Atlantico : La commission sur la perte de souveraineté énergétique a fait un diagnostic saisissant des décisions qui ont mené à la situation française et des préconisations pour corriger le tir. Mais si les leçons du passé ont été tirées, est-on aussi lucide sur notre présent ? À quel point prenons-nous, dans la logique de transition énergétique, des décisions que nous risquons de payer plus tard ?
Pierre Bentata : Le diagnostic sur la perte de souveraineté énergétique est complet et nous permet de visualiser nos erreurs passées. Celles-ci sont dues à plusieurs facteurs, notamment un excès d’enthousiasme sur les énergies renouvelables, un trop grand optimisme sur les inputs qui viennent de l’étranger et que nous n’avons pas suffisamment pris en considération, mais aussi une mauvaise interprétation des apports de l’énergie nucléaire. Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avons été amenés à repenser ces différents facteurs. De ce point de vue, il semblerait que nos décideurs et l’ensemble de la population comprennent mieux les enjeux auxquels nous faisons face. Nos décisions sont-elles pour autant parfaitement cohérentes ? Non. Nous avons encore d’énormes tergiversations sur le nucléaire et des phénomènes d’optimisme bien trop grands qui deviennent des effets d’annonce, comme l’électrisation du parc électrique à l’horizon 2030. Nous sommes donc coincés entre des contraintes techniques et scientifiques que nous n’avons pas envie de voir et l’envie de démontrer qu’on fait énormément de choses pour prendre le problème à bras le corps. En somme, notre position n’est pas cohérente car elle n’est pas alignée avec ce que nous disent les sciences dures et humaines sur le sujet.
Loïk Le Floch-Prigent : Il faut tout d’abord saluer le travail considérable effectué par ces deux jeunes parlementaires, travail d’analyse, de lucidité et de précision sur un sujet ardu. Beaucoup des décideurs ont été interrogés et ont montré leurs lacunes . Les décideurs n’ont pas besoin d’être des techniciens hors pair, mais ils doivent avoir du courage et savoir s’entourer de compétences réelles .
Les auditions, si elles ont bien permis de comprendre le passé, n’ont pas porté sur le futur et les préconisations « pour corriger le tir » ne sont qu’esquissées et méritent un travail différent, celui qui motive et engage les « ouvriers du futur ». Toutes les décisions qui nous ont conduit à la situation catastrophique actuelle souffrent de la faiblesse de vision et de l’absence de réelles études d’impact , c’est-à-dire de sérieux sur les conséquences de mesures prises la plupart du temps sous le coup de l’émotion .
Il y a la nécessité de prendre en compte la réalité des avancées techniques et industrielles , de ne pas confondre lutte contre les pollutions et décarbonation, et surtout de ne pas confondre la planète avec Paris à l’intérieur du Boulevard Périphérique.
Repartir, pour cacher l’échec de trente ans de politique énergétique , sur des postures et des anathèmes , sur une politique de communication basée sur les peurs et les mensonges scientifiques, techniques et industriels, nous conduira inéluctablement dans le mur. La terre fonctionne aujourd’hui à plus de 85% à partir d’une énergie « fossile » (charbon, gaz, pétrole) la lucidité minimale est de ne pas considérer que nos 1% de personnes et de territoire vont permettre de tout modifier en quelques années. Nous pouvons agir pour éviter de gaspiller nos ressources, mais refuser de les utiliser est illusoire , surtout si la population mondiale marche vers les 10 milliards d’habitants à nourrir et à faire vivre. La recherche des conditions optimales de frugalité incluant les recyclages est une nécessité, la volonté de faire disparaitre l’utilisation des richesses du sol et du sous-sol est déraisonnable. Nous continuerons à utiliser les ressources de la planète, mais il va falloir changer pour ne pas gaspiller, c’est cela la « transition » et non la fuite en avant vers les sanctions, les interdits, les dates butoir inatteignables, et la décroissance . Les civilisations se sont développées à partir d’une énergie abondante, bon marché et souveraine, notre pays a oublié ce principe de base énoncé lors du choc pétrolier de 1973, il faut y revenir et passer les décisions à prendre au crible et à la discipline de cette vision …qui a, elle, réussi.
