Du fait de la crise sanitaire et économique, les résultats de la Convention citoyenne pour le climat semblent être passés à la trappe. Cette expérience de démocratie participative était-elle judicieuse ?
La crise sanitaire a pris la préséance sur de très nombreux sujets, et semble avoir évacué la question écologique des débats. Les espoirs des membres de la Convention sur le climat sont-ils voués à être déçus ? Emmanuel Macron va-t-il être dans l’impossibilité de tenir ses engagements à leur égard ?
Christophe Boutin : Je ne suis pas certain, même si effectivement la crise sanitaire actuelle semble avoir pris le pas sur tous les autres sujets, que la question écologique ait été totalement écartée de l’esprit de nos dirigeants. Je pense au contraire que, dans les six prochains mois, on va nous présenter tout un programme politique et économique destiné à la fois, nous dira-t-on, à tirer le bilan de la crise sanitaire et de répondre aux crises économiques et sociales qu’elle va nécessairement entraîner, pour nous proposer de partir dans une nouvelle direction sociétale, mais en arguant aussi, pour justifier ces nouveaux choix, du fait que l’on pourra cette fois partir sur de nouvelles bases saines en prenant en compte les enjeux environnementaux. En ce sens, les espoirs des membres de la Convention citoyenne sur le climat ne sont sans doute déçus que de manière temporaire.
Il est vrai qu’Emmanuel Macron s’était engagé à l’époque par un « contrat moral », à soumettre « sans filtre » les propositions de la Convention qu’il créait, soit au Parlement, pour ce qui devait déboucher sur des lois, soit même éventuellement à l’ensemble des citoyens pour qu’ils décident par un référendum, et, pour le reste, au gouvernement, pour qu’il prenne des actes réglementaires. Or certains anciens membres de la Convention sont actuellement déçus, parce qu’ils ont l’impression que cela ne va pas assez vite, que certaines de leurs propositions sont trop discutées, par le gouvernement ou par le Parlement, et qu’elles en ressortent trop modifiées. Mais, il est permis de se poser la question de savoir si ces modifications ne sont pas un combat d’arrière-garde qui sera balayé très rapidement.
C’est que l’histoire que l’on nous raconte est un roman pour enfants, un film de propagande destiné à nous faire valider les choix de la Convention. Que nous présente-t-on ? D’un côté, un monde qui irait à la catastrophe environnementale sous les effets d’un système économique protégé par une caste administrative autiste et irresponsable ; de l’autre, mêlant le peuple aux experts (n’y a-t-on pas entendu Yan Arthus Bertrand ?), la Convention citoyenne, qui aurait fait des choix rationnels et rigoureux contre les non-choix de gouvernants coupés des réalités. C’est l’habituel schéma binaire, le Bien contre le Mal, la Vérité contre l’Erreur. Et comme les méchants cherchent, malgré les mises en garde catastrophistes, à conserver la main, les Purs, devenus Vigilants, sorte de méga-wokes, doivent maintenant veiller à ce que leurs décisions soient bien appliquées.
Ils devraient pourtant être rassurés : par sa composition, par l’encadrement de ses travaux, par la préparation de ses décisions, il est permis de penser que de la Convention citoyenne n’a jamais exprimé autre chose que les vœux du Système en place, pleinement conscient qu’il devait remodeler l’acceptabilité de son modèle économico-social, que cela impliquerait des contraintes lourdes, y compris économiques, sur des populations déjà traumatisées, en pleine crise due à l’insécurité dans laquelle elles sont plongées. Et que ce seront les mêmes éléments qui seront présentés comme d’absolues nécessités techniques dans six mois par le dit Système, qui arguera alors, pour renforcer sa légitimité, des conclusions d’une Convention citoyenne dont les membres naïfs n’auront finalement joué que le rôle des idiots utiles de service.
