage. Cela va-t-il fondamentalement changer la problématique des coûts des billets SNCF devenus inabordables pour beaucoup de Français ?
Loïk Le Floch-Prigent : Le problème structurel de la SNCF est bien connu, quel que soit le voyage le calcul du mode de transport alternatif ; la voiture individuelle apparait quant à elle toujours comme plus attractive. Il existe, fort heureusement, beaucoup de voyageurs qui préfèrent le train, soit par défaut de voiture, soit par goût personnel, nécessité ou choix, et les trains Français sont très remplis. Les voyageurs, par contre, sont irrités par la qualité de service, en particulier les horaires, avec des retards nombreux. Les agents commerciaux à bord des trains essaient de les calmer avec des explications et des avertissements sur les correspondances, mais on ne peut qu’observer le grand nombre des insatisfaits : les billets chers et les arrivées aléatoires.
Mais l’idée de voir un ministre annoncer un gel de tarifs pour les trajets à bas coût est déjà un aveu de la faiblesse de l’organisation. Si la SNCF est une entreprise, c’est au PDG de présenter la politique tarifaire, si on pense que c’est une administration il faut que le ministre aille plus loin et explique l’ensemble de la politique suivie puisqu’il veut faire préférer le train en allant prendre des subsides chez les autres transporteurs ou gestionnaires d’infrastructures. La SNCF et le train souffrent de cette ambiguïté permanente, une société que les Ministres aiment gérer sans en avoir ni les compétences ni l’autorité.
Depuis des années, on dit que le train est écologique et est donc l’avenir des mobilités tandis que les consommateurs, les clients, constatent sa cherté et sa dégradation matérielle sur la plupart du réseau. C’est effectivement un mode de transport idéal pour rentrer jusqu’au centre-ville, pour transporter des centaines de milliers de voyageurs sans embouteillages, pour garantir une grande couverture du territoire, mais cela a un prix collectif lourd qui doit être supporté par le contribuable et l’acheteur de billet dans une proportion qui reste à définir : il est clair que la situation actuelle mal présentée aux uns et aux autres ne satisfait personne, pas plus d’ailleurs que le personnel qui s’estime mal considéré compte tenu de son travail et qui passe beaucoup de temps à préparer des grèves et souvent à arrêter le travail. Le contrat entre le propriétaire, l’Etat ,le contribuable, (nous tous), le client et le personnel, ne fonctionne pas et les réformes successives n’ont rien arrangé. Force est de constater qu’il y a un problème d’efficacité et que les solutions qui ont été préconisées n’ont pas suffi, il faut donc faire un retour d’expérience comme pour toute entreprise : voilà pourquoi on a fait telle réforme et voici le résultat ! Mais on ne peut pas se contenter de faire des annonces « ministérielles » pour annoncer des gels pour attendre ensuite que le Président de la SNCF annonce par ailleurs les augmentations de tarif !
Pour arriver à initier une « concurrence » on a séparé le transport d’un coté et le réseau de l’autre. Est-ce que ceci a conduit à des économies ? Le doute est permis, mais une analyse approfondie permettrait de s’en assurer ! Sur le terrain cette dichotomie est mal vécue, comme la disparition d’un échelon de direction fédérateur. Le personnel a-t-il raison ou, au contraire, les résultats sont-ils flatteurs ? Si les retards persistent c’est souvent à cause de maintenance insuffisante des voies ou des matériels, a-t-on mis suffisamment de moyens pour y remédier ? Et la séparation en deux entreprises a-t-elle été un progrès ou un handicap ? On a organisé une opération « low cost » avec Ouigo , a-t-on réalisé un bilan de la rentabilité de cette innovation ?
Une industrie, et le transport collectif est une industrie, c’est un ou des actionnaires, un patron avec des objectifs de rentabilité et une obligation de résultats. Mais si l’actionnaire interfère fréquemment cela ne peut pas marcher. En l’occurrence la faiblesse de la SNCF c’est la priorité donnée au réseau TGV et le réluctance à payer la maintenance du réseau et du matériel. La force de l’entreprise c’est la qualité technique de son personnel et l’« esprit cheminot » qui anime les performances.
En ne prenant pas en compte suffisamment la faiblesse et en négligeant la force on arrive vite à une impasse et on cherche des solutions dans la sacro-sainte « concurrence » alors que l’on est dans un monopole structurel et que celle-ci ne peut qu’être marginale et coûteuse.
L’annonce de fausses « bonnes nouvelles » par le ministre montre que l’on n’a pas réfléchi au sujet à traiter, complexe certes, délicat, explosif , mais cela ne devrait pas empêcher le débat !
Alors que la SNCF est déjà ultra-subventionnée – l’économiste François Ecalle estimait le coût annuel de ces subventions publiques à plus de 500€ par Français dans une note récente -, comment expliquer la structure des prix des voyages ferroviaires en France ?
Toute mobilité est subventionnée par la collectivité, il faut donc effectuer les calculs, savoir jusqu’où on veut aller, là comme ailleurs, et tester les solutions en fixant des couts et des rentabilités incluant les services rendus à la population. La France sans train puis sans métro, est-ce possible ? L’engorgement de la circulation dans le Paris d’aujourd’hui ne plaide pas pour la régularité et les performances de l’autobus ! Les départs de vacances et les embouteillages de rentrées sur les autoroutes sont connus, qu’arriverait-il sans trains ? Cela a un coût, affrontons-le, et derrière, comment peut-on le diminuer sans négliger la qualité de service ? Pour l’instant tout le monde râle mais aucun retour d’expérience n’a été lancé ! Quelle a été l’efficacité des réformes ? Nous n’en savons rien, mais les questions sont légitimes.
Le défaut de concurrence est-il en cause puisqu’on a vu, en Italie notamment, que la concurrence sur certaines lignes avait permis une amélioration du service et une baisse des prix ? Et faut-il remercier l’Europe ou la maudire de ses efforts pour garantir une concurrence dans le secteur ferroviaire ?
Les réseaux ne sont pas comparables, pas plus que le système britannique. La concurrence ne règle pas la vétusté de certains réseaux ou des machines, la concurrence ne règle pas la question de la répartition des coûts entre la nation et l’utilisateur, nous sommes en monopole structurel ! Quand on a réglé l’essentiel, on peut passer à une concurrence marginale, mais l’Europe n’a pas aidé avec son idéologie, pas plus ici que dans le domaine de l’électricité. Les problèmes sont complexes, inutile de dire que la solution serait aussi simple !
Quelles mesures permettraient de rendre les voyages en train abordables ? ET fiables puisque la qualité du service s’est dégradée et les problèmes techniques se sont multipliés ?
Il faut d’urgence avoir un audit sur la situation réelle du réseau et du matériel et du coût d’une maintenance sur une période courte, c’est une urgence.
Pour y arriver, il faut remotiver le personnel qui n’attend que ça et lui démontrer que ce sont les efforts de tous qui vont permettre de remettre la solution « train » en réel fonctionnement.
On ne met pas les moyens nécessaires et on ne s’appuie pas suffisamment sur le personnel, le train coute cher, mais il fait partie de la France, de notre France, et il faut que les 65 millions de Français en soient persuadés, qu’ils comprennent les enjeux, et qu’ils constatent les progrès !