Pourquoi vouloir trouver un meilleur partage d’un gâteau qui rapetisse ? Agrandissons le gâteau !

Depuis des semaines politiques et commentateurs nous proposent quotidiennement des recettes fiscales permettant de mieux prendre en compte les problèmes des uns pour faire porter les solutions sur une autre partie de la population, on parle donc de justice fiscale, de faire payer les riches, de détaxe des produits de première nécessité…on pourrait faire un inventaire à la Prévert de toutes les idées émises avec conviction, mais sans jamais prise en compte des effets pervers. Il y a pourtant toute une littérature sur ce que l’on appelle les « effets d’aubaine » qui conduisent des innovations généreuses à se retourner contre leurs auteurs , les bonne intentions ne suffisent pas .
Dans la situation actuelle du pays, il ne s’agit pourtant pas de mieux se répartir les effets de la croissance, mais d’abord de retrouver la prospérité, non pas se pencher sur le partage du gâteau, mais agir pour que celui-ci grossisse alors que depuis plus de vingt ans celui-ci se contracte. La raison en est simple, nous créons moins de richesses car notre secteur de production a diminué de moitié pendant les dernières décennies, précipitant l’industrie française pour partie dans la débâcle, instituant le chômage de masse et conduisant à la déprime des parties importantes du territoire national. Il est illusoire de chercher des solutions dans la répartition alors que le problème est dans la création de richesses.
Notre esprit rationnel souhaiterait que l’on pénalise d’abord ceux qui profitent de notre affaiblissement et l’on observe l’enthousiasme déchainé par le courage de notre détermination à inaugurer une taxe sur les GAFAM . Mais les analystes nous douchent immédiatement, ce sera une infime partie des bénéfices réels de ces monstres et ils seront payés par les clients nationaux, ce que nous connaissons sous la rubrique « effets pervers ». C’était à nous de créer les GAFAM si nous voulions en bénéficier dans notre « gâteau ».
Lorsque l’on voit le Gouvernement et son administration se démener pour « sauver les emplois industriels » et le relais pris par les Présidents de Régions et leur entourage dans des dossiers tels que « Ascoval » à Saint-Saulve, Arjowiggins à Bessé sur Bray, Arc International à Arques, Ford à Blanquefort et bientôt General Electric à Belfort, on reprend espoir car il y a enfin une prise de conscience collective de l’importance de l’industrie dans notre pays , mais dans les détails cette agitation apparait désordonnée et pas dénuée de postures électorales. Il y a de la sincérité chez certains qui n’hésitent pas à aller sur le terrain pour rencontrer les acteurs, et cette évolution est remarquable et réconfortante, mais il y a aussi un manque de vision, d’anticipation et il faut bien le dire de professionnalisme. Les sinistres actuels sont prévus de longue date, l’administration les suit, le CIRI, la Banque des territoires, le Délégué interministériel aux restructurations , et la Banque Publique d’Investissements (BPI) y est souvent présente en participation minoritaire, la Région les conseille…et néanmoins cela se termine mal .
Ce traitement en « urgence » sous l’œil des chaines d’information « priorité au direct » n’est donc pas le bon et il est nécessaire de prendre un peu de hauteur pour réindustrialiser le pays et éviter pendant le même temps les sinistres en cascades et les ventes de nos pépites à l’industrie internationale conduisant tôt ou tard à la disparition des sites, la perte de souveraineté et l’abandon de notre propriété industrielle.
L’activité industrielle n’est pas pérenne, elle évolue avec la société en ce qui concerne les besoins et avec le monde en ce qui concerne la part à laquelle notre pays peut prétendre. Rien n’est jamais acquis, il faut innover aussi bien sur les produits que sur l’outil de production, et veiller à la compétitivité, une part revenant à la dextérité des équipes de direction , l’autre au contexte national , normes, politique sociale, fiscalité, infrastructures, énergie, système bancaire, assurances…
La tendance qui a voulu que l’industrie française soit dominée ces vingt dernières années par les chiffres, c’est-à-dire par l’omniprésence du Directeur Financier dans tous les compartiments avec ses relais dans les administrations a créé un environnement de direction d’entreprises qui a éloigné les ingénieurs et les techniciens. Celles qui ont résisté à cette évolution restent debout, les autres ont été bousculées et ont malgré tous les efforts fini par disparaitre. L’industrie doit être dirigée par des industriels qui connaissent les ressorts techniques de leurs productions et qui vivent leur produit et leurs usines au point d’en être imprégnés charnellement. C’est la clef essentielle du succès.
