Les commerces déclarés « non essentiels » doivent rester fermés. Ils dénoncent une « concurrence déloyale » face aux grandes surfaces en périphérie des villes et certaines enseignes sur Internet comme Amazon. Jean Castex a annoncé que la vente des produits concernés par la fermeture des commerces de proximité sera interdite dans les grandes surfaces à partir de mardi.
Depuis quelques jours, la fronde des maires et des commerçants s’étend contre les mesures de la nouvelle période de confinement. La rupture d’égalité entre les commerces de proximités (qui doivent fermer) et les grandes surfaces (qui peuvent rester ouvertes) sont au cœur des débats. Comment expliquer ces difficultés ?
Loïk Le Floch-Prigent : Qui pourrait douter désormais de la capacité du peuple français à accepter la discipline collective conduisant à la rigueur sanitaire destinée à faire reculer la pandémie ? On s’est gaussé abondamment de cette nation indisciplinée incapable de suivre des règles ! Et qu’a-t-on vu ? Exactement l’inverse, une population acceptante et appliquant le confinement certes en râlant un peu mais sans réel relâchement, au point de se faire accuser collectivement de lâcheté devant des mesures liberticides. Les Français, dans leur ensemble, ont accepté la rigueur sanitaire pendant deux longs mois en appliquant des règles pourtant considérées comme stupides comme les fameux papiers dérogatoires souvenirs des siècles derniers. Ils n’ont pas oublié pour autant les consignes contradictoires, les erreurs d’anticipation, les mensonges d’Etat devenus des habitudes, ils ont fait front en suivant les mesures édictées par un gouvernement adolescent dont ils acceptaient par avance les hésitations, faisant ainsi preuve d’une maturité incontestable.
Après le confinement qui a mis à plat l’économie, un déconfinement qui vient leur mettre du baume au cœur et leur permet de retrouver une vie voisine de la normalité, c’est-à-dire ressemblant aux belles années du passé. Habitués désormais aux combats des experts médicaux médiatiques se contredisant avec délices, ils écoutent sur la plage que le virus semble revenir et qu’une vigilance va devenir nécessaire dès la rentrée. Leur confiance dans la météo virale est du même ordre que celle obtenue par les bulletins quotidiens écoutés d’une oreille inattentive et un rien goguenarde.
Le travail reprend, la vie aussi, et c’est alors que l’on commence à prendre au sérieux les indicateurs de reprise du virus, que des queues interminables peuvent être observées le long des rues conduisant aux laboratoires de tests, que les masques réapparaissent partout et que les protocoles président à toutes les activités dans les villes et leurs périphéries. La France rurale se frotte les yeux, elle ne connait pas cette effervescence, elle continue à vivre sans anicroches une existence à la fois familiale et distanciée, mais dans les conurbations la peur commence à gagner et la demande de rigueur sanitaire remplit à la fois les conversations et les cœurs. Chacun a bien conscience de vivre sur un volcan qui ne demande qu’à exploser et est prêt, de nouveau, à accepter toutes les consignes sanitaires propres à endiguer la pandémie. Il n’est qu’à observer toutes les professions élaborant des protocoles, imaginant à la fois les contraintes et les moyens d’y satisfaire, réduisant les surfaces, les entrants, volontaires pour des expérimentations et des contrôles, avec une volonté de bien faire pour à la fois réussir et garder une apparence de vie sociale et culturelle.
