L’incompétence

La caractéristique de nos sociétés avec la généralisation d’internet et donc la capacité à recueillir des informations rapides et prédigérées en un temps record conduit graduellement à la confusion sur l’expertise comme sur la compétence. Chacun peut parler de tout, a un avis sur tout et peut faire rentrer dans les débats un « on » qui est un résumé d’une pensée ambiante dont les racines de véritable connaissance sont désormais ignorées. Ainsi sont balayées des centaines d’années de recherche, de travaux empiriques, de milliards de données et d’observations, c’est-à-dire tout ce qui a permis à l’humanité de progresser.
La lutte la plus importante des hommes a été, est et sera contre les totalitarismes, ceux d’hier font l’objet de consensus rétrospectifs, ceux d’aujourd’hui (et de demain !) sont sous estimés comme cela a été l’habitude : l’islamisme comme l’écologie politique sont les deux menaces clairement identifiables, mais nos sociétés peuvent en nourrir d’autres.
Il est très difficile de démontrer que la science, la technique et l’industrie sont des remparts contre cette propension des humains à se réfugier dans les contraintes à partir de la liberté que leur permettent les avancées de la connaissance du monde. Faut-il expier par avance une mort inéluctable en adhérant à des idéologies mortifères utilisant les instruments issus, au contraire, de l’imagination et de la liberté de penser et de créer ? Pour prendre un exemple, comment des terroristes rétrogrades et liberticides peuvent-ils utiliser pour leurs forfaits les ressources des nouvelles technologies dont l’origine et la production sont parfaitement antagonistes au monde qu’ils souhaiteraient créer ? Hannah Arendt et ses élèves ne nous sont pas d’un grand secours pour nous donner une réponse à cette question, et il faudra bien nous en contenter.
C’est pourquoi je me propose de réfléchir plutôt sur les racines de ces nouveaux totalitarismes qui sont pour moi l’obscurantisme, c’est-à-dire la volonté délibérée des militants de ne pas tenir compte des résultats scientifiques, techniques et industriels à partir desquels nos sociétés avancent.
Les totalitarismes nouveaux veulent revenir à un paradis perdu tout en sélectionnant ce qui les arrange dans les résultats de nos connaissances actuelles, en tronquant systématiquement ce qui pourrait contredire leurs croyances. Ils sélectionnent et leurs adeptes, malgré une éducation foisonnante, sont incapables d’exercer un sens critique qui est pourtant à la base de notre évolution. Finalement on assiste là au règne de l’incompétence tandis que l’ensemble de notre appareil de production a comme ambition de propager les instruments de notre progrès. Nous avons mis des siècles à remettre en question les dogmes, nous sortons de deux totalitarismes qui ont fait des millions de morts, et certains d’entre nous sont attirés comme par des aimants par de nouveaux dogmes tout aussi décervelés. On élève le niveau d’éducation et on retombe dans l’ornière. J’ai relu l’ouvrage de Régis Debray qui m’avait beaucoup frappé, « Le Feu Sacré », il ouvre quelques fenêtres, sans doute a-t-il été peu ou mal lu, en tous les cas il n’a pas été suivi, mais c’est le lot des intellectuels précurseurs.
Mon idée c’est qu’il faut revenir sur ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, et ceci aussi bien dans les sciences dures, que dans les sciences dites sociales, en insistant sur ce que l’on ne sait pas plutôt que de développer à l’excès les résultats provisoires pour faire vendre et manipuler . Les travaux qui ont conduit l’humanité à proposer pour des prix dérisoires des smart phones sont scientifiquement, techniquement et industriellement des socles de connaissances expérimentées et donc solides . Ce qui a conduit à ces réalisations est un acquis de l’humanité sans contestation possible, il y a eu observation, théorisation, expérimentation et résultats.
Les sciences physiques continuent à progresser, mais les connaissances sur l’infiniment grand et l’infiniment petit ne prêtent plus à controverses, la terre est ronde, elle tourne, les nanotechnologies sont en place , on a découvert un univers à partir de l’atome dont le nom voulait dire (en grec) que l’on ne pouvait pas aller plus loin .
Tout ce qui concerne le vivant est encore très mal connu, depuis l’origine de la vie jusqu’au fonctionnement des êtres, et en particulier des humains. La recherche permet d’expliquer, elle conduit à des réalisations en médecine, en biologie, dans l’industrie, mais on est encore loin de tout comprendre, l’expérimentation solidifie les assises des sciences du vivant, mais il y a toujours beaucoup de trous, c’est-à-dire des phénomènes dont on tente l’analyse après les avoir vécus sans être bien sur des paramètres qui permettront de les reproduire.
Tout ce qui fait confronter la physique et le vivant, en conséquence, peut faire l’objet de controverses, c’est le cas de toutes les sciences de l’environnement, les phénomènes naturels où le caractère imprévisible est combattu par toutes les ressources possibles des sciences « dures », et où de nombreuses théories butent sur les conditions même des expérimentations . L’incompétence nait de la multiplicité de ces incertitudes et de la volonté des uns et des autres d’utiliser des résultats partiels pour corriger les actions humaines . Une grande partie de l’humanité a besoin de certitudes pour avancer , elle observe les progrès des instruments de la vie quotidienne, elle veut accrocher d’autres convictions pour se rassurer et fait le choix de l’incompétence qui est souvent aussi celui de la manipulation. C’est sans doute en France le « principe de précaution », sa préparation, son inscription dans la République, et son utilisation démentielle qui en est la meilleure illustration.

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