Alors que la dangerosité du nucléaire figure au premier rang des arguments de ses opposants, cet incident préoccupant mérite d’être sérieusement expliqué.
Atlantico : Une fissure a été découverte dans une centrale nucléaire de Penly. Que savons-nous à ce sujet ? Quelles en sont les causes immédiates et plus profondes ?
Loïk Le Floch-Prigent : On connaît ce qui est dit, c’est-à-dire pas grand-chose. Mais ce que l’on peut observer c’est que dès que l’Asn est convoquée, l’IRSN communique et Negawatt l’institution anti-nucléaire, se mobilise en criant au danger. Cette façon permanente d’utiliser des informations non officielles pour attiser les peurs devient insupportable. Avant de crier, laissons les professionnels d’EDF qui travaillent sur Penly nous exposer à la fois leurs observations, les risques et les travaux envisagés. La confiance dans EDF est méritée par des dizaines d’années de fourniture d’énergie électrique à la population sans accident.
Les observations portent sur des fissures et il convient maintenant d’en analyser la profondeur et les causes. Les travaux de maintenance et les interventions tout au long de la vie du réacteur vont faire l’objet d’examens de la part d’Edf comme de l’Agence de Sureté nucléaire (ASN).
Alexis Quentin : On sait que dans le cadre des contrôles liés au problème de Corrosion sous contrainte qui touche le parc depuis un peu plus d’un an, EDF mène des contrôles supplémentaires sur un certain nombre de tuyauteries. Sur l’une d’entre elle sur la tranche 1 de Penly, EDF a en effet détecté une fissure sur un des tuyaux d’un circuit appelé RIS, à un endroit où il n’y en avait pas eu de trouvé jusqu’à présent. Au Sénat hier, le président de l’ASN Bernard DOROSZCUK a précisé les causes identifiées : un alignement forcé de tuyaux et soudures qui ont dû être réparées. Ainsi, ce problème n’est pas un problème générique comme peuvent être les autres fissures de CSC détectées il y a un an.
Les problèmes de micro-fissures sur des tuyaux à cause de la corrosion étaient connus, mais cette nouvelle fissure est bien plus importante. L’autorité de sûreté nucléaire classe cet événement au niveau 2 de l’échelle INES. Cet incident est-il susceptible de provoquer des désordres importants ? Faut-il s’en inquiéter ?
Loïk Le Floch-Prigent : Laissons l’inquiétude aux manipulateurs des peurs. Nous ne sommes pas au niveau 1, mais il faut prendre au sérieux le classement effectué par l’Asn. Ces tuyaux ont connu au cours du temps des interventions, il va falloir les analyser de près car chaque soudure provoque un chauffage des tuyaux en inox qui modifie la granulométrie et il y a eu probablement beaucoup de soudures autour de l’endroit où on a constaté les fissures. Cette expérience comme celle de Flamanville 3 (le réacteur pas encore en activité) nous montre qu’il vaut mieux toujours effectuer des contrôles non destructifs que de découper les tuyaux pour ensuite refaire des soudures. Heureusement nous avons fait depuis cinq ans beaucoup de progrès dans les contrôles non destructifs. L’incident n’est pas grave, mais son traitement exige l’arrêt du réacteur, on veut espérer que ce cas particulier de Penly 1 est isolé.
Alexis Quentin : L’incident en soi n’est pas de mesure à avoir des conséquences, et n’est pas inquiétant non plus, de mon point de vue. D’ailleurs, l’ASN dans son communiqué dit » La présence de cette fissure conduit à ce que la résistance de la tuyauterie ne soit plus démontrée. Toutefois la démonstration de sûreté du réacteur prend en compte la rupture d’une de ces lignes. « , donc d’un point de vue sûreté ce n’est pas apocalyptique comme a pu l’entendre ailleurs. C’est même plutôt rassurant d’être capable de détecter des défauts en fait. C’est un signe que le programme de contrôle suite à la découverte du phénomène de CSC est mené consciencieusement.
Alors que la dangerosité du nucléaire figure au premier rang des arguments de ses opposants, comment rationnellement mesurer le danger d’accidents de ce type ?
Loïk Le Floch-Prigent : Ce n’est pas un accident c’est un examen de prévention qui montre, au contraire, la maitrise des ingénieurs et techniciens sur la sureté des installations. Il faut, bien sûr, poursuivre les contrôles et les observations pour que les incidents continuent à rester des incidents gérables. Il faut garder son calme, EDF observe, elle en avertit l’ASN, l’ASN formule un avis, pris en compte par les ingénieurs, ensuite ils agissent et essaient de limiter le temps de non fonctionnement des réacteurs. Nous payons aujourd’hui le fait de n’avoir plus investi dans le nucléaire depuis 2005 et d’avoir besoin de toutes les centrales pour satisfaire nos besoins. En tournant le dos à la règle de disposer d’une énergie abondante, bon marché et souveraine depuis 1997 nous avons joué aux apprentis sorciers et chaque arrêt, parfaitement motivé pour des raisons de sécurité, est transformé en drame de pénurie potentielle et attisé en catastrophe potentielle par les anti-nucléaires. Ce genre d’incidents arrive dans toutes nos activités industrielles, on n’en fait pas tout un plat. Pour l’instant, on ne parle pas de « danger », on parle d’arrêt pour réparation.
