Le président de la République doit retrouver le chancelier allemand pour un dîner de travail ce mardi soir.
Don Diego De La Vega : Il faudrait que ce soit : Écoutez, Olaf, que se passerait-il si un jour nous redevenions gaullistes ? Parce que vous, les Allemands, vous servez les intérêts de l’Allemagne à fond. Et si nous faisions comme vous un jour, juste pour voir ? C’est-à-dire, que se passerait-il si nous décidions d’être simplement fédéralistes de façade, mais que nous suivions réellement notre intérêt national ? Qu’adviendrait-il si nous décidions de faire comme vous et de nous retirer sur les 2-3 sujets où nous avons le droit d’opt-out ? Bien sûr, Macron ne parlera pas ainsi. Mais il faudrait poser la question aux Allemands : qu’adviendrait-il si nous suivions votre exemple en matière d’immigration, d’électricité, de politique monétaire ? Il faut leur faire comprendre à quel point nous sommes sur le fil du rasoir. Les élites françaises, et peut-être même le peuple français, finiront par se rendre compte qu’ils ont été trompés pendant des années. Le fameux couple franco-allemand, qui n’en finit pas de mourir, où il y a toujours un cocu, nous. Le problème ici, c’est que jusqu’à présent on n’était pas au courant, mais il faut dire au chancelier allemand de faire attention, car les élites françaises commencent à en prendre conscience, notamment avec le nucléaire. Il ne sera bientôt plus possible de faire avaler l’idée que les Allemands sont fédéralistes et solidaires.
On pourrait jouer là-dessus, car les Allemands savent qu’ils ne peuvent pas aller à la rupture. C’est ce qui les a poussés à lâcher du lest à plusieurs reprises, comme avec les TLTRO fin 2011, ou le bazooka de Draghi fin 2014. Ils ont fini par céder sur plusieurs choses au cours des 10 à 15 dernières années. Chaque fois, ils savaient bien que s’ils ne lâchaient pas, cela se verrait trop et que cela attirerait l’attention sur le fait que l’Allemagne domine trop dans les intérêts de l’Europe. Nous sommes arrivés à un point où, avec la hausse de 350 points de base de la BCE et la menace d’une récession, il est temps de dire stop aux Allemands.
Le message de Macron ne peut pas être du genre « arrêtez-moi ou je fais un malheur », comme la fameuse stratégie de Richard Nixon, car cela ne serait pas crédible. En revanche, il peut dire qu’ « après moi, il y a 2027 », et que si les Allemands poussent leur avantage trop loin, ils finiront par avoir Mélenchon ou Le Pen, et ça peut leur faire peur. C’est le point sur lequel les Allemands sont sensibles. Ils savent qu’ils peuvent dominer impunément les Français, sauf lorsque ces derniers s’énervent. Ensuite, il faut joindre les actes aux paroles. Par exemple, montrer que nous faisons des nominations à la BCE qui sont différentes. Nous ne nommons plus des personnes compatibles avec Francfort à Francfort. Nous allons nommer des personnes qui ont vraiment des connaissances en sciences économiques et qui sont prêtes à se battre avec la Bundesbank. Cela pourrait être un bon exemple. Car tout se passe à Francfort. Ensuite, cela se fait avec un logiciel importé directement de la Bundesbank, y compris en termes de manque de transparence. Ensuite, il y a un personnel qui est largement acquis aux idées allemandes. Ensuite, il y a 26 personnes au conseil d’administration, et officiellement un pays équivaut à une voix, mais en réalité, il y a une influence profondément germanique. Ainsi, le clan germanique prédomine, avec la présence d’un Letton, d’un Finlandais, d’un Autrichien, etc., tandis que les autres s’interdisent d’exister car ils ne font pas partie de ce groupe. Cela crée une sorte de droit de veto implicite exercé par les Allemands. Ensuite, il y a un droit de veto qui n’est pas implicite, mais pratiquement explicite, qui consiste à dire : si vous allez trop loin, nous sommes capables de vous attaquer devant la Cour constitutionnelle. Ainsi, il y a un surmoi, un droit de veto et, de manière plus générale, une institution largement germanisée, le tout au service d’une monnaie fondamentalement allemande, qui interdit aux Italiens et aux autres de dévaluer. De plus, vous vous trouvez dans une logique de contrat fixiste, le tout est établi en fonction de l’avantage comparatif allemand, sans mécanisme correcteur, notamment budgétaire, sans éléments qui pourraient éventuellement corriger le défaut fondamental de l’euro.