Loïk Le Floch-Prigent : La crise sanitaire, c’est-à-dire les conséquences des mesures prises pour lutter contre la pandémie, a pris le pas sur tous les autres questions à la fois durant les premiers mois de confinement et encore plus depuis le reconfinement. Sauver l’économie, éviter une crise sociale sans précédent est devenu la hantise des gouvernants qui ont abandonné désormais toute prétention à équilibrer les comptes de la nation. Après l’époque où l’on comptait succède une ère où l’argent coule à flots pour tenter de conserver une certaine cohésion nationale. Malgré une tentative de l’écologie politique de démontrer que les causes de la pandémie convergeaient avec leurs thèses et que les solutions étaient celles qu’ils préconisaient, force est de constater qu’il n’y a aucune confluence et que toutes les idéologies, celle-là comme les autres, sont dépassées par ce virus qui va qui vient au gré de ses humeurs. Il n’y a donc pas d’apport déterminant de la part des tenants de l’écologisme.
La convention citoyenne qui a fait « travailler » 150 personnes sur les mesures à adopter pour « verdir » la politique gouvernementale est née dans l’ambiguïté : les citoyens étaient tirés au sort en principe, mais il fallait aussi qu’ils soient volontaires, il y a donc eu un écrémage qui a réuni des citoyens concernés par le sujet et qui étaient ou sont devenus des militants, mais par ailleurs il y a eu « encadrement » des séances et choix des auditions conduisant à 149 propositions très proches de celles qui apparaissent dans les programmes classiques . Mais l’idée , avant l’arrivée du virus, était de calmer les ardeurs écologistes tout en innovant avec une initiative de démocratie participative. Les risques étaient bien de voir arriver des propositions de « décroissance » et de connaitre un conflit de légitimité entre la représentation nationale et une instance inédite : désormais il ne peut y avoir que des mécontents, c’est un ratage.
Tandis que le Ministre de l’Economie essaie d’éviter le drame économique avec des mesures de relance, les propositions de décroissance sont clairement en contradiction avec ses orientations tandis que les parlementaires désirent montrer leur implication en préparation des scrutins à venir. Il y aura, au minimum des déceptions, au pire des conflits dont on aurait pu faire l’économie car la cohésion nationale seule peut réussir à nous sortir des difficultés. En ce qui concerne les promesses du Président de la République, un de ses illustres prédécesseurs disaient qu’elles « n’engageaient que ceux qui les écoutent ! »
L’expérience de démocratie participative telle qu’elle a été réalisée, en particulier sur le sujet du climat, était-t-elle judicieuse ?
Christophe Boutin : Rappelons le contexte. Confronté à la crise des Gilets jaunes, dont on rappellera qu’elle avait pour origine une mesure à vocation environnementale mais qui augmentait les coûts du carburant, Emmanuel Macron a d’abord tenté de répondre par le Grand débat. On sait qu’il n’est rien ressorti de ce long monologue organisé çà et là dans la France par le chef de l’État, quand il fallait pourtant paraître « donner la parole au peuple », montrer que le pouvoir était à l’écoute des citoyens et que les choix de ces derniers pouvaient être pris en compte. C’est donc dans cette logique qu’Édouard Philippe avait mis en œuvre, à la demande d’Emmanuel Macron, cette Convention, avec la volonté d’« impliquer toute la société dans la transition écologique à travers un échantillon représentatif de citoyens ».
« Impliquer toute la société », le but est clair : il s’agit bel et bien de faire taire les réserves – pour ne pas dire plus – qui naissent de plus en plus en France à l’encontre d’un certain nombre de réformes prétendument justifiées pour des motifs environnementaux mais aux conséquences économiques ou sociales particulièrement lourdes. Pour cela on rassemble un échantillon censé être représentatif des Français et dont le petit format – 150 personnes – permet qu’ils puisse dialoguer avec des experts et on leur demande formuler des propositions en arguant de leur légitimité démocratique.
Nous avons avec Frédéric Rouvillois, dans une note publiée par la Fondation du Pont-neuf, « Un trou noir démocratique », examiné cette Convention pour en révéler les dysfonctionnements. Nous avons noté d’abord son caractère non-représentatif, les 150 personnes ayant été tirées au sort mais aussi sélectionnées sur des critères censés permettre de traduire la diversité de la société française – un peu comme pour les panels des instituts de sondage -, avec des critères privilégiés et d’autres écartés sans que l’on comprenne bien pourquoi. Elle n’était pas indépendante ensuite, mais pilotée par des groupes de pression et des think tank – au premier rang desquels Terra nova, représentant de la gauche progressiste. Ses choix ont été ensuite orientés, sinon encadrés : d’anciens membres de la Convention ont reconnu qu’il leur avait été parfois difficile de savoir, s’ils assistaient à des présentations neutres ou étaient soumis aux pressions de lobbyistes, les experts étant largement univoques sur certains points – dont, bien sur, celui de l’urgence climatique.
