Après l’augmentation des prix de l’électricité de 10% décidée par le gouvernement dès le 1er août, la fin progressive du bouclier tarifaire est annoncée. Pour l’ancien dirigeant de Gaz de France et d’Elf Aquitaine, Loïk Le Floch-Prigent, tant que les élites politiques rechigneront à sortir du marché européen de l’électricité, tous les Français seront perdants.
Front Populaire : Les prix de l’électricité vont augmenter de 10% dès le 1er août, soit une hausse moyenne de 160 euros par an par ménage, selon le gouvernement. « Les consommateurs français ne verront aucun rattrapage sur leur facture en 2023 »,avait pourtant déclaré Bruno Le Maire le 30 mai 2022.Comment interpréter cette hausse ? Le gouvernements’est-il tiré une balle dans le pied avec ses promesses passées ?
Loïk Le Floch-Prigent :
À force de ne jamais regarder les réalités, de céder aux émotions de l’instant, et de systématiquement s’attaquer aux effets et jamais aux causes, le gouvernement finit effectivement par se prendre les pieds dans le tapis ! On annonce quelque chose un jour et on fait le contraire le lendemain !
Cela fait plus d’un an et demi que l’on comprend que le marché de l’électricité ne marche pas, du moins c’est ce qui est dit par les plus hautes autorités de l’Etat. Plutôt que d’agir, nous nous sommes installés dans une nécessité de «réforme » aux contours indéfinis, aux contraintes imprécises et au calendrier incertain ! Le « bouclier »tarifaire, essentiellement improvisé pour les particuliers,cachait des prix insensés pour les entreprises et des dépenses budgétaires abyssales, soit plusieurs milliards d’euros. Il fallait donc annoncer la fin de la récréation puisque cette mesure conduisait à un endettement supplémentaire de l’Etat. Mais si l’on a bien compris les propos de l’organisme de régulation, la CRE, il aurait fallu une augmentation de 75% de la facture d’électricité et non de 10% !
On voit bien que la seule démarche est celle de vouloir amoindrir les effets sans s’attaquer aux causes : tandis que les ménages souffrent un peu plus, les entreprises se meurent des factures d’électricité qui ont au minimum triplé, sauf exceptions très limitées.
FP : Le bouclier tarifaire a coûté plusieurs milliards d’euros à l’État. Quelles étaient les autres solutions possibles et écartées par le gouvernement ?
LLFP :
Le marché de l’électricité actuel, qui n’est pas la conséquence de traités européens, est une construction technocratique artificielle. Il a conduit à la création d’une profession, les « fournisseurs », qui ne produisent rien, ne transportent rien, et ne distribuent rien. C’est une construction de « spéculateurs » pour satisfaire une idéologie, celle de la nécessité de la construction d’un «marché » pour protéger le consommateur. Mais les investissements énergétiques sont très onéreux et les décisions qui sont prises pour les entreprendre ont besoin d’un « tarif garanti », c’est-à-dire d’une rentabilité préparée. C’est ainsi que marchent tous les secteurs des «énergies renouvelables », les constructions de centrales àgaz comme celles des centrales nucléaires. Ce sont les garanties données aux investisseurs pour les éoliennes et les fermes solaires qui ont fait perdre tout espoir de régulation au fameux marché artificiellement créé par des technocrates européens.
Et c’est ainsi que, pour l’électricité, on en est arrivés à un prix pour le consommateur, particulier ou entreprise, sans rapport avec le coût. Le recours idéologique à une accélération des installations des énergies éoliennes et solaires a conduit à une augmentation des prix, incomprise par les consommateurs, comme d’ailleurs par les décideurs politiques. La volonté de ne plus s’approvisionner en Russie (gaz, pétrole) a accéléré le dérèglement des marchés de l‘énergie observable depuis quelques années et il fallait immédiatement sortir du marché artificiel et revenir à des prix reflétant les coûts réels, lesquels sont bas en France grâce à nos infrastructures nucléaires et hydrauliques pour l’électricité, et nos stockages de gaz comme nos terminaux de gaz naturel liquéfié.
Notre position était simple : nous pouvions avoir les meilleurs prix en Europe pour nos consommateurs,particuliers comme entreprises, il suffisait de « décrocher »d’un mécanisme technocratique où nous étions rentrés volontairement avec les possibilités légales d’en sortir en cas de problème… et il se trouve qu’il y avait un problème !Au lieu de cela, nous sommes partis dans une palabre sans fin avec des partenaires européens, en particulier allemands, qui avaient des intérêts parfaitement opposés aux nôtres puisque, il y a des dizaines d’années, nous avons divergé dans nos politiques respectives d’énergie. Il n’y avait donc pas de compromis possible ou envisageable ! C’est ce qui a conduit l’Espagne et le Portugal à s’abstraire du fameux marché artificiel.