Lors des investissements lourds à effectuer pour accélérer la croissance ou pour résister à la pression de la compétition, l’industriel a besoin de l’appui des banques et souvent de l’administration. Si comme depuis vingt ans au moins l’industrie est perçue par les banquiers comme un risque et si les industriels sont soupçonnées d’être des salauds, la charge qui pèse sur les épaules du Chef d’Entreprise devient trop lourde et il n’a plus le ressort de se battre. Il y a donc un problème psychologique à régler dans notre pays, l’industrie est une chance et avoir de bons industriels un don du ciel.
Les évolutions industrielles sont quotidiennes, et l’industriel doit surveiller les marchés, comprendre les évolutions des savoirs et des savoir-faire et donc prévoir investissements et compétences de demain et après demain. D’où l’importance des écoles et leur relation avec les praticiens, de l’apprentissage, de la qualification, de l’expérience, des métiers et de leur évolution.
C’est là que le contexte national est important et doit être bien compris par les politiques, les commentateurs et donc la population :
-Lorsque l’on énonce par exemple que 80% de la population doit obtenir le bac et que l’on considère que le bac technique est celui des jeunes qui ne réussissent pas on commet une erreur dramatique, l’industrie a besoin d’apprentis, de gens de métiers, de techniciens et d’ingénieurs de terrain. La conséquence de cette annonce irresponsable c’est que vingt ans après nous n’avons plus de jeunes techniciens français pour postuler à un demi-million d’emplois industriels.
– Lorsque l’on jette le discrédit sur l’industrie nucléaire française pendant des dizaines d’années et que l’on ferme le réacteur expérimental qui permettait de conserver la compétence du « faire » , on envoie toute une classe d’âge vers d’autres secteurs aujourd’hui bouchés tandis que le redémarrage de l’activité nucléaire est très compliqué.
-lorsque l’on stigmatise à longueur de temps les méfaits des « industries fossiles » qui fournissent plus de 80% de l’énergie à la population mondiale, on oriente le savoir vers l’éolien et le solaire sans se préoccuper de la disponibilité des produits industriels français. On détruit sans construire. C’est ainsi que l’on déstabilise Vallourec (et par ricochet Ascoval), Technip, la Compagnie Générale de Géophysique et bien d’autres sous-traitants.
-lorsque l’on préconise le remplacement d’une énergie compétitive (nucléaire, hydraulique, fossile) par du renouvelable largement subventionné (solaire, éolien, méthanisation …) on pèse sur la compétitivité du secteur industriel qui souffre immédiatement de la hausse de ses contrats- électricité et gaz- Des industries gourmandes en énergie seront donc rapidement en déséquilibre, métallurgie, papiers-cartons par exemple.
-lorsque l’on lance une grande campagne pour le véhicule électrique sans s’être assuré de la maitrise industrielle des batteries qui représentent 40% de la valeur ajoutée, on combat l’industrie automobile nationale qui doit supprimer des milliers d’emplois, un secteur qui pèse en direct 400 000 salariés.
Hélas la plupart des sinistres actuels sont directement liés à des décisions de l’Etat dont les conséquences n’ont pas été mesurées , j’ai insisté sur celles liées à l’écologie politique, on pourrait faire de même dans le domaine de la santé, de l’agriculture, de la fiscalité, des normes bancaires, des textes sur l’épargne…Ce n’est pas qu’il ne faut rien changer, au contraire, mais il apparait nécessaire …et urgent de considérer les conséquences industrielles des mesures prises avec sincérité et générosité par des représentants du peuple anxieux de bien réformer le pays. On a bien vu que la taxation du diesel a mis une partie de la population dans la rue et que l’on a du mal à l’apaiser, mais on ne compte pas les mesures prises sans en apprécier vraiment les conséquences industrielles. Cependant si l’on réduit systématiquement le gâteau, on ne peut pas mieux le répartir , chacun verra sa part rétrécir à commencer par les territoires reculés mono-industriels , Saint-Saulve (Ascoval), Blanquefort( Ford), Bessé sur Bray (Arjowiggins), Rodez (Bosch), Belfort (General Electric)…
L’industrie change, évolue sans cesse , il faut encourager les jeunes pousses, les faire croitre, mais conserver une vision du futur des industries classiques en réduisant la voilure et en reconvertissant, non pas au moment des sinistres, mais cinq à dix ans auparavant. Le numérique et la politique environnement font disparaitre beaucoup de papier, on ne peut pas être surpris en 2019 des problèmes du papier couché d’Arjowiggins , dirigeants , propriétaires, élus devaient se préparer depuis de longues années au drame actuel en diminuant la dimension de l’outil industriel et en convertissant l’usine vers des marchés porteurs comme les cartons. En attendant rien ne justifiait d’alourdir la note de l’énergie qui accélérait les ennuis.
Pour agrandir le gâteau , il faut préserver l’existant et doper les productions du futur , tout le monde doit d’y mettre, même les administrations et les élus ! Mais rien ne peut se réaliser sans la détermination d’industriels compétents.

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