Il faudrait aussi dire à Monsieur Feldman, qui a pris la présidence du Conseil de surveillance de Commerzbank, que ce genre de nomination mafieuse, n’est plus acceptable. Il faudrait mettre en place un véritable comité d’éthique, et non pas un comité d’éthique présidé par les membres de la Banque centrale elle-même. Il faudrait réaliser un audit. Il faudrait revoir l’objectif. Il faudrait publier les transcriptions au bout de 2 ans, et non pas au bout de 50 ans, y compris les transcriptions du comité de politique monétaire. En bref, il faudrait tout revoir depuis le début jusqu’à la fin. Car pour l’instant, cette banque centrale est fortement allemande, sans être ni française, ni italienne, ni espagnole.
Florent Parmentier : Si Emmanuel Macron n’avait qu’une chose à dire à Olaf Scholz sur l’autonomie stratégique et sur l’Union européenne, ce serait d’écouter non seulement les membres de sa coalition au pouvoir, mais également ses partenaires européens, et en premier lieu la France !
Alors que le personnel politique allemand avait en 2017 une curiosité profonde pour celui qui allait devenir président, il faut observer qu’aujourd’hui le « couple Macron – Scholz » n’a pas encore vu le jour. Ainsi, le concept d’ « autonomie stratégique » pour l’Europe a rencontré de nombreuses réticences au sein de certains pays européens, qui étaient désintéressés par les questions de défense.
Cependant, la crise russo-ukrainienne a radicalement changé la donne en révélant la nature de la menace russe et en mettant en évidence le malentendu précédent entre « autonomie » et « adhésion à l’OTAN ». Elle a constitué un « changement d’époque » (zeitenwende) des propres mots du chancelier Scholz, obligeant Berlin à réévaluer les paramètres de sa politique étrangère, qui reposaient jusqu’à présent sur un partenariat sécuritaire avec les Etats-Unis, un partenariat énergétique avec la Russie et un partenariat commercial avec l’Allemagne.
Si l’ancrage de l’Allemagne au sein de l’UE n’est pas remise en question, se trouvant au cœur du contrat de coalition signé par les trois partis au pouvoir, le chancelier n’a pas pour autant réinvesti avec force la relation franco-allemande pour autant. Car s’il fallait tirer toutes les conséquences des années Trump et de la montée de ceux qu’on appelle parfois les « Etats carnivores », il conviendrait sans doute de mettre en place un programme européen de défense, même s’il faut reconnaître que cela ne sera pas facile à réaliser en raison du poids des contrats et programmes existants. Il faudrait surmonter les obstacles liés aux intérêts nationaux et aux engagements déjà pris.
En somme, Emmanuel Macron pourrait souligner à Olaf Scholz que la crise russo-ukrainienne a été un révélateur crucial pour l’Europe, et que l’Union européenne est désormais prête à avancer vers une plus grande autonomie stratégique. La mise en place d’un programme européen de défense sera bien un défi, mais, à titre, d’exemple, la coopération en matière de cyberdéfense peut représenter un premier pas concret vers cet objectif.
En dépit des contradictions existantes (la question énergétique n’étant pas la moins importante), c’est le rôle du président Emmanuel Macron de rappeler que l’autonomie stratégique est bénéfique à la fois pour la France, l’Allemagne et l’Europe. Ce travail de conviction n’est pas simple, car le concept suscite encore des crispations parmi les Européens, notamment en Europe centrale et dans les pays traditionnellement atlantistes.