La politique du « bouclier » était donc une sorte de subvention donnée aux spéculateurs de l’électricité alors qu’il suffisait de revenir au coût réel de production-transport-distribution et d’observer le coût réel des énergies solaires et éoliennes pour investir prudemment en
calculant correctement les effets des énergies intermittentes et aléatoires sur les réseaux existants.
Nous avons fait le choix du nucléaire, de l’hydraulique, du stockage de gaz, du gaz naturel liquéfié (GNL) et, plus récemment, de la méthanisation, c’est-à-dire de l’énergie «pilotable » et bon marché. La conjoncture a montré que cela avait été le bon choix, il fallait en profiter et non pas se mettre la corde au cou dans un délire idéologique qui n’était pas le nôtre.
FP : On entend souvent, du côté des oppositions, l’idée d’une sortie du marché européen de l’électricité. Dans quelles conditions pourrait-elle s’effectuer pour que le consommateur français en ressorte gagnant ?
LLFP :
Actuellement, tous les consommateurs français sont « perdants » puisqu’ils ont investi depuis des dizaines d’années dans des investissements rentables qui ne leur profitent pas à cause d’un attachement incompréhensible àdes mesures technocratiques. Il suffit donc d’écrire que,conformément à la loi votée par le Parlement il y a plus de dix ans, la situation exceptionnelle qui avait été envisagée est arrivée et donc que la France se retire du marché de l’électricité. Ainsi, on reviendrait à notre coût le plus bas d’Europe en matière d’électricité. C’est simple, c’est du bon sens et cela n’est pas en contradiction avec les traités européens, car il n’y a pas de politique de l’énergie européenne !
FP : Au niveau européen, les atermoiements autour du nucléaire continuent. La France est-elle assez forte pour imposer sa ligne s’agissant d’un retour au premier plan du nucléaire ?
LLFP :
La force politique, c’est d’abord la volonté. La volonté conduit à l’action et non aux discours. L’action,c’est de décider du programme nucléaire avec un programme de financement immédiat. Cela conduit à une garantie des prix de l’électricité produite par les centrales nouvelles, et par conséquent à une sortie immédiate du marché artificiel de l’électricité. Nous n’avons pas à imposer notre ligne aux autres, nous avons à décider, nous,pour nous-mêmes, comme nous l’avons toujours fait, avec bonheur. Si les Allemands et d’autres ont envie d’avoir une autre politique, cela ne nous gêne pas, mais je ne vois pas pourquoi la Commission européenne pourrait nous imposer de mener une politique allemande suicidaire pour notre pays. Nous avons une base nucléaire et hydraulique qui peut nous fournir 85 % au moins de nos besoins électriques, et ceci moitié moins cher que ce qui est envisagé par nos voisins. Que nous faut-il de plus pour nous décider et agir ? Le temps de la palabre est passé, maintenant c’est le moment d’agir.
FP : Quels scénarios se profilent ? De futures hausses importantes des prix de l’électricité sont-elles inévitables ?
LLFP :
Les mêmes causes produisent les mêmes effets.Pour l’organisme de régulation, il fallait même privilégier une augmentation, non pas de 10%, mais de 75% ! Il faut rappeler aux Français que pour ses entreprises, il n’y a pas eu de bouclier. Elles sont en train de s’effondrer parce qu’elles ne peuvent plus payer leurs notes d’électricité. Or,les entreprises, et plus particulièrement les entreprises industrielles, alimentent et préparent la prospérité du pays. La politique du déni de réalité et des annonces contradictoires est mortifère, les fermetures s’accélèrent,mais surtout, chez les chefs d’entreprises, le sentiment de toujours plus de contraintes, toujours plus d’augmentations, et des injonctions contradictoires en matière d’environnement. Ce ne sont pas les débats organisés aujourd’hui autour de « l’industrie verte » qui vont leur redonner le moral ! Encore des contraintes,encore des aides et toujours plus de subventions, de critères, d’interventions et de contrôles, d’étatisation en somme, mais toujours moins de libertés, alors que nous avons besoin non pas d’annonces tonitruantes, non pas de lois qui confortent la bureaucratie, mais d’actions nous permettant de retrouver rapidement cette compétitivité attractive qui était la nôtre, à savoir une énergie abondante,bon marché et souveraine. Sortons vite du « faux » marché de l’électricité.