Le ralentissement de l’économie engendré par le coronavirus aurait dû nous permettre de nous approcher des objectifs de réduction des gaz à effet de serre prévus par l’accord de Paris sur le climat. Mais le prix social à payer est extrêmement lourd.
Le ralentissement de l’économie engendré par le coronavirus nous a-t-il permis d’atteindre certains objectifs fixés lors de l’accord de Paris sur le climat ? Notamment concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre ?
Pierre Bentata : La réponse est oui. On s’est posé la question depuis le premier confinement. Des résultats assez pointus sont sortis dans des revues de haut niveau. Le dernier article en date publié sur le sujet l’a été dans Nature le 14 octobre. Il observe que l’on a eu au niveau mondiale une baisse de 8,8% des émissions de gaz à effet de serre sur l’année 2020. Or, les accords de Paris nous disent qu’il faut baisse de 7,6% par an. On est dans les clous. Si on continue comme cela jusqu’à 2030, on aura réussi à atteindre les objectifs des accords de Paris. Attention, je ne considère pas du tout que c’est bénéfique, car si on regarde l’impact à côté, il est catastrophique ! Mais on montre ce qu’il faudrait faire pour atteindre des objectifs pareils.
Le fait d’avoir un ralentissement de l’activité et de la totalité des chaînes de production fait qu’on a moins d’exploitation de terres rares, par exemple. La contrepartie est que, dans les pays pauvres par exemple, l’affaiblissement du pouvoir d’achat fait que l’Etat reprend en main certaines activités, comme les activités minières. Et on pourrait donc voir un retournement négatif. En France, on a ainsi rouvert des centrales à charbon pour compenser la fermeture de Fessenheim : sur un plan écologique, ce n’est pas du tout une bonne solution.
Loïk Le Floch-Prigent : J’ai lu avec attention tout ce qui a été écrit sur les changements intervenus dans un grand nombre de pays avec le ralentissement de l’activité humaine, conséquence directe des décisions prises pour ralentir la pandémie. Ce qu’il y a de plus significatif a été, en Chine comme en Europe, la chute des émissions d’oxydes d’azote dans les villes et donc une meilleure qualité de l’air. On a donc démontré, ce que nous savions déjà, que les transports à énergie thermique polluent les agglomérations. Mais les climatologues qui ont centré leur communication sur le gaz carbonique (CO2) ont voulu voir un grand progrès dans cette décélération et n’ont guère convaincu. On rappelle que le CO2 n’est pas un polluant mais, aux cotés du méthane et des oxydes d’azote, un gaz à effet de serre. Sans doute plus intéressés à la survie immédiate des humains, la communauté scientifique n’a pas diligenté toutes les études qui auraient pu éclairer le débat que vous suggérez ! Autant il est possible de mesurer l’impact d’une baisse d’activité sur une ville, essentiellement sur la pollution de l’air, autant il est difficile de tirer des enseignements pour la planète entière de ce qui a pu arriver par exemple en France qui représente 1 petit pour cent de la population mondiale. Quant aux objectifs du fameux accord de Paris, sont-ils vraiment encore d’actualité ? On ferme la centrale nucléaire de Fessenheim, on ouvre en conséquence une centrale à charbon en Allemagne et on continue à investir dans le charbon dans bon nombre de pays : Chine, Inde… Plutôt que de poursuivre un Graal inaccessible, il serait plus raisonnable de favoriser l’énergie nucléaire comme le suggèrent désormais la plupart des experts.
Quelles sont les conséquences de ce ralentissement économique ? Sur la croissance, le PIB et plus généralement la situation française ? Doit on considérer que ce sont des sacrifices qu’il faudra faire pour répondre aux critères de l’accord de Paris ? Les politiques peuvent-ils en assumer les conséquences sociales ?