Il convient d’insister sur le fait que l’autonomie stratégique permet à chaque pays de prendre des décisions politiques et de sécurité indépendantes, sans dépendre exclusivement d’autres acteurs. Cela garantit la préservation de la souveraineté nationale et la capacité de défendre les intérêts nationaux. Sur le plan géopolitique, mettre en avant l’autonomie stratégique, c’est rappeler une évidence : une Europe forte et unie, capable de défendre ses intérêts et de faire face aux défis de sécurité, contribue à la stabilité régionale. Or, celles-ci est l’objet de nombreuses vulnérabilités ne se limitant pas à l’Ukraine ; l’évolution de la Turquie, la pression migratoire ou la déstabilisation de nos régimes politiques en sont autant de manifestations concrètes. En travaillant ensemble pour atteindre l’autonomie stratégique, la France, l’Allemagne et les autres pays européens renforcent la sécurité collective et préviennent les crises potentielles.
De plus, le Président pourrait continuer son argumentaire et affirmer que l’objectif d’autonomie stratégique permet de développer des capacités industrielles et technologiques de défense, de préserver les emplois nationaux et de maintenir une base industrielle européenne solide. Mieux préparée et mieux à même de répondre aux crises, l’autonomie stratégique renforce la crédibilité de l’Europe en tant qu’acteur mondial et permet de protéger les intérêts européens de manière proactive.
Rallier le chancelier Scholz à la position française en matière d’autonomie stratégique sera un exercice compliqué. Mais il faut se souvenir que son prédécesseur social-démocrate Schroeder était arrivé au pouvoir avec la volonté de se rapprocher des Britanniques, sans pouvoir concrétiser cette vision.
Le premier argument en faveur d’un rapprochement est militaire : il conviendrait d’insister sur le fait que la guerre en Ukraine a clairement démontré les limites de la politique sécuritaire, économique et énergétique de l’ère Merkel. Cela remet en question l’idée que l’Europe peut compter exclusivement sur d’autres acteurs pour sa sécurité et sa prospérité. En outre, sur le forme, il est nécessaire de surmonter les méfiances et les malentendus existants. La position française sur l’autonomie stratégique a parfois été mal interprétée en dehors de nos frontières, en étant perçue comme une posture néo-gaulliste, hostile aux Etats-Unis. Il est important de clarifier que l’autonomie stratégique ne signifie pas une rupture avec les partenaires existants, mais plutôt une complémentarité avec eux pour renforcer la sécurité européenne.
Sur un plan concret, le message à faire passer est que la complaisance et le déni ne sont plus des options viables pour les Européens aujourd’hui. Les dangers géopolitiques émergents, notamment ceux posés par la Russie et la Chine, nécessitent une réponse ferme et coordonnée au niveau européen. L’autonomie stratégique offre la possibilité de prendre des décisions indépendantes, de diversifier les alliances et de protéger les intérêts économiques sans dépendre uniquement des États-Unis. Enfin, dans un pays où l’affaiblissement démographique est notable, la coopération économique et commerciale est importante, car c’est elle qui permettra de maintenir le niveau de vie. Toutefois, elle doit être équilibrée avec la nécessité de préserver la sécurité et la souveraineté européennes.
Loïk Le Floch-Prigent : L’objectif est donc de montrer au Chancelier qu’il se trompe à la fois en ce qui concerne la France, mais aussi l’Allemagne et l’Europe si cela l’intéresse encore.