Alexis Quentin : On le mesure rationnellement en prenant en compte le risque plutôt que le danger. L’ASN précise (voir supra) que la potentielle rupture d’une de ces tuyauteries était prise en compte dans la démonstration de sûreté. Donc pas d’accident nucléaire en vue. Pour la mesure du risque, il faut une vraie « culture du risque » qui permette de démystifier ça, et que l’on n’a pas assez en France. Ça peut passer par de la communication externe, qui est aujourd’hui perfectible, mais aussi pour la population par des contacts plus directs, comme des visites de centrales par exemple.
Dans quelle mesure s’agit-il d’une nouvelle mauvaise nouvelle pour toutes les centrales françaises dont le redémarrage est retardé à cause de ce type d’anomalies liées à la corrosion ?
Loïk Le Floch-Prigent : Les phénomènes de corrosion sont classiques dans toute l’industrie, la multiplication des soudures dans l’inox nécessite des précautions exceptionnelles, il n’aurait pas fallu les multiplier en effectuant des réparations de précaution, c’est un peu la conséquence des peurs accumulées depuis des années sur le mot « nucléaire » et attisées par beaucoup. Il faut revenir aux connaissances scientifiques et à la mesure des risques. Le fonctionnement des centrales reprendra lorsque tous les travaux et examens auront été effectués.
Alexis Quentin : Cela peut être une mauvaise nouvelle si des contrôles supplémentaires pour vérifier certaines soudures s’avèrent nécessaires. Aujourd’hui, on n’a pas d’infos à ce sujet.
Alors que la centrale nucléaire de Zaporijjia a été temporairement coupée du réseau électrique ukrainien après une frappe russe ce jeudi, faut-il s’attendre à une nouvelle vague de protestations contre la filière nucléaire française ?
Loïk Le Floch-Prigent : Avec les antinucléaires on a déjà tout connu, y compris les mensonges sur la capacité à devenir un pays 100% énergies solaires et éoliennes. Nous n’avons pas le choix, il nous faut poursuivre notre programme nucléaire ou partir pour construire des centrales au charbon ou au gaz comme nos voisins allemands ! Nous pouvons observer que notre engagement sur le nucléaire et l’hydraulique nous a permis de connaitre un prix moitié de celui de nos voisins et une empreinte carbone dix fois moindre. Quant à Zaporijjia, l’Agence Internationale sur place a averti que la situation sur place méritait une action immédiate, la situation a été rapidement rétablie, les professionnels du nucléaire sont les mêmes partout, ils veillent avant tout à la sécurité de leurs installations. Ce sont les intrus quels qu’ils soient qui perdent la raison, ceux qui veulent prouver le manque de sécurité des installations en effectuant des intrusions comme les militaires qui veulent en faire des terrains de jeux. Il faut choisir entre le nucléaire ou le gaz, certains préfèrent le gaz… encore faut-il aller le chercher, il y en a aussi en France, mais nous n’avons pas le droit de le dire encore moins d’aller le chercher !
Alexis Quentin : On a pu voir depuis quelques jours des vagues venant surtout de militants antinucléaires qui n’hésitent pas à jouer sur les peurs en faisant croire que ces fissures sont extrêmement graves et risquent de provoquer de graves accidents. Oui, avoir ce type de fissures n’est pas normal, mais non, il n’y aura pas de Fukushima français à cause de ça. On voit bien que depuis le retournement de l’opinion publique sur la question du nucléaire, des attaques continuent à avoir lieu, en invoquant successivement la question géopolitique, les déchets, l’eau et maintenant ces fissures, sans pour autant que ces attaques soient efficaces.
Je trouve curieux que l’on ne s’interroge pas d’avantage sur l’origine de ces fissures. D’accord, le phénomène est « courant » dans l’industrie (je me souviens d’avoir dans ma vie professionnelle « subi » une fissure sur les 3/4 de l’épaisseur d’un cordon de soudure de 100 mm, ce n’était pas dans le nucléaire !), mais cela n’arrive pas par hasard.
Pourquoi ces problèmes frappent-ils uniquement la France et aucun des réacteurs semblables installés à l’étranger ? Personnellement, j’aurais tendance à accuser les autorités de sûreté de négligence coupable ! Pour ménager les susceptibilités écologiques, on a autorisé et même exigé d’EDF qu’ils fassent varier l’allure des réacteurs en fonction des variations de charge des énergies nouvelles intermittentes. La France est le seul pays à autoriser cela. Tous les autres pays font fonctionner leurs centrales « en base » à une allure très peu variable, ce qui réduit évidemment les contraintes subies par les équipements. Pourquoi l’ASN ne s’inspire-t’elle pas de ce qui marche à l’étranger (et qui a marché chez nous jusqu’à l’arrivée massive des énergies renouvelables) pour demander le retour de nos réacteurs à un fonctionnement en régime de base ?