Après la prolifération d’experts nombreux se relayant sur les chaines d’infos montrant des egos surdéveloppés, la population française a fini par comprendre que ce virus continuait à circuler, qu’il fallait effectuer un maximum de tests et qu’ensuite il convenait d’isoler les contaminés-contaminants non pour les éliminer mais, au contraire pour éviter une multiplication désordonnée des malades et l’engorgement des installations sanitaires. On a beau avoir considéré que la solution était d’infantiliser le pays, une grande partie de l’opinion publique a pris ses responsabilités et a voulu entendre les mesures prises par la puissance publique comme répondant à ce qu’elle avait compris de l’évolution de la pandémie. C’est ainsi qu’en s’interrogeant sur le couvre-feu annoncé pour 20 millions de Français puis sur 46 millions, les Français des villes ont sagement pris le chemin de la maison dès 20h ou 20h30 pour satisfaire à la règle des 21h. En quoi cette nouvelle mesure répondait aux nécessités de l’heure ? Rien ne leur était expliqué. Et seules les professions directement frappées réagissaient : « encore une heure Monsieur le bourreau ! ». Mais chacun attendait de savoir comment et pourquoi la nouvelle mesure allait permettre la régression de la pandémie, c’est-à-dire l’isolement.
C’est alors que les rédactions s’agitent, les médecins sont désespérés, les experts officiels se précipitent dans les médias et, comme on en a pris l’habitude les mesures susceptibles d’être annoncées sont distillées à travers une presse avide de priorité éditoriale : on reconfine en tenant compte des enseignements de la première expérience ! Le résultat est catastrophique, chacun essaie de comprendre comment les mesures annoncées correspondent aux objectifs…
Eric Verhaeghe : La bureaucratie du confinement a encore fait des ravages en reproduisant sans réfléchir les dispositions appliquées lors du précédent confinement : fermetures massives de petits commerces à l’approche de Noël, possibilité pour les grandes surfaces de rester ouvertes à condition qu’elles comportent des rayons alimentaires, tapis rouge déroulé pour le commerce en ligne, dont l’américain Amazon ou le chinois Ali Baba sont des géants. Tous les ingrédients sont réunis pour susciter l’exaspération des travailleurs indépendants toujours laminés par le premier confinement.
On comprend pourquoi, en matière de commerces, les dispositions prises par le gouvernement reprennent fidèlement celles du premier confinement : la paresse de pensée et d’anticipation des bureaucrates, déconnectés de la réalité, les a conduits à ressortir les mêmes documents, les mêmes protocoles que ceux écrits en urgence au mois de mars. Pourquoi se fatiguer à réinventer des solutions, quand il suffit de ressortir les mêmes textes, les mêmes slides, les mêmes fichiers informatiques, en changeant simplement la date ?
Sauf que, entretemps, les commerçants ont vécu un déconfinement, et ont appris à se préparer à l’évolution de la situation. Ils se sont adaptés, ce que nos vieux ronds-de-cuir n’ont pas fait. Les commerçants ont appris le « click and collect », ils ont appris à faire respecter les gestes barrière, et ils ont équipé leurs magasins avec tout l’attirail qui va bien : des protections aux caisses ou sur les produits alimentaires, des appareils de désinfection, des procédures strictes avant la remise en rayon de produits manipulés par tel ou tel client.
Face à cet important effort, le gouvernement a commis l’erreur de faire la sourde oreille et de considérer qu’en six mois, la France n’avait pas changé. Peut-être tout simplement parce que la technostructure qui gouverne est déconnectée de la réalité.
Après avoir passé plusieurs semaines, au printemps, à vanter les mérites de la souveraineté, de la relocalisation, des petites entreprises, et autres fadaises qui ont occupé la galerie médiatique, le gouvernement, Bruno Le Maire en tête, prennent aujourd’hui sans sourciller des dispositions exactement inverses : voie royale pour les géants américains, et accessoirement français, du commerce, éradication programme pour les petits commerces. Cette incohérence est la terrible démonstration que, malgré six mois d’intervalle pour préparer un deuxième confinement, la bureaucratie sanitaire n’a retenu aucune leçon du chaos de mars, et n’a pas bougé d’un pouce dans sa gestion calamiteuse des affaires.