Quels exemples précis prendre pour illustrer ce phénomène sur l’industrie, le logement, les prix de l’énergie, ou les émissions de carbone ? Quelles décisions serait-il urgent de modifier ?
Loïk Le Floch-Prigent : Le rapport Parlementaire met le doigt sur la légèreté des décisions prises pour mettre de coté notre potentiel de fourniture d’électricité d’origine nucléaire et hydraulique, mais il ne montre pas l’amateurisme de l’attirance émotionnelle pour les énergies solaires et éoliennes intermittentes. Dans le contexte français qui a privilégié la production électrique d’origine nucléaire, ces énergies sont inutiles, il vaut mieux économiquement et techniquement ne pas jouer au Yoyo avec la base nucléaire, utiliser pour les pointes le pilotable hydraulique, et garder quelques centrales thermiques d’appoint en préférant le gaz par rapport au fioul et au charbon. La première décision à prendre est donc d’arrêter les grands projets éoliens et solaires et ne garder que les programmes très localisés qui ne portent pas préjudice aux réseaux . Il faut aussi, pour préserver notre outil nucléaire, supprimer la priorité donnée sur les réseaux aux usines solaires et éoliennes.
Notre industrie nucléaire et hydraulique a vacillé par manque de visibilité, il faut lui redonner un cap , des perspectives, et donc des revenus garantis pour trouver les sources de financement. Ceci conduit à revenir sur l’organisation du marché de l’électricité qui ne garantit aujourd’hui que la rentabilité des énergies intermittentes dont nous n’avons nul besoin . Ce retour à un marché règlementé soulagerait l’ensemble des consommateurs français, individuels et industriels, qui font face à des prix qui n’ont plus rien à voir avec les couts !
En attendant de faire démarrer les centrales nucléaires nouvelles, il faut faire avec ce dont nous disposons, centrale à mettre en route -Flamanville3- centrales à redémarrer -Fessenheim, Le Havre, Aramon , centrales à « doper » , tout le parc nucléaire (10 à 15%), et construction urgente de centrales à gaz pour maintenir notre souveraineté lors des pointes de consommation.
On ne peut pas à la fois dire que nous retrouverons une énergie abondante dans une quinzaine d’années et décider la voiture électrique pour tous, et la pompe à chaleur pour tous ! il faut accélérer la construction de nouvelles unités de production et décélérer la hausse souhaitée de consommation ! Notre industrie automobile a été massacrée par l’anathème contre le véhicule thermique, il faut revenir à la sagesse de la cohabitation inévitable pendant des dizaines d’années, et peut-être plus car les deux véhicules ont chacun leur marché . En tous les cas arrêtons vite les obligations prévues pour les poids lourds et les tracteurs, le moteur diesel a encore la vie devant lui, surtout dans les pays qui ne connaitront pas l’électricité abondante d’ici la fin du siècle !
Enfin dans la politique du logement , il faut revenir à la raison , certaines constructions resteront des passoires thermiques , et les règles inapplicables actuelles empêchent à la fois les constructions neuves et l’amélioration de l’existant conduisant à une crise du logement rapide .
En fait on s’aperçoit qu’il faut mêler le bon sens avec la connaissance réelle des possibilités techniques et industrielles sans apriori et sans idéologie. Une vision est indispensable, mais les bilans pollution et carbone ne sont pas suffisamment étudiés, les tableaux de chiffres souvent faux remplacent l’analyse et l’observation, comme ceux qui conduisent à cette obstination à construire des usines éoliennes dont les français n’ont nul besoin !
Pierre Bentata : Nous avons besoin d’ingénieurs et de spécialistes pour nous dire ce qu’on peut produire, mais nous avons aussi besoin aussi d’analyses en termes de coûts et de bénéfices. Par exemple, l’électrification du parc automobile induit une augmentation des coûts pour l’ensemble de la collectivité. L’État doit faciliter cette transition en donnant des primes, mais c’est aussi le cas pour les fournisseurs d’infrastructures.