Pierre Bentata : Les chiffres nous montrent que la décroissance, la démondialisation, la volonté d’atteindre les accords de Paris sans innovations technologiques, vont conduire la population à la pauvreté. Des statistiques nous montrent que c’est ce qui se passe. Nous avons une logique de déglobalisation – car nous avons mis à l’arrêt des chaînes de production internationales – et l’OMC nous dit que le commerce international a chuté de 13 à 32%, ce qui est une première : même pendant la Seconde guerre mondiale, nous n’avons pas connu une chute si importante si on prend la valeur haute de 32%. L’OCDE nous dit que la conséquence de cette chute est une baisse de 13% du PIB au niveau mondial. En France, on est dans la moyenne : on sera entre -10 et -15%, ce qui est une véritable catastrophe. Si on a vraiment un objectif écologique, on le prend par le mauvais bout car le seul moyen d’atteindre cet objectif sans innovations sera de mettre à l’arrêt le monde, de baisser la croissance et la production. Les derniers rapports de l’OCDE montrent que cette logique, depuis le début de la crise, s’est traduite par une augmentation de 1,5 million du nombre de personnes vivant en extrême pauvreté. Depuis 1960, en moyenne 4 millions de personnes sortaient de l’extrême pauvreté chaque année. En 2020, ce n’est pas 4 millions en moins, c’est 1,5 million en plus. C’est une tragédie d’abord pour les populations les plus fragiles d’abord dans les pays les plus pauvres. Avant de se réjouir du mieux au niveau écologique, il faut le mettre en perspective avec cette catastrophe humaine.
Loïk Le Floch-Prigent : On revient ici aux questions sur la France dont on sait que quoi qu’elle fasse elle n’aura qu’une influence négligeable sur le climat. Le confinement émotionnel trouvant des vertus à un arrêt des activités industrielles nous a montré l’étendue du désastre du ralentissement non programmé. Notre économie était aussi très dépendante des activités touristiques, on a mesuré les conséquences d’une telle dépendance. La délocalisation d’activités manufacturières depuis une trentaine d’années a laissé également entrevoir combien notre indépendance nationale s’était affaiblie, en particulier sur des produits essentiels pour assurer la santé de nos concitoyens. La décroissance due au confinement a eu un prix, résolu temporairement par un surendettement, et les apôtres de formules volontaristes pour « la planète » devraient rapidement réfléchir à leurs recettes pour changer le fonctionnement de notre société. Le rêve de la plupart de nos concitoyens c’est que le pays fonctionne de nouveau « comme avant » et les réactions au nouveau confinement viennent conforter ce point de vue. Si les sacrifices sont plus ou moins bien acceptés aujourd’hui avec des arguments sur un nombre de morts à court terme à éviter, on peut raisonnablement douter que l’on puisse convaincre rapidement les Français de la nécessité d’une décroissance qui ferait mourir encore plus vite une économie déjà moribonde dont les conséquences sociales sont actuellement ralenties par des efforts considérables ressemblant plus à une politique de funambules qu’à des actes raisonnés et réfléchis. La poursuite, par exemple, du programme énergétique portant sur le ralentissement de l’électricité nucléaire au profit des énergies renouvelables est un drame potentiel pour notre pays sur lequel il faudra bien revenir en urgence : nous n’avons plus les moyens de remplacer une énergie abondante et bon marché par une énergie chère et intermittente. Il en est ainsi de nombreux choix effectués dans une euphorie de sauvetage de la planète qui se heurtent désormais à la nécessité de restaurer d’abord la confiance des citoyens français sur l’avenir de leur pays : avenir sanitaire, économique, social et sociétal ! La priorité c’est de redresser le pays et cela ne sera pas facile. Il sera sans doute difficile politiquement de dire que l’accord de Paris est oublié, mais dans les décisions à prendre il serait bon de ne pas trop en tenir compte, le coronavirus est passé par là !
Peut on, à l’inverse de la situation actuelle imposée par le coronavirus, envisager une solution conciliant les critères de l’accord de Paris et la sauvegarde de l’économie, ou ces sacrifices sont-ils inévitables ?
Pierre Bentata : Deux points de vue s’opposent. Les partisans d’un développement durable, les radiaux de l’écologie, disent « c’est le développement OU la protection de l’environnement ». De leur point de vue, on est en train de faire ce qu’ils considèrent qu’il faut faire. Et ce, alors qu’on en voit les débats. Quand vous voyez les propositions de gens comme, en France, Aurélien Barrau, c’est exactement ça : il faut limiter le commerce, faire de la décroissance. La conséquence de cela, c’est un environnement propre et des températures maîtrisés, mais avec un Etat totalitaire et des gens qui vivent dans la misère.
Ce n’est pas la seule voie. On voit bien que les pays les plus propres, ceux qui sont le plus avancés, sont aussi les plus riches. Ce n’est pas un hasard. Plus les gens sont riches, plus ils sont attentifs à l’environnement ; et plus vous avez des gens riches, plus il y a de capacités pour lever des fonds, innover, développer des technologies propres. Jusqu’à présent, chaque avancée écologique a été permise par l’innovation : trouver des moyens plus propres de produire, multiplier les contrôles, etc. Tout cela ne peut pas fonctionner dans les pays à l’arrêt ou les pays pauvres. L’OCDE, dans un de ses derniers rapports, écrit d’ailleurs que la baisse du commerce international se fait en défaveur du respect des normes environnementales, car il y a moins de possibilité de contrôle qualité. Cela montre qu’une plus grande interdépendance et une augmentation des échanges poussent à plus d’innovations et donc à une situation meilleure. On n’est pas donc obligés de détruire l’humanité ou d’appauvrir la population pour protéger l’environnement. L’Europe en est l’exemple type. On trouve, en Europe de l’ouest, des fleuves plus propres qu’avant, un taux de reforestation énorme, un développement technologique et de la croissance important.
