Pierre Dreyfus, ancien PDG de la Régie Renault, qui m’a mis le pied à l’étrier dans l’industrie après mon travail quotidien auprès de lui en 1981 et 1982, né à Paris, avait une famille d’origine alsacienne. Les Dreyfus y étaient nombreux, pas forcément apparentés, d’origine juive comme on le sait. L’Alsace tenait une grande place dans son cœur même si l’industrie automobile implantée dans l’Est était celle de la famille Peugeot LE concurrent historique de son entreprise. Il m’avait appris à regarder l’aventure industrielle de cette petite partie de la France et à connaitre les grandes familles alsaciennes protestantes, juives et catholiques liées aux industriels allemands et suisses qui allaient construire des empires industriels familiaux dont les noms restent gravés dans les mémoires. C’est toujours avec émotion que je me rends dans ce Haut Rhin autour de Mulhouse, Colmar et Saint-Louis comme à Strasbourg qui est un grand lieu patriote ouvert sur l’Europe et le monde. L’Alsace a lutté pour rester dans l’Hexagone, dont elle était sortie entre 1870 et 1919, et les pages de l’Histoire de France sont remplies de celles qui parlent de cette région. Ceux qui n’ont pas vu le retable d’Issenheim à Colmar ont une culture incertaine ou tronquée, comme ceux qui ne connaissent pas les efforts entrepris à Mulhouse et Colmar pour l’apprentissage, l’université a été pilote pour cette opération indispensable pour notre avenir industriel.
C’est à Mulhouse que le coronavirus a voulu s’installer, il a choisi une rencontre religieuse mondiale du 17 au 21 février d’environ 2500 personnes pour recueillir en premier la plus grande concentration de personnes infectées puis hospitalisées, puis sous réanimation . Pour s’en sortir il a fallu faire appel à l’armée, aux hôpitaux d’autres régions en France et en Allemagne et d’une installation provisoire militaire avec 30 lits de réanimation. La solidarité à l’égard de la ville, de l’agglomération, a été exemplaire, mais les alsaciens ont essuyé les plâtres de procédures de confinement imprécises , de tests insuffisants et de protections aléatoires où des soignants ont été profondément atteints tandis qu’un médecin y laissait sa vie .Début Mars les annonces se succèdent ,un cas le 3 , puis une famille le 5, le 7 encore plus et le début des hospitalisations. Le 12 Mars au soir le confinement est annoncé pour le 16 et les élections municipales se déroulent le 14 Mars avec , à Mulhouse, une participation de 26%, ce qui correspond à la moitié de la moyenne nationale . Pour ceux qui ne connaissent pas l’Alsace, inutile de me dire que c’est un endroit où la population ne respecte pas les règles, dans ma Bretagne natale on n’aime guère les ordres venus d’en haut , et j’ai toujours été amusé par cette différence culturelle évidente. La manifestation prévue a été autorisée et ensuite aucune mise en garde n’est venue anticiper le drame jusqu’à l’apparition du premier cas. Le 18 Février le Chef de l’Etat était d’ailleurs au même endroit, à Boutzwiller, le quartier de Mulhouse, avec des bains de foule dans un quartier « de sécurité décidé en 2012.C’est à la même date, le 21 Février qu’arrive en France le premier avion des français rapatriés de WuHan. D’autres que moi écriront sur la dispersion du virus et sur le temps qu’il a fallu pour recevoir les premières consignes et les matériels de protection, mais il sera difficile de considérer que les gens de Mulhouse sont coupables de légèreté et qu’ils méritent la punition qui leur a été infligée. Les fermetures décidées par l’industrie automobile (premier cas chez Peugeot le 5 Mars) puis celles de tous les centres de production et les commerces n’ont pas du arranger la vie de nos concitoyens et ceux qui dépriment à cause du confinement en Ile de France ou d’autres doivent se réjouir de ne pas avoir été à Mulhouse, la peur au ventre, pendant cette période . Les autres parties du triangle , en Allemagne et en Suisse, limitrophes, en particulier Bale dont la banlieue est en France à Saint-Louis, n’ont pas connu les rigueurs de la pandémie, les études épidémiologiques nous éclaireront sans doute plus tard sur cette étrangeté. On dira que cette année 2020 n’était pas celle de l’Alsace , et cette région du Haut-Rhin particulièrement.