On gouverne par grandes masses, et sans s’adapter aux situations. On impose des règles sans mesurer leur impact économique. On tient des discours bienveillants, mais on agit à l’inverse, dans une indifférence absolue pour le désespoir auquel des centaines de milliers d’indépendants sont condamnés. Il est vrai que ceux qui décident sont protégés contre les malheurs du temps. Les fonctionnaires sont assurés de conserver leur salaire, coûte-que-coûte, et ne risquent ni le chômage partiel, ni le licenciement économique. Alors pourquoi s’occuper des états d’âme de ceux qui sont exposés à ces risques ?
Face à cet océan de psycho-rigidité administrative, confirmée hier par un Premier Ministre bien imprudent et probablement dépourvu du sens politique qui permet d’évaluer instinctivement les rapports de force, les maires ont été les premiers à réagir avec vigueur. Partout, des arrêtés ont très vite fleuri pour autoriser les commerces non-alimentaires et non-essentiels à ouvrir dans le respect des gestes barrière. On ne compte plus ces décisions rebelles : Migennes, Maisons-Laffitte, Perpignan, Le Mans, Aubusson… Soudain, la France s’est révélée en situation de révolution institutionnelle, avec une floppée d’arrêtés municipaux contredisant les décisions gouvernementales.
Preuve est faite que l’administration municipale est un élément essentiel de la vie démocratique et de la vitalité économique dans ce pays. Elle constitue aujourd’hui le plus puissant garde-fou contre l’autoritarisme jacobin dont Emmanuel Macron finit de nous dégoûter.
Jusqu’ici très soumis au gouvernement et à ses incompétences, le monde patronal a soudain réagi pour dénoncer des règles absurdes. Là encore, il s’agit d’un signal dont Jean Castex devrait mesurer la portée. Même le très complaisant Geoffroy Roux de Bézieux a posé des exigences de réouverture dans les 15 jours. Cette rudesse après trois ans de parfaite connivence avec l’équipe Macron prouve qu’une ligne est franchie dans la dérive bureaucratique que même les pires béni-oui-oui ne peuvent plus endosser.
Dans la pratique, les fédérations patronales sont bien obligées d’embrayer sur des mouvements de désobéissance spontanée qui menacent de s’étendre. Au Mans, des libraires indépendants ont décidé de rouvrir. La FNAC, Darty, Saint-Maclou, ont décidé l’ouverture. Une fois de plus, personne ne comprend le cadeau que le gouvernement fait à Amazon, et personne ne comprend pourquoi il n’autorise pas les petits commerces à ouvrir, au lieu d’imposer la fermeture des rayons non-alimentaires dans les grandes surfaces (décision absurde et implaidable dans l’opinion).
Quelle est la part de responsabilité de la bureaucratie dans cette situation ? Comment expliquer cette inégalité de traitement ?
Loïk Le Floch-Prigent : La confiance déjà fortement entamée par un déconfinement conduisant à un nouveau confinement disparait d’heure en heure, les professions en désespoir, libraires, coiffeurs, fleuristes … étant les fers de lance d’une contestation locale, départementale, régionale acceptant la rigueur sanitaire mais refusant sa traduction bureaucratique touchant à l’absurde.
En effet rien ne permet de rattacher tout ce qui est dit sur les mesures propres à enrayer la pandémie dans cet acharnement à soutenir les lieux de fréquentation indifférenciée (transports en commun, hypermarchés) au détriment des entités à protocoles nominatifs (petits commerces, restaurants). S’il s’agit d’isoler les contaminants le coiffeur du coin de la rue sera plus performant que la grande surface de banlieue ! Les pays performants qui sont en train de dominer la pandémie arrivent à isoler jusqu’à 70% des responsables de la contamination, nous en sommes à moins de 10% ! C’est cependant cela qui est demandé aux pouvoirs publics et les petits libraires peuvent légitimement demander en quoi envoyer tous leurs clients vers Internet et Amazon va permettre de lutter efficacement contre le virus. On voit donc que la révolte qui pourrait se vivre comme « poujadiste » est, en fait, une demande de cohérence et de recherche de résultat : Nous sommes tous prêts à faire des efforts, même à disparaitre pour le bien commun, mais satisfaire une bureaucratie inconséquente et incompétente, c’est non ! Il n’y a aucun résultat à attendre de mesures mal pensées et mal expliquées (en conséquence !) d’autant que les forces de contrôle et éventuellement de sanctions n’y croient plus non plus et sont par ailleurs sollicitées pour des raisons de sécurité beaucoup plus graves à court terme.