La pandémie est révélateur de notre incapacité complète, dans ce schéma de pensée qu’est la décroissance, à protéger les humains et avoir une cohabitation qui fonctionne entre l’humanité et son environnement. Le système n’est pas tenable, sauf à accepter quelque chose qui est implicite dans les propositions faites, à savoir que l’on veut appauvrir les populations. Au même titre que l’on ne peut pas opposer la santé à l’économie, on ne peut pas opposer l’écologie à l’économie.
Loïk Le Floch-Prigent : Qui se soucie désormais des envolées lyriques sur le climat ? Cela reviendra sans doute un jour, mais il faudrait d’abord que le fonctionnement « normal » réapparaisse. On a vu la faiblesse de notre écosystème français avec un désarmement de notre industrie et une confiance disproportionnée dans la manne touristique. On s’est cassé la figure collectivement et le Gouvernement actuel se débat plus ou moins adroitement dans un tissu de difficultés dont les causes ont plus de vingt ans d’âge. Nous nous sommes trompés car nous ne sommes pas le centre du monde tout en en rêvant toujours. Non, nous n’allons pas sauver la planète – elle se sauvera bien, avec ou sans nous. Le sauvetage de notre économie viendra de notre capacité à réinventer une industrie nationale compétitive et les freins posés à notre pays par un certain nombre de dispositions « exemplaires » dans l’accord de Paris n’y aident pas. Notre définition du « propre », du « vert » qui irrigue la vie politique et médiatique est idéologique , anti-industrielle et anti-scientifique, nous n’échapperons pas à des révisions déchirantes sur les normes et règlements qui sont devenus des boulets pour notre secteur productif, aussi bien industriel qu’agricole.
Les décideurs peuvent-ils assumer ces décisions, à savoir de mettre l’économie et le social de côté pour sauver l’environnement ?
Pierre Bentata : Je suis très cynique sur le fonctionnement du monde politique. Souvent, les dirigeants font ce que la population attend. Si vous avez des groupes bien représentés et fortement médiatisés qui poussent en ce sens, on pourrait y arriver. Mais quelque chose me fait dire qu’on reviendra peut-être dessus : on voit bien qu’une crise sanitaire qu’on pensait vraiment être quelque chose d’efficace face au réchauffement climatique est en train de vraiment faire des dégâts terribles dans les populations. Il faut espérer que les populations seront pragmatiques et se diront qu’on ne peut pas essayer d’atteindre un but sans tenir compte des coûts pour la société. Les coûts pour les plus démunis sont tout simplement inacceptables d’un point de vue humain.
Peut on considérer que le coronavirus a testé et écarté la validité de l’hypothèse protectionniste ?
Pierre Bentata : Quand les échanges baissent de 13 à 32%, on peut dire que l’on a testé les hypothèses protectionnistes. Et c’est un échec. En réalité, on savait déjà que c’est un échec. On nous disait « oui, c’est la preuve qu’il faut réformer en profondeur. » Mais vous ne pouvez pas avoir un système où les chaînes de production et le fonctionnement des entreprises sont éclatés si votre objectif est de limiter les échanges. On voit ce que ça donne. Ca ne fait que confirmer que si vous avez un fort protectionnisme, vous avez moins de développement, moins de croissance, et des populations qui s’appauvrissent. Ce qui a permis le plus rapidement de retrouver des moyens de production et les pays qui manquaient dans la plupart des pays développés, ça a été de relancer les échanges. Ce sont les grandes entreprises qui ont été en mesure, par elles-mêmes, de changer leurs façons de produire pour répondre aux besoins des populations : je pense aux masques, au gel hydroalcoolique, aux respirateurs… L’ennemi n’est pas la globalement des échanges : au contraire, c’est la seule chose qui a permis au système de ne pas s’effondrer.
Loïk Le Floch-Prigent : Le coronavirus a sonné le glas d’une hypothèse de la solution de la décroissance préconisée par un grand nombre d’intellectuels.