Emmanuel Macron a présenté ce lundi depuis l’Elysée les orientations de sa politique africaine pour les années à venir, avant une tournée au Gabon, en Angola, au Congo et en RDC, prévue du 1er au 5 mars. La France n’aura plus en Afrique que des bases militaires co-gérées avec les pays africains avec une « diminution visible » des effectifs.
Atlantico : Emmanuel Macron a donné un discours consacré au futur du partenariat Afrique France. A l’heure actuelle et face à la complexité des enjeux, que peut espérer sauver la France en Afrique ?
Ousmane Ndiaye : La France ne reste une puissance mondiale que parce qu’elle est une puissance en Afrique. Vu les nouveaux rapports de force en Europe et en Asie, l’influence politique et culturelle française est essentiellement circonscrite en Afrique. On peut relativiser le poids économique de l’Afrique par rapport à l’économie française mais le poids politique est important. Il suffit de regarder les votes africains au Conseil de sécurité de l’ONU. L’enjeu de la France est donc de sauver sa place de puissance.
Le deuxième enjeu est de faire face à la perte d’influence qui s’est beaucoup accélérée ces dernières années. Une perte d’influence qui s’est accélérée avec l’échec de Barkhane au Sahel. Ce qui était considéré comme le pré carré français devient des bastions de l’anti-France. Il y a donc clairement une perte d’influence mais aussi de crédibilité. C’est une question impérieuse pour la France et c’est ce qu’essaie de sauver Emmanuel Macron. Dans son discours, il revoit les ambitions françaises à la baisse. Il explique que les ambitions de la France, vouloir apporter la paix et la sécurité, étaient démesurées car elle n’en avait plus les moyens.
Loïk Le Floch-Prigent : On est obligés à ce stade de devoir distinguer la France en tant que gouvernements successifs ayant cumulé les erreurs depuis des années et d’autre part les Français qui depuis des siècles ont une histoire d’amour avec l’Afrique. En tant que pays organisé nos positions vont devenir de plus en plus fragiles, mais les amitiés entre les peuples, les contacts, les vies, vont se poursuivre et notre histoire commune perdurera. Si l’on ne met pas en priorité la culture, l’amitié, l’histoire, la compréhension, l’estime, la confiance, le bien commun, rien ne résistera. Les richesses du sol et du sous-sol de l’Afrique sub-saharienne sont tellement importantes qu’elles vont, dans l’avenir, devenir des proies pour grand nombre de prédateurs, et notre place, en tant que pays, aura du mal à être préservée ! La France est présentée comme l’abominable pays colonisateur et les propagandes sont très efficaces en ce sens, cela va mettre du temps à s’effacer, on vient de le voir au Mali, en Centre-Afrique, au Burkina-Faso ! Et ce n’est sans doute pas fini ! C’est la langue, l’éducation, la culture qui permettront aux Français de demain de continuer à vivre avec les Africains pour le bien des deux Continents.
Face à l’influence russe et chinoise, notamment, en Afrique, la vision française déployée par Emmanuel Macron est-elle en mesure de faire face ?
Ousmane Ndiaye : Le problème c’est que la vision d’Emmanuel Macron n’est pas tranchée, elle n’est pas claire, elle comporte encore une ambiguïté qui fait, depuis le départ, la marque du président. On n’assume pas totalement le réalisme que les Russes ou les chinois – faire du commerce avec tout le monde, quelles que soient les conditions – et on veut se soucier des droits de l’homme et de la démocratie tout en disant qu’on en a plus les moyens, ce qui est vrai car la France est concurrencée en Afrique et est handicapée par ce postulat. Emmanuel Macron a rejeté le terme de compétition, de fait, peut-être n’a-t-elle pas une politique de compétition, mais c’est ce que les relations internationales imposent. Emmanuel Macron est souvent dans la posture et souvent rattrapé par le rapport de force.
La relation de la France avec l’Afrique a souvent été très militarisée. On en a eu plusieurs exemples récents. Et c’est surprenant que l’Elysée parle aujourd’hui de prise de conscience de l’enjeu sécuritaire. L’autre chose à noter dans le discours d’Emmanuel Macron, c’est sa volonté de clôturer un chapitre des relations. Mais je ne suis pas sûr que l’initiative de la clôture vienne de la France. Longtemps la France a paru sourde à cette revendication de rééquilibrer les relations et aujourd’hui on le lui impose. Il fait preuve de réalisme, car il voit que la politique volontariste portée par la France ne marche pas. Il était le moteur, il parle aujourd’hui de co-construction.