On supposait qu’il y aurait enfin une nécessaire concordance entre les choix de la Convention et ceux du peuple, mais il n’en a rien été : par exemple, la limitation de vitesse à 110 km/h sur autoroute, adoptée par la Convention à près de 60 %, a été rejeté dans un sondage par 74 % des Français – et d’ailleurs écartée par le gouvernement. On nous expliqua alors que ce désaccord n’existait que parce que les Français n’avaient pas eu la chance d’être éclairés par les débats, et répondaient donc plus avec leurs tripes qu’avec leur raison, ce qui compte tenu de « l’éclairage » en question était un peu fort de café.
On a donc assisté ici à une expérience d’utilisation de la démocratie participative afin d’écarter des débats trop gênant et de faire valider des décisions déjà actées en leur conférant une pseudo-légitimité citoyenne beaucoup plus qu’à une véritable expression de démocratie participative qui, de toute manière, telle qu’elle était mise en œuvre, posait un véritable problème de légitimité et venait perturber le fonctionnement de notre démocratie représentative… qui n’a certes pas besoin de cela en ce moment.
Loïk Le Floch-Prigent : Il est difficile de faire des expérimentations de nouvelle démocratie tout en effectuant des manœuvres politiciennes. Les « gilets jaunes » avaient montré un déficit de relations entre gouvernants et citoyens : plutôt que se lancer dans une innovation destinée à capter les voix écologistes, il aurait été judicieux de comprendre les causes de l’éloignement entre les administrations et les administrés. Toutes les études convergent sur des problèmes dus à un Etat obèse et tatillon, une surcharge des normes et règlements, un aveuglement méprisant des élites : l’idée de prendre le pouls d’une population à bout de nerfs n’était donc pas mauvaise. Encore fallait-il « en même temps » réduire le train de vie de l’Etat, en privilégiant le service public, l’aide aux contribuables plutôt que le contrôle et les sanctions des contraintes imposées. A cet égard les 149 mesures proposées par la fameuse convention citoyenne vont toutes dans le mauvais sens, elle suggèrent de restreindre les libertés des citoyens tout en suggérant des punitions. On a vu aussi lors de la pandémie se succéder des experts médicaux aux opinions contradictoires, la population a désormais du mal à respecter les paroles des experts, encore plus à obéir à certains d’entre eux : le « conseil scientifique », autre instance innovante a ainsi fait perdre encore plus la confiance dans une démocratie nouvelle. La représentation nationale légitime est mise en question, mais ce n’est pas demain que les « conventions citoyennes » vont pouvoir la faire oublier.
En intégrant des membres de la convention citoyenne à des discussions gouvernementales techniques pour la mise en application des propositions, le gouvernement a rendu les citoyens impuissants, est-ce une erreur stratégique ou un choix délibéré ?
Christophe Boutin : Recevant les membres de la Convention à l’issu de leurs travaux, Emmanuel Macron déclarait : « J’ai besoin […] que vous acceptiez d’être encore associés au travail de suivi avec les administrations et avec les parlementaires pour que vous soyez en quelque sorte vos propres garants du travail […] S’il y a des choses qui vous semblent incompréhensibles dans les blocages, vous aurez vis-à-vis du Gouvernement et de moi-même un droit d’alerte, celui de dire sur ce point sans explication l’ambition que nous avons portée et la cohérence de notre projet est trahie. »
Stupéfiante affirmation : trahison de qui ? Des autorités normatives, du Parlement aux maires, en passant par le gouvernement ? Mais ce sont là des autorités légitimes démocratiquement, alors que nous avons vu ce qu’il en est de la Convention… Pour continuer en tout cas d’exister, ses membres ont créé une « Association des 150 », visant notamment à « répondre, […] aux solutions législatives, référendaires ou réglementaires avancées par le gouvernement », et qui prend régulièrement la parole pour s’interroger sur l’évolution des travaux. Mais quoi qu’en disent les tenants de la démocratie participative, une telle association n’a absolument aucune légitimité.
