Faire le portrait d’un homme que l’on n’ a jamais rencontré semble étrange, mais comme depuis le 19 Novembre 2018 aucun de ceux qui l’ont approché, travaillé avec lui, aucun professionnel de l’automobile…ne l’a défendu, j’ai essayé de comprendre l’œuvre qu’il avait accomplie et j’ai eu la bonne surprise, comme lui sans doute, de lire ce que Francis Fred Coppola disait de lui et il a bien été le seul , j’ai tenté d’en faire part au plus grand nombre.
Carlos Ghosn, issu d’une lignée libanaise maronite émigrée au Brésil est certainement un personnage énigmatique, mais ses études en France en ont fait un ingénieur du corps des Mines et dans un premier temps un ingénieur chez Michelin, il a donc connu le terrain car chez Michelin, à cette époque, celle de François Michelin, on ne pouvait monter dans la hiérarchie qu’après avoir sali ses mains jusqu’à (comme il disait) « sentir le caoutchouc ». Il a été Directeur d’usine, ce qui pour un industriel est essentiel, car il est toujours bon lorsque l’on se croit à l’abri dans les sièges sociaux de se rappeler que ce sont les gens de terrain qui produisent et non les bureaucrates.
Né en 1954, sa carrière prend un tour décisif seulement en 1985 lorsque Michelin envoie ce jeune polyglotte et polyculturel au Brésil, sa terre natale pour stopper les pertes de leur activité en Amérique Latine. C’est là qu’il commence à fermer des usines non compétitives, à réduire des effectifs et à s’appuyer, déjà ! sur la diversité culturelle de ses agents. Patron charismatique, il réussit si bien qu’on lui demandera de partir aux USA où Michelin prend eau après des acquisitions hasardeuses, le redressement sera rapide et sa réputation commence à s’étendre du domaine du caoutchouc à celui de l’automobile. Il commence aussi à se sentir à l’étroit dans une entreprise où ses perspectives de carrière, c’est-à-dire la première place, n’ont rien d’évidentes, et il se rend disponible sur ce qui va devenir sa passion, la voiture, et non le seul pneu.
En 1996 il rentre chez Renault avec le titre de Directeur Général Adjoint chargé de beaucoup d’attributions, il va se concentrer sur la réduction des couts et sera l’artisan essentiel du retour aux bénéfices de Renault dès 1998. Ancien élève de Pierre Dreyfus, patron de la « Régie Renault » et ami de Georges Besse redresseur de l’entreprise prématurément empêché de terminer sa Présidence (assassiné), je suis avec attention la montée en puissance de ce « jeune » aux dents longues dont on me dit du bien du point de vue professionnel mais qui visiblement, à l’époque, suscite des antipathies et surtout des jalousies. Ce n’est pas la période de ma vie où je rencontre mes anciens homologues et je n’ai pas de raison de l’approcher, pas plus que les autres, je suivrai donc son parcours de l’extérieur, mais avec beaucoup de passion car Renault fait partie de mon patrimoine de cœur personnel.
En 1999 la deuxième entreprise japonaise d’automobiles, Nissan, est quasiment en faillite et aucun grand constructeur n’en veut, Carlos Ghosn pense qu’il faut y aller, et se dit prêt à partir au Japon relever le gant. Il convînt son Président et en 1999 Renault achète 36, 8 % de Nissan (il montera jusqu’à 43, 8 plus tard) et le jeune ambitieux se retrouve à la tête d’une entreprise avec 20 milliards de dettes et des pertes abyssales. Il redresse Nissan en deux ans et en 2004 c’est une des firmes automobiles les plus rentables, il y acquiert une réputation de « cost killer » non usurpée et devient une des vedettes des bandes dessinées japonaises, les « mangas » ainsi que des facultés de management. C’est l’époque de la politique de la « performance » dont il est l’inspirateur et l’acteur.
