Atlantico : Avec plus de 200 milliards d’euros cumulés en 2022, les six plus grandes compagnies pétrolières occidentales ont gagné plus d’argent que jamais dans leur histoire. Comment expliquer ces chiffres alors même que l’Occident ne jure que par la transition énergétique et la sortie des énergies fossiles ?
Loïk Le Floch-Prigent : Ce n’est pas un paradoxe, c’est un défaut d’anticipation des politiques qui ont voulu annoncer une transition énergétique avant d’avoir évalué les alternatives : on dit « on va sortir des fossiles » avant de savoir par quoi les remplacer ! On demande, on ordonne, aux pétroliers et gaziers de baisser leurs investissements dans l’exploration et la production et rien ne peut les remplacer sauf …le charbon qui depuis quatre ans est passé de 23 à 27% de la consommation énergétique mondiale tandis que les « fossiles (charbon, gaz et charbon) restaient stables à 84% , mais avec une poussée de la consommation globale ! Il n’y aura donc « transition « que si l’on investit massivement dans des alternatives réelles , ce qui n’ a été fait nulle part. Les usines éoliennes et solaires produisent de l’électricité intermittente, elles ont besoin d’être « doublées » 75% du temps par des centrales à gaz ou charbon, on a plutôt reculé sur les investissements hydroélectriques en proportion alors qu’elles fournissent de l’énergie pilotable et l’alternative majeure, le nucléaire, a été combattue un peu partout. On a donc fait l’inverse de ce que nous professions, on a accru l’utilisation du charbon , on a maintenu la consommation du gaz et du pétrole …en augmentant leurs prix avec les « taxes carbone » venant de toutes parts. On a donc défini des objectifs respectables sans se donner aucun moyen de les atteindre avec comme conséquence la souffrance de tous les peuples concernés et …une augmentation des bénéfices de toutes les compagnies de production des fossiles : c’était écrit !
Pour s’en sortir , puisque l’on n’a pas investi dans les vraies alternatives, il ne reste plus qu’à relancer l’exploration et la production pétrolière et gazière pour faire baisser les prix et revenir à une consommation charbonnière , la plus contestable, en forte diminution ! La transition énergétique ne peut réussir qu’à travers des alternatives et non des slogans creux avec des solutions d’électricité intermittentes sans efficacité réelle. Plutôt que de hurler contre des bénéfices extraordinaires, il faut en analyser les raisons …et reconnaitre ses erreurs . Ce n’est pas gagné !
Jean-Pierre Favennec : Les profits des six plus grandes sociétés pétrolières dépassent 200 milliards d’Euros pour 2022. Ces profits qui sont équivalents au PNB d’un pays comme le Finlande sont impressionnants. On se rappellera cependant qu’entre 2011 et 2014 les profits de ces mêmes sociétés atteignaient déjà des niveaux analogues. Les profits des grandes sociétés pétrolières sont bien entendu liés aux prix du pétrole. Mais le prix du pétrole en 2022 n’était pas supérieur au prix du pétrole il y a 10 ans. En revanche l’invasion de l’Ukraine et les embargos décidés par l’Union Européenne sur l’importation de produits pétroliers a considérablement augmenté le prix des produits pétroliers et l’augmentation des profits est surtout due à l’augmentation des prix des produits raffinés et du gaz naturel.
Comment expliquer ces chiffres alors même que l’Occident ne jure que par la transition énergétique et la sortie des énergies fossiles ?
Jean-Pierre Favennec : La reprise économique après le COVID puis l’invasion de l’Ukraine ont provoqué une très forte augmentation des prix du gaz naturel, des produits pétroliers, de l’électricité. Les profits des sociétés du secteur de l’énergie ont donc considérablement augmenté.
Si l’Union Européenne cherche à réduire sa consommation d’énergies fossiles, la demande de pétrole et de produits pétroliers continue à croître dans le reste du monde. Or les investissements dans l’exploration production du pétrole et du gaz ont été divisés par deux entre 2014 et 2019. Investissements réduits et demande accrue conduisent à une augmentation des prix donc des profits
Ceci ne signifie pas que les investissements dans les énergies renouvelables, nécessaires pour faire face au changement climatique, sont réduits au profit des investissements dans les fossiles. Mais dans une économie mondialisée où l’objectif premier est le profit et le versement de dividendes aux actionnaires, les investissements dans les fossiles restent rentables.
Cette semaine, BP, la major pétrolière qui était allée le plus loin dans ses engagements en faveur de la transition énergétique, a annoncé qu’elle allait ralentir le rythme de réduction de sa production de pétrole et de gaz. Comment expliquer ce renoncement ?
