Les contrôleurs abusent de leur position pour prendre les Français en otage malgré les 15 milliards de subventions annuelles accordées à la SNCF. Mais la direction de l’entreprise peine aussi à comprendre les racines véritables de la crise.
Atlantico : À partir de ce vendredi 16 février, le trafic ferroviaire va être fortement perturbé au moins jusqu’au 18 février. La précarité de l’emploi, un manque de reconnaissance et des salaires trop bas motivent cette grève des contrôleurs ferroviaires. Quelles sont les racines profondes du mouvement social qui frappe la SNCF ? Une simple revendication salariale, ou une perte de sens dans l’exercice de leurs fonctions ?
Loïk Le Floch-Prigent : Il est clair que les premiers commentaires de la majorité des Français, c’est que cette grève en pleines vacances scolaires est insupportable, certains en imputent la responsabilité aux cheminots, d’autres à la direction de l’entreprise, mais il faut prendre du recul.
Si l’on interrogeait la population pour savoir ce qu’ils reprochent à la SNCF, ils répondraient probablement : les grèves , surtout en périodes de vacances, et celles-ci n’ont pas manqué puisque l’on compte lors de l’année 2023 de l’ordre de 37 jours de grève, y compris celles liées au dossier retraites. Mais cela ne date pas d’hier, il y a une culture « gréviste » dans le transport collectif en France avec des dépôts de « préavis de grève » locaux, régionaux ou nationaux effectivement irritants.
Une réforme de la SNCF c’est donc répondre en priorité à cette demande des Français : ne pas prendre en « otages » les voyageurs lors des désaccords entre salariés et direction. Il était donc du devoir de l’Etat présentant lors de la précédente législature un « réforme » de répondre à cette priorité : cela n’a pas été le cas, on a divisé l’entreprise en deux, on a célébré la concurrence et on a inventé un nouveau statut pour les nouveaux arrivants, faisant cohabiter les « anciens » et les « nouveaux » avec des disparités fortes et incomprises par les deux groupes. Ce dernier point a été, en particulier, mal vécu par les « contrôleurs » ou ACT ( agents commerciaux trains) c’est-à-dire les roulants devenus des garanties de sécurité dans les voitures au-delà du contrôle des billets assisté par le passage automatique dans les gares. Les slogans « à nous de vous faire préférer le train » et «vous avez voyagé dans le moyen de transport le plus écologique » étaient censés les motiver : il n’en a rien été. Le sujet comment éviter les mouvements de grève n’a pas été traité tandis que la fierté d’appartenir à une confrérie « cheminote » qui fait la promotion du meilleur moyen de transport pour la nation cédait la place à la grogne des clients payant cher des trains qui avaient des difficulté pour arriver à l’heure pour des tas de raisons y compris un déficit croissant de bonne maintenance des trains et des voies !
Effectivement, les cheminots anciens et nouveaux ont perdu le sens de leur fonction, de celle du train comme de leur engagement, le « turn over » a cru dangereusement et la grogne était évidente.
Il eut donc fallu à la fois traiter de cette grève suicidaire , une mauvaise tradition, et du sens de la vie cheminote, on a préféré une réforme idéologique à celle du bon sens. Il n’est pas trop tard, il faut d’urgence réaliser le retour d’expérience de la réforme à défaut d’avoir envisagé une véritable étude d’impact lors de son acception. Il faut engager une vraie négociation sur les conditions d’un arrêt de ces grèves suicidaires en donnant un sens à la vie des cheminots, en les écoutant.
Avant même l’ouverture de potentielles négociations, les syndicats ont opté pour la grève. Qu’est-ce que cela révèle du rapport de force entre la SNCF, l’État actionnaire et les syndicats qui exercent au sein de l’entreprise ?
Les syndicats ont bien compris que l’étage « direction de l’entreprise » était un leurre et que leur avenir dépendait de l’Etat ! Maltraiter les clients c’est demander à l’Etat de les entendre. C’est inacceptable, mais il faut balayer devant sa porte, y a-t-il une autonomie de gestion du chef d’entreprise ou la « tutelle » exerce-t-elle le vrai pouvoir de négociation ? Qui va donner du sens à leur travail ? Le PDG ou le Président de la République ? La réforme aurait du prévoir le cas de figure actuel. Comment concilier le « droit de grève » sans altérer la vie des millions de voyageurs lors des vacances en particulier ? Les voies de négociations existent, mais il faut traiter du problème carrément, fièrement, sans avoir peur et préparer des projets de lois avec les cheminots pour régler définitivement comme cela a été le cas chez la plupart de nos voisins européens ! Les cheminots sont fiers de leurs trains, beaucoup ont honte aujourd’hui de l’image nationale et internationale qu’ils donnent et le montrent en faisant circuler la moitié des trains ! Il faut partir de ce constat : tous les cheminots aiment le train et voudraient que l’ensemble de la population confirment cette position.
Est-ce que cette grève est le reflet de l’échec de la politique du gouvernement sur ce dossier ?
C’est incontestable, la priorité, c’est trouver à travers la fierté cheminote un accord éventuellement ratifié par une loi pour rendre les formes de revendication acceptables pour la population. Une partie des français célèbrent la concurrence en théorie mais lorsque les retards et les grèves s’accumulent ils perdent le sens de l’humour !
Comment éviter la résurgence de ce genre de mouvement récurrent ?
On repart pour un tour de discussions et de négociations en disant aux cheminots : c’est une honte pour vous comme pour nous d’en arriver à ces grèves pendant les vacances on se doit pour la République, pour la France, de retrouver un fonctionnement acceptable pour tous les clients du train, il doit être régulier, attractif, et on se doit de trouver un accord pour ne plus prendre les Français en otages tout en faisant avancer les revendications des uns et des autres et en expliquant les blocages. Il est clair que l’endettement excessif du pays et les problèmes insolubles de financement des infrastructures n’arrangent rien, mais il faut avoir le courage de les expliquer à l’ensemble de la population et, en priorité, à la fraternité cheminote : ça passe ou ça casse, mais seule la franchise permettra de franchir les difficultés. « Vous ne croyez pas au Père Noël, nous non plus ! On ne peut pas donner ce que l’on n’a plus, mais travaillons ensemble pour que les Français et vous tous redeveniez fiers de notre train ».