Le premier argument est de lui montrer que la France, dans la configuration actuelle, n’a pas le choix, c’est-à-dire que l’ensemble de ses investissements, en particulier ses réseaux, est directement lié à ses réacteurs nucléaires qui ont la particularité d’être pilotables mais de façon beaucoup moins flexibles que les centrales hydrauliques, à gaz ou à charbon. Notre réseau ne pourra pas accepter plus d’énergies intermittentes qu’actuellement sans se déséquilibrer gravement et mettre en péril notre pays. Les énergies intermittentes (solaire et éolienne) et surtout l’énergie éolienne qui est à la fois intermittente et aléatoire (imprévisibilité de la force du vent) ne sont en rien complémentaires de notre énergie d’origine nucléaire. En conséquence un changement de politique électrique est impossible pour le pays sans prendre le risque d’un arrêt complet de l’alimentation pour des régions entières ou le pays tout entier. Aucun chef d’Etat ne peut s’autoriser à faire courir ce risque à sa population. La France va donc poursuivre sa politique nucléaire, à la fois de carénage des installations actuelles et de préparation de nouveaux réacteurs. En ce qui concerne ceux-ci tous les pays qui utilisent l’énergie nucléaire espèrent en une mise au point des réacteurs à neutrons rapides qui résolvent le problème des déchets en les utilisant comme combustibles. Un chef d’Etat n’a pas d’autre ambition que de satisfaire les besoins de sa population.
Mais c’est aussi sur l’Allemagne qu’il se trompe, c’est-à-dire qu’en abandonnant le nucléaire et en voulant obtenir de la France qu’elle fasse de même, il fragilise la position de l’Allemagne qui va, par précaution, faire repartir un grand nombre de centrales à charbon en attendant que les centrales à gaz qu’il a décidées sortent de terre et obtiennent les contrats de gaz nécessaires. Ceci va augmenter la pollution de l’air chez lui mais aussi dans les pays voisins, en particulier la France, bien sûr, mais aussi la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas. Cela va augmenter aussi la carbonation de l’Allemagne et la fragilisera dans les négociations internationales. Mais aussi le maintien d’une électricité abondante en France peut protéger aussi l’Allemagne qui a toujours été (y compris aujourd’hui) un client du nucléaire français. Il a donc tout à gagner de l’existence d’un voisin et partenaire prospère à l’électricité bon marché. Certes aujourd’hui il se sert de sa situation économique florissante pour baisser artificiellement le prix de son électricité pour ses industriels, mais ceci n’aura qu’un temps car l’addition va être de plus en plus salée, et ses industriels regardent de plus en plus vers les Etats-Unis pour leurs investissements futurs. Le Chancelier a donc intérêt lui aussi à ce que la France maintienne un outil nucléaire conséquent et efficace.
Enfin, s’il pense encore que l’Europe a un sens, que son intérêt n’est pas seulement celui de son pays, il doit bien voir que la prospérité de ses premiers clients lui importe, et ce sont les européens, en premier lieu la France ! Une France paupérisée et désindustrialisée va forcément affaiblir l’Europe tout entière, et cela n’est pas acceptable pour la plupart des pays, même si tous ne désirent pas forcément se doter de l’outil nucléaire. Déjà beaucoup de pays sont dans notre « club » nucléaire, mais un par un ils vont finir par s’y rallier à mesure que la prospérité du Continent va être mise à l’épreuve. Les opinions publiques ne peuvent pas accepter longtemps une carbonation énorme à partir des centrales à gaz, mais surtout un regain de pollution à cause des centrales à charbon. C’est tout l’équilibre du continent qui est en question, et cela aucun chancelier allemand ne peut et ne doit l’accepter.
Voilà si besoin il y avait de l’expliquer encore, une analyse qui mériterait des débats structurants et structurés. Il faut reprendre la main aux « politiques »
pour « éclairer » les Françaises , les Français et tous les Européens . Le nucléaire bashing doit plus que jamais reculer Il en va de notre reconquête de l’avenir de la France et de l’UE si tant est que dans l’état actuel cette dernière est encore un sens .
Je vais prendre le temps de vous lire et de vous relire. Je suis interloquée (par rapport à l’histoire, la réalité et l’éventualité) et votre définition de l’histoire de la diplomatie etc..
Là, je suis très inquiète que vous ne parlez pas de la guerre de l’énergie et de l’eau qui existe depuis plus de 10 ans. A vous lire à nouveau