Loïk Le Floch-Prigent : Nous ne sommes plus dans l’influence ou l’économie, nous avons perdu car nous avons voulu conserver des régimes corrompus qui paraissaient nous arranger et les jeunesses africaines n’ont pas été dupes. La corruption a désormais dérapé avec la présence d’autres pays comme la Russie ou la Chine, avec d’autres pratiques mais une grande efficacité en termes de propriété des mines et des autres richesses. Cela n’aura qu’un temps mais les prochaines années vont être très difficiles pour la France et les Français. Nous n’avons pas été suffisamment clairs sur notre conception de la démocratie et notre soutien collectif a été trop aveuglé par les continuités. La brutalité Russe et la permissivité apparente Chinoise ont été des armes très destructrices que nous n’avons pas traitées sérieusement. Il nous faut donc rapidement faire retraite et préparer le futur avec nos qualités propres : une connaissance approfondie de l’Afrique et un amour inconditionnel pour elle.
En prônant l’humilité, Emmanuel Macron risque-t-il le rétrécissement de l’influence française en Afrique ?
Loïk Le Floch-Prigent : Le terme est, me semble-t-il mal choisi, il faut, au contraire être fiers de l’œuvre accomplie, fiers des infrastructures, fiers des installations portuaires, fiers du mélange des cultures réussi, mais si les peuples en préfèrent d’autres, il faut les laisser diriger leurs affaires et signer en ce qui nous concerne des traités d’amitié et des protocoles culturels et éducatifs ! Notre influence sera à moyen terme décuplée si nous la faisons porter sur l’essentiel et non le dérisoire. Il est à craindre que les peuples africains aient à en souffrir et que beaucoup encore veuillent se réfugier chez nous ou au Maghreb, mais nous n’y pouvons rien. Cependant il n’est pas dans notre intérêt ni dans celui des populations de soutenir encore très longtemps des familles régnantes qui ont échoué ! Pendant quelque temps il faut oublier l’influence militaire et économique !
Emmanuel Macron a annoncé une prochaine «diminution visible» des effectifs militaires français en Afrique. La France peut-elle réussir à peser sur le continent sans sa composante militaire ? Si oui, comment ?
Ousmane Ndiaye : Le problème c’est que ce qui est proclamé comme une nouvelle politique était imposé à la France de fait. Les Burkinabés ont demandé aux militaires français de partir. Donc c’est une forme d’officialisation de la réalité du terrain. L’essentiel du dispositif de Barkhane a été contraint à la réorganisation.
Paris a clairement expliqué que si les relais militaires allaient s’effacer, on espérait développer de nouveaux relais dans la société civile, des relais économiques et culturels. Cette stratégie risque de se heurter à une forte rétivité des africains et des gouvernements. Les gouvernements veulent qu’on s’adresse d’abord à eux, dans une relation d’Etat à Etat. Quand il remet en cause cette relation, Emmanuel Macron tente un pari risqué. Et ce d’autant plus que la société civile en Afrique est une chose complexe et diffuse. Il mène une politique de funambule. De nombreux éléments peuvent faire échouer cette tentative. Le fait même que la France choisisse ses interlocuteurs peut suffire à les délégitimer. Aujourd’hui, Emmanuel Macron a fait son discours devant une forte délégation qui va l’accompagner dans son voyage et seront identifiés, qu’ils le veuillent ou non, comme des relais macroniens. La redoutable propagande russe va chercher à la décrédibiliser et les Russes ont une longueur d’avance en la matière. Ainsi la contestation peut venir des gouvernements, de la société civile réelle, etc.
Loïk Le Floch-Prigent : Depuis des années les observateurs amoureux de l’Afrique préconisent que notre pays ne peut pas continuer à se maintenir comme le gendarme de l’Afrique sous peine d’apparaître comme une armée d’occupation ! Nous avons commis l’erreur de vouloir faire le bonheur de certains pays en multipliant notre présence militaire, et ceci sans y mettre suffisamment de moyens. Nous avons fait la moitié du chemin, c’est-à-dire que nous récoltons le mauvais côté des choses sans bénéficier de la satisfaction des populations. Nous avons donc eu « faux » et nous avons eu du mal à en tirer les conséquences. Soit nous arrivions à réunir autour de nous des forces européennes ou occidentales, soit nous maintenions une armée néo coloniale ! C’est la deuxième alternative qui a prévalu et qui nous a fait haïr, nous n’avions pas besoin de ça. Une fois de plus regardons l’essentiel, la référence linguistique et démocratique, la culture et l’art, l’histoire commune et la mixité.