Concernant le logement, quand on dit qu’il faut lutter contre les passoires thermiques et créer des logements propres alors que rien n’est prêt et qu’on continue à faire subsister un système ou il y a de plus en plus de logements sociaux tout en faisant des plans d’urbanisation qui limitent la construction, on ne peut pas aboutir à quelque chose de cohérent. Au final, on crée surtout une augmentation des prix, ce qui est contre-productif. De plus, à Paris, le surcroît d’administration rend le système plus difficile et crée des pénuries.
Que ce soit sur l’automobile, l’immobilier ou encore les usines 100% propres, on fait toujours comme si la mise en place de vraies transitions énergétiques étaient sans coût mais en réalité, l’écosystème ne s’y prête pas. Il n’est pas possible de fixer des objectifs et des règles si on ne regarde pas les contraintes, souvent en cascade, qui pèsent sur les acteurs… Ce problème est caractéristique de nos politiques énergétiques car par définition, la transition énergétique implique des coûts alors qu’on nous présente toujours l’objectif de réduire le pouvoir d’achat des ménages. Tant que nous n’auront pas été clairs sur ces sujets, on sera toujours en train de tâtonner et de tenter de modifier à la marge le fonctionnement du système.
A l’inverse, y a-t-il des décisions qu’il serait urgent de prendre ?
Pierre Bentata : Entre les tensions qu’on peut avoir sur la production de microprocesseurs et la difficulté à accéder à des terres rares, on sait que la production des énergies renouvelables sera de plus en plus difficile. Or, le nucléaire fait la force de la France par rapport aux autres pays européens. Il faudrait donc mettre les bouchées doubles sur la recherche, le développement et la formation car nous avons perdu de nombreuses compétences. Enfin, nous ne sommes plus en mesure d’attirer suffisamment d’investissements pour avoir nos propres solutions. Nous sommes donc toujours dans une situation de dépendance, mais celle-ci est en fait une dépendance économique.
Pour reprendre l’exemple des véhicules électriques, nous avons été très en retard par rapport aux États-Unis, qui ont eu une politique de partenariat public/privé entre le gouvernement et Tesla. De notre côté, nous avons subventionné l’achat de voitures électriques, qui étaient au départ des Tesla, maintenant mieux positionnées que la plupart des concurrents. Mais pour assurer notre propre transition énergétique, nous aurons besoin d’entreprises qui ne sont pas américaines. Notre politique énergétique est donc globale et ne s’inscrit pas de façon indépendante dans une pensée politique. Si on veut produire nous même, il nous fait une vraie stratégie, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Comme avec l’IA, l’Europe est très souvent en retard et se pose en permanence la question de savoir comment réguler et adapter ce qui vient de l’étranger au lieu de produire nous-mêmes pour imposer nos propres normes. Il n’y aura donc jamais de souveraineté énergétique sans leadership économique et dans la recherche.
Loïk Le Floch-Prigent : Pas à l’inverse, mais en complément il faut bien comprendre qu’il y a eu une cassure dans notre politique énergétique et qu’elle a amené l’ensemble de notre industrie à avoir une majorité d’interlocuteurs administratifs et politiques sur les questions de sécurité et d’environnement partisans de fait d’une politique de décroissance. A mesure que l’on communique sur les « peurs », ce militantisme s’est accru et a conduit à l’apparition de « contrôleurs » ou « gendarmes » s’appuyant sur des textes contradictoires mais en fait anti -industrie, anti-nucléaire et anti-hydraulique . Nous ne pourrons résoudre nos problèmes à court , moyen et long terme que dans la mesure où ces freins disparaitront. L’urgence est donc de revoir dans les détails les textes, lois, décrets etc.. sur l’environnement et la sureté nucléaire et de s’assurer que personnel et directives ont bien comme objectifs le développement industriel et énergétique national et non la disparition de notre production . Si nous désirons accélérer le renouvellement de notre potentiel de production énergétique, nous n’y arriverons pas avec les textes en vigueur et le personnel actuel . La tentative , avortée au Parlement, de fusion Agence de Sureté Nucléaire / IRSN indiquait bien la prise de conscience au niveau gouvernemental de ce problème. On l’a effacé du texte, le sujet reste et il est prioritaire , nous n’avons aucune raison d’avoir des règles de sureté nucléaire évolutives et différentes des standards internationaux. Si nous voulons aller vite dans la construction il faut une stabilité des normes , ce n’est pas le cas ! Mais il y a les entreprises connues et aussi les sous-traitants, c’est plus de 200 000 personnes dont l’avenir devient soudain précaire à cause d’un abus de » précautionnite « improvisé, conduisant à des modifications de délais en cascade ! Il y a incompatibilité entre l’organisation actuelle et les objectifs légitimes de la population .