En effet, même si les alsaciens avaient fini par s’habituer aux annonces concernant la Centrale de Fessenheim (située entre Mulhouse et Colmar) , la fermeture du premier réacteur le Samedi 22 Février à 2h du matin a été un choc qui doit se poursuivre avec la fermeture définitive le 30 Juin. Et donc , tandis que le rassemblement évangéliste se termine, ainsi que la visite du Président de la République en Alsace, que la pandémie semble s’accélérer, l’Etat considère comme prioritaire de punir préventivement l’Alsace , et le confinement qui a suivi ne change rien puisque l’on annonce la confirmation de la fermeture du 30 Juin du deuxième réacteur ainsi que le déblocage d’une rallonge de 2 Milliards pour le raccordement des éoliennes. Pour la même puissance installée il faut 3000 éoliennes et elles ne peuvent produire que 25% de leur capacité car le vent est intermittent. L’Alsace espère d’ailleurs ne pas « récolter » trop d’éoliennes qui viendraient défigurer leur province. Comme le soulignent tous les rapports, cette décision de fermeture est uniquement politique, elle n’a aucun fondement scientifique, technique , industriel , économique ou social. Rien ne tient dans cette affaire, seulement un engagement électoral élaboré par Martine Aubry, avalé par François Hollande et finalement accepté par Emmanuel Macron . Perte pour la France, c’est clair, mais aussi perte pour l’Alsace sur laquelle la concordance des punitions infligées nous oblige à revenir
Pour l’agglomération de Fessenheim, c’est une perte directe, on supprime un outil performant et nécessaire en ne le remplaçant par rien. En termes d’emplois, de tissu social, c’est un désastre totalement arbitraire et non compensé. On a eu le temps de se préparer, mais on n’a finalement rien préparé du tout . La Cour des Comptes pointe cette hémorragie dans l’emploi local avec raison . Mais la Centrale était motrice dans un réseau, interconnecté avec l’Allemagne et la Suisse parties prenantes dans la Centrale. On peut essayer de réaliser des prévisions sur les conséquences de la suppression d’un outil , mais beaucoup d’évènements qui changent le cours des choses peuvent se produire, on vient de le voir avec la baisse de consommation électrique due à la pandémie, on peut assister dans l’autre sens avec une poussée de la demande dans des périodes en général creuses où s’engagent les actions de maintenance . Le réseau électrique n’aime ni les poussées de fièvre, ni le fonctionnement trop modéré . Les risques de la fermeture de Fessenheim ont été mesurés pour des situations saisonnières habituelles, mais l’Allemagne a immédiatement décidé d’ouvrir en urgence une nouvelle centrale à charbon, ce qui est rassurant pour l’Alsace ! Que la politique environnementale de la France conduise à fragiliser le réseau d’un de ses territoires et à applaudir l’utilisation du charbon devrait faire bondir les défenseurs du climat ! Hé bien non, leur obsession anti-nucléaire les rend aveugles et sourds, et que les alsaciens soient sauvés par les allemands et leur charbon ne les émeut pas.
En cette période où l’Alsace a été durement touchée par les atermoiements gouvernementaux et administratifs autour du coronavirus, était-il nécessaire de lui infliger la double peine de la fermeture de Fessenheim sans préparation sérieuse et de fragiliser le réseau électrique de la région ? Je ne le pense pas , mais les industriels se taisent , les responsables politiques aussi, alors que les conséquences de la fermeture de Fessenheim les concerne au premier chef . Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas une levée de boucliers locale pour demander un moratoire , il est urgent de surseoir à cette décision absurde, sinon c’est préparer pour cette partie de la France la probabilité d’une triple peine : des délestages et le noir.