Avant que la situation ne s’envenime et ne devienne inextricable, il est donc nécessaire de revenir au contexte scientifique du sujet, à savoir le consensus international sur la nécessité de l’isolement des contaminants et donc des tests rapides et des actions immédiates tandis que toutes les réunions de foules indifférenciées doivent être suspendues, ce qui condamne dans un premier temps non le petit commerce mais la grande distribution, non les petites villes et les villages mais les grandes villes et les conurbations, non les provinces mais Paris et ses banlieues, non la petite industrie mais les sièges sociaux des administrations et les Ministères… en d’autres termes tout le contraire de ce qui est réalisé aujourd’hui sans compter les déplacements désordonnés et non contrôlés des multiples livreurs des colis commandés par internet au grand bénéfice de sociétés étrangères évitant soigneusement de payer les impôts correspondants dans notre pays.
Eric Verhaeghe : Ce que n’a pas compris la bureaucratie qui a, dans sa tour d’ivoire, décidé de laisser les uns ouverts (mais partiellement) et les autres fermés, c’est qu’elle a face à elle des gens qui sont désormais des desperados du confinement. Fermer un mois, deux mois peut-être, c’est perdre l’affaire de toute une vie pour faire les dividendes d’Amazon et de Jeff Bezos.
Derrière cette inégalité de traitement entre géants américains et Français indépendants, on ne trouvera rien d’autre, sur le fond, que la haine vouée par les technocrates de ce pays aux travailleurs indépendants, cette haine qui les a poussés à créer le RSI il y a quinze ans, et qui les poussera prochainement à imposer lourdement les dividendes des dirigeants de SAS. Pour cette bourgeoisie managériale qui dirige l’Etat et en assure la régulation, le petit commerçant est un ennemi : il vit de son propre travail et échappe par définition au contrôle tout puissant de l’administration.
Malgré trente ans de lutte acharnée pour transformer la vie de ces travailleurs indépendants en enfer, ceux-ci ont le mauvais goût de s’accrocher et de survivre. Au nom du mythe selon lequel ils auraient tous des « cagnottes cachées », les voici donc cloués au pilori, eux qui risquent tout, par la caste de ceux qui ne risquent rien. Et qui ne sait pas jusqu’où on peut tirer sur la corde sans la faire casser.
Fermer les rayons des grandes surfaces, c’est un choix PERDANT – PERDANT. Je m’attendais à ce que les grandes surfaces fassent cadeau de la moitié de leur marge aux petits commerçants fermés. Maman, pour avoir la paix, a confisqué le jouet objet de la dispute !
Pourquoi fermer les petits commerçants au lieu des rayons correspondants dans les grandes surfaces.
Les épidémiologistes en faisant leurs courses se sont-ils rendus compte que d’acheter leurs chaussettes dans des rayons avec des sens de circulations uniquement théoriques était moins nocif qu’un tête à tête avec un petit commerçant masqué !
Mes petits enfants auront des cadeaux « Amazon ». Pas question de se retrouver dans une ruée.
Je calcule : avec 4 fois moins de temps (une quinzaine au lieu des deux mois d’étalement habituels) il devrait y avoir 4 fois plus de monde dans les magasins. Vu mon âge et mes rhumatismes je n’irai pas prendre le risque de me faire bousculer.
Et, au passage, recommandation d’une mamie : pour une fois, gouvernement, abstenez-vous de faire légiférer sur « Amazon » ou sur tout sujet d’ordre commercial, à chaque fois, cela fait 1 000 chômeurs de plus. A la veille de Noël, cela ferait désordre !