En ce qui concerne le nucléaire les décisions à prendre dans l’immédiat sont les six tranches demandées depuis des années et la reprise du programme « neutrons rapides » anciennement SuperPhénix et Astrid où nos compétences sont intactes et désormais en compétition avec Chinois, Russes et Américains qui ont tous compris , comme nous dès la construction des premiers générateurs , que l’uranium dégradé mais toujours actif des centrales pouvait être utilisé pour de nouveau produire de l’électricité.
Comment éviter qu’une catastrophe similaire à ce que nous avons connu se reproduise à l’avenir sur d’autres champs ?
Loïk Le Floch-Prigent : On connait la prochaine catastrophe, celle de la production agricole , avec les mêmes causes , la lâcheté et l’ignorance des politiques et des administrations. Notre balance commerciale alimentaire est fortement déficitaire, les agriculteurs sont devenus comme assiégés, notre industrie alimentaire est montrée du doigt …et nous importons désormais notre viande , nos poulets, 40% de nos légumes, 60% de nos fruits ….et on continue à refuser les OGM chez nous et les pesticides chez nous sans respect de nos règles pour les importateurs !
Et nous allons reprendre la même destination avec la pêche artisanale !
Par ailleurs notre industrie peine à payer son énergie et beaucoup vont disparaitre d’ici l’été, et on devrait se réjouir de l’apparition d’aides merveilleuses si elle devient « verte » !
C’est sans comprendre que nos PMI qui représentent 85% de l’emploi industriel sont déjà « vertes » et numérisées, seules conditions pour leur survie, elles sont déjà martyrisées par les « DREALS » les fameux « gendarmes « de l’environnement, mais il semble que plus elles crient « au secours » et plus on en rajoute, on veut « en même temps « les tuer et les aider. Désolé il faut choisir, en priorité , leur permettre de survivre !
Pierre Bentata : Je pense que la catastrophe que nous avons vécue tient au fait que nos politiques se sont reposées sur des alliances de circonstance, donnant trop de poids aux lobbys écologistes radicaux. De vrais scientifiques, comme Jean-Marc Jancovici, ont compris dès le début que le nucléaire était nécessaire. Enfin, la réglementation européenne est mal pensée. Quand on peut produire de l’électricité au même coût qu’avant la guerre en Ukraine mais que sur la facture du client le prix est multiplié par trois ou dix, c’est que la régulation pose un problème : techniquement, nous n’avons pas perdu en efficacité.
Économiquement, éviter la catastrophe à venir est largement possible car nous avons les moyens techniques pour avoir des consommations plus rationalisées et une meilleure organisation. Pourtant cela passe par des villes plus connectées, plus d’IA dans l’analyse et distribution d’énergie … Mais au lieu de se demander comment l’utiliser efficacement, on se demande comment le réguler. Autre exemple : en termes de fusion nucléaire, les meilleurs chercheurs se trouvent aux États-Unis ou en Chine car nous ne pouvons les payer suffisamment … Finalement, nous regardons ailleurs. Pourtant, la population est prête et l’industrie capable. Si catastrophe il y a, celle-ci sera donc politique !
Il me semble que Fessenheim est trop démantelé pour être redémarré…au dire de personnes y travaillant…à qui j’ai eu l’occasion de poser la question.le journal local fait état de la candidature du maire pour une micro centrale à venir….les écolos franco-allemands antiques déjà les sacs de couchage … Merci pour vos textes si éclairants