En fait, il y aurait eu semble-t-il une sorte d’incompréhension dès le départ. Emmanuel Macron a annoncé à des gens sortis de nulle part que leur parole allait être supérieure, non seulement à celle des autres Français – pas la peine de consulter ces derniers puisqu’ils voudraient de toute manière la même chose que la Convention s’ils étaient bien briefés – mais aussi à la volonté du Parlement ou du gouvernement, puisqu’elle serait directement normative. Voulait-il simplement dire que l’on étudierait avec soin leurs propositions ? Les termes très forts employés par le Président (« contrat moral », « obligation », « alerte », « trahison »…) laissaient en tout cas la place au doute, et sur la finalité de la Convention, et sur ce qu’il devait advenir de ses travaux.
D’où, en partie au moins, la situation actuelle. Certains membres de la Convention estiment que leur œuvre a été trahie : quand ils demandent un moratoire pour mettre en œuvre la 5G, Emanuel Macron – le même qui les assurait de leur « droit d’alerte » – explique qu’il n’est pas question de « devenir Amish ». Et d’autres se demandent si le gouvernement ne va pas se limiter à faire du green washing comme certaines entreprises, camouflant des décisions nuisibles à l’environnement sous des apparences « vertes ».
C’est pourquoi certains se demandent si Emmanuel Macron ne se serait pas tiré une balle dans le pied avec cette Convention. Soit il lui donne raison, valide tous ses choix, et bouleverse alors totalement notre fonctionnement institutionnel, niant les principes mêmes de la démocratie représentative en substituant aux décisions d’un parlement élu celles de 150 personnes nommées dont les travaux sont loin d’avoir la transparence des travaux parlementaires. Soit il lui donne tort, et à ce moment-là perd en légitimité puisque, d’une part, il trahit sa parole ambiguë, et, d’autre part, semble se refuser une nouvelle fois à écouter la voix des citoyens.
Mais ce niveau de lecture n’est sans doute pas le seul. Selon le ministère de l’Environnement, 50 des 149 mesures présentées par la Convention sont d’ores et déjà actées dans des textes et font notamment partie des mesures inscrites dans les plans de relance prévus pour faire face à la crise du coronavirus (rénovation des habitations, véhicules propres, mode de travail différent…).
Est-ce un hasard ? Nous retrouvons nos interrogations initiales : il n’y a pas nécessairement opposition entre les choix d’une Convention savamment guidée et ceux d’un Système économico-politique qui avait de toute manière compris qu’il devait se réinventer. On nous excusera de citer une fois encore le prince de Salina du Guépard déclarant qu’il faut « que tout change pour que rien ne change », mais c’est effectivement une vieille ruse de tous les pouvoirs. Dans cette hypothèse, grâce à la Convention citoyenne, non seulement le Système va pouvoir imposer ses changements, mais il pourra le faire avec une pseudo-légitimité démocratique. Emmanuel Macron et les membres de la Convention seront tous heureux, mais le premier aura sans doute plus de raison de l’être.
Loïk Le Floch-Prigent : Un ratage est d’abord un ratage, involontaire ou délibéré, qu’importe. Toute cette agitation manque de réflexion et d’anticipation. L’idée de prendre 150 personnes pour proposer des mesures pour satisfaire les objectifs climatiques était absurde. Les experts ne sont pas en accord, loin de là. En ce qui concerne l’énergie, par exemple, les techniciens mettent en avant l’absence d’émissions de gaz à effet de serre des centrales nucléaires tandis que l’écologie politique considère que, pour d’autres raisons que climatiques, le nucléaire est le mal absolu. Mettre 150 citoyens dans ce débat sur le climat en occultant le débat nucléaire était une erreur originelle dont ils n’ont pu se sortir. Ils ont fini par considérer comme « écologiques » des dispositifs dont le bilan carbone était discutable. Mais, dans la mesure où les auditions ne pouvaient être encyclopédiques, ils sont restés sur des éléments de vérité très éloignés de la réalité de la science de l’environnement. C’était donc, si l’on voulait expérimenter une nouvelle démocratie participative sans doute le pire sujet à choisir : le ratage ne condamne pas l’innovation, mais un peu de préparation ne nuirait pas si l’on veut persévérer dans cette direction. Et, à la fin, mettre ces citoyens en prise directe avec le gouvernement et à la préparation d’un texte est plus qu’une erreur, une faute.