En 2005 Renault va mal, elle a connu l’échec de ses modèles haut de gamme, Vel Satis et Avantime et se morfond dans les difficultés, on appelle Carlos Ghosn au secours, il accepte mais il exige de rester aussi chez Nissan imaginant une Alliance Franco-Japonaise utilisant au mieux le polyculturel mais aussi les organes communs et donc les baisses de couts. Il souhaite avoir une offre réelle de haut de gamme, ce qui a échoué auparavant, et effectue un redressement spectaculaire qui va réussir malgré la crise de 2008 qui va fragiliser l’ensemble du secteur automobile et en particulier les Américains qui vont nationaliser leurs entreprises, le Président Obama lui-même demandant à Carlos Ghosn de venir lui prêter main forte en venant diriger un de ses groupes industriels.
En restant PDG de ses deux entreprises et de l’Alliance , Carlos Ghosn accélère les programmes et les transformations , voiture électrique, thermique plus écologique, rénovation du design, développement international , en Russie (Avto Vaz), au Brésil, en Inde, au Mexique avec Daimler , il lance dans les deux entreprises des programmes d’optimisation des investissements qui se retrouvent vite dans les résultats, Mitsubishi Motors veut rejoindre l’Alliance en plein succès mondial, et en 2017 elle devient le premier constructeur mondial .
Le 19 Novembre 2018 Carlos Ghosn est arrêté à sa descente d’avion qui vient d’atterrir à Tokyo, c’est la fin du rêve du génie de l’automobile, mais c’est aussi la descente aux enfers pour Renault et pour Nissan.
Les abus de biens sociaux dont il est accusé délient un nombre de langues important, ceux qui le vénéraient se terrent, ceux qui ne l’ont jamais aimé jubilent et en rajoutent, on aperçoit alors la solitude dans laquelle il avait fini par s ’enfermer, considérant que ses performances le mettaient à l’abri.
Visionnaire, c’est incontestable, bon gestionnaire cela se voit dans les chiffres, artiste de l’automobile, c’est-à-dire comprenant intimement à la fois l’évolution du produit et les désirs des clients, c’est évident, mais derrière cette surcapacité professionnelle on a quelques indices d’une fragilité.
On en a fait un cost killer rigide et méprisant, mais les accords de compétitivité ont été signés par tous les syndicats sauf un et chacun a pu constater derrière une raideur de patron une grande humanité et une volonté de faire marcher la société avec les hommes et les femmes qui la composent. L’image volontaire et cassante est donc sans doute une armure créée pour cacher son émotion
Il est depuis un an au Japon dans des conditions dures puisque rencontrant peu de proches et surtout pas son épouse avec laquelle il ne peut pas communiquer depuis 7 mois. Il y a du granite chez cet homme.
Mais que cache cette volonté de posséder qui a tant irrité les gouvernants français, les médias et finalement les juges, la multiplication des maisons était-elle nécessaire à l’accomplissement de ses ambitions planétaires ? Evidemment non, il s’agissait sans doute de montrer à des héritiers arrogants que lui aussi pouvait monter à partir d’une enfance difficile et que son succès devait être rétribué à un niveau semblable à celui de ses pairs, les grandes fortunes des USA qu’il côtoyait plus que les diners en ville parisiens.
Il vit un drame, c’est certain , mais ce sont les français et les japonais qui vont en vivre un encore plus grave car il est difficile de remplacer un visionnaire qui avait la maturité du directeur d’usine et qui avait construit pierre par pierre un géant mondial, ceux qui se réjouissent ont tort, car tout le monde va souffrir et il ne servira à rien de trouver des sous dilapidés tandis que des milliards s’évaporent devant nos yeux, en demandant que la France soutienne Carlos Ghosn , je ne pensais pas à l’homme pour lequel je n’ai aucune raison d’avoir ou de ne pas avoir de sympathie, mais à son œuvre qui peut encore s’effondrer sans son aide.