Lors de la première étape, à Libreville, il participera à un sommet sur la préservation des forêts du bassin du fleuve Congo. La France peut-elle espérer une nouvelle approche caractérisée par ce genre d’actions ?
Loïk Le Floch-Prigent : Cette histoire de préservation des forêts est un prétexte pour beaucoup de familles Présidentielles pour extorquer de nouveau des fonds pour leurs « œuvres » ! C’est de l’écologie bobo pour les gogos ! Le problème de l’Afrique Centrale c’est d’arriver à utiliser leurs ressources financières pour bâtir une industrie de transformation leur permettant de conserver leur population, de la nourrir et d’exporter. Poursuivre l’exploitation des matières premières exportées « brutes » vers les pays tiers puis acheter à prix d’or de quoi vivre en rendant riches une étroite nomenklatura avide n’est une solution ni pour l’Afrique ni pour le monde qui finit par se sentir assiégé par des migrants . Les nouveaux dirigeants de l’Afrique qui vont finir par succéder aux générations des ex-colonisés vont devoir s’atteler à cette tâche essentielle et il s’agira de la survie de l’Afrique et non du sauvetage de la planète climatique ! Il va falloir faire le développement industriel de tous les pays en prenant exemple sur l’Afrique Australe. C’est possible si les chefs d’entreprises ont suffisamment de liberté pour entreprendre , et c’est pourquoi ce sont les nouvelles démocraties africaines qui vont réussir et non les autocraties du passé. C’est là que les Français auront une carte essentielle à jouer, et ils seront alors accueillis à bras ouverts.
« En Afrique, la France ne peut plus que sauver les meubles… et sa dignité » écrivait Natacha Polony il y a un an. Partagez-vous le constat ?
Ousmane Ndiaye : Non, car ce que la France vit comme une humiliation depuis quelques années, ce sont les conséquences de longues années vécues comme des humiliations par les pays Africains. La volonté de voir les Français partir, c’est le produit d’un mélange d’humiliations, de brimades et de maladresses. Mais ce qui se passe, c’est une contestation politique de la domination française, ça n’a rien à voir avec l’émotionnel. L’émotion, c’est une instrumentalisation et une mise en scène de la contestation politique. C’est un processus ancien qui arrive à maturation. Déjà dans les années 2000, le Sénégal a voulu faire fermer les bases françaises, Alpha Blondy chantait déjà « armée française allez-vous en ». Le contexte actuel de la guerre en Ukraine complexifie la situation. Aujourd’hui, avec la présence russe, il est très difficile de se désengager militairement sans perdre de l’influence. La guerre avec la Russie se joue aussi en Afrique.
Quels atouts la France a encore à jouer ?
Ousmane Ndiaye : La France a encore des atouts à jouer : à commencer par une langue commune, une vraie tradition de relations culturelles intellectuelles. Un jeune africain aura beau tenir un discours contre la France, il rêve pourtant d’aller dans les universités françaises pour étudier. Elle a des atouts culturels, économiques, diplomatiques. Le problème, c’est qu’il y a un hiatus entre les discours et les actes. Emmanuel Macron veut reconquérir la jeunesse africaine, mais dans le même temps il a augmenté drastiquement les frais des étrangers à l’université.
Comment faire pour que la France puisse jouer ses atouts ?
Ousmane Ndiaye : Il faut partir sur de nouvelles bases pour rééquilibrer la relation et solder avant cela quelques questions fondatrices : celle des actions militaires, celle des ingérences politiques et celle du franc CFA. La France doit avoir une ligne claire. Et jusqu’à présent ce n’est pas le cas. Il faut aussi s’interroger sur la notion même de politique africaine de la France. Il me semble qu’il faudrait changer d’approche : la France ne doit pas avoir une politique africaine mais des politiques différenciées par état ou sous-région. La diversité des réalités, des contextes ne peut pas permettre des doctrines choisies pour tout le continent.
Il faut aussi rétablir la confiance. Tant qu’il y a une défiance vis-à-vis de la France, les choses ne peuvent pas marcher. Il faut repenser et repacifier la relation. Cela ne peut pas passer uniquement par la société civile. Les Etats doivent être intégrés. Si ces questions ne sont pas réglées, il est difficile d’imaginer une amélioration.