Loïk Le Floch-Prigent : Cela semble généreux, mais le résultat sera inverse de ce qui est imaginé, les prix et donc les bénéfices vont encore augmenter puisque il y aura d’un côté de la rareté (ce qui est rare est cher !) et de l’autre une faiblesse des investissements , donc des résultats en hausse . La solution ne peut pas résider dans la pénurie et la décroissance, mais dans la recherche de meilleurs rendements, d’alternatives viables et d’investissements efficaces. On ne va pas passer de 84% à 0% avec des discours, des punitions, des sanctions, mais avec des actes motivés, compréhensibles et modulés dans le temps et dans la géographie. A quoi sert-il de lancer des programmes irréalisables et ambitieux en France qui ne contient que 1% des terres immergées et des habitants de la planète ? Nous voulons des voitures électriques ? les nôtres seront à l’électricité d’origine nucléaire, les chinoises d’origine charbonnière ! Réduire la production de gaz et de pétrole c’est, aujourd’hui, augmenter l’utilisation du charbon ! Est-ce cela qui est souhaité ?
Jean-Pierre Favennec : Il n’y a pas de renoncement. Il y a une logique qui est celle du profit. Les principales sociétés européennes (Shell, BP, Total Energies, Equinor) est de répondre aux défis du changement climatique en mettant l’accès sur les investissements dans les renouvelables tout en garantissant des profits à travers l’exploitation des fossiles. La position des sociétés américaines : ExxonMobil, Chevron est légèrement différente car elles sont moins soumises aux pressions des mouvements écologistes.
La lutte contre le réchauffement climatique passe par des accords internationaux et probablement des mesures contraignantes. Ces mesures contraignantes sont difficiles à faire accepter aux citoyens.
Les entreprises pétrolières et les marchés financiers sont-ils (rationnellement) mus par une logique de court terme ? Est-ce irréaliste de croire que les géants du secteur vont accepter de se priver de manne dont-ils bénéficient actuellement ?
Loïk Le Floch-Prigent : Une grande partie des professionnels de l’énergie a compris que nous avions à vivre dans l’hypocrisie, faire semblant de croire à l’éolien et au solaire pour mieux fournir du gaz ! L’humanité en croissance a besoin de plus d’énergie, elle utilisera ce qui est à sa disposition, mais si la naïveté de certains est de croire qu’ils seront sauvés avec l’énergie intermittente, pourquoi ne pas en profiter ? Si le monde occidental continue à vouloir vivre dans le déni de réalité, les compagnies doivent s’adapter pour survivre. S’il faut continuer à transformer un produit abondant en produit rare en niant qu’il n’existe pas d’alternative , que peuvent faire les entreprises, sinon poursuivre une croissance de leurs bénéfices sans pouvoir les cacher ! On ne peut rien contre les autruches . On vient bien de voter en France pour accélérer le programme de construction des éoliennes en mer alors que les derniers mois viennent de nous démontrer qu’elles sont inutiles puisque nous avons, nous Français, investi depuis cinquante ans dans l’électricité nucléaire et hydraulique ! Les géants du secteur vont poursuivre leur politique en essayant de se faire discrets et « vertueux ». Si c’est cela qui est souhaité par les peuples et si tout le monde y trouve son compte ! Ils vont donc être amenés à financer beaucoup de choses inutiles pour être « bien considérés ». les « marchés » croient en l’éolien , demain à l’hydrogène, après demain ce sera autre chose …un jour le réel reprendra le dessus, mais nous n’y sommes pas encore
Dans quelle mesure cette situation met-t-elle aussi en lumière les hypocrisies politiques sur le sujet de la transition énergétique ?
Loïk Le Floch-Prigent : La « transition énergétique » est une gigantesque hypocrisie, nous sommes perpétuellement en transition, pas plus aujourd’hui qu’hier , et les alternatives aux fossiles, nous les traquons depuis le choc pétrolier de 1973 ! Simplement puisqu’il faut une continuité du service des citoyens-consommateurs à part le nucléaire et l’hydraulique on n’ a pas beaucoup avancé ! On parle de l’hydrogène mais c’est un vecteur, pas une alternative, la géothermie en est une mais pour la chaleur, pas la mobilité. On parle de changer les modes de vie, mais qui le décide ? les peuples ou les dictateurs ? On veut avancer vers un gouvernement de la planète ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Ce ne peut être alors une démocratie ?
Nous ne pouvons être en transition accélérée qu’avec des alternatives dans lesquelles investir ! Où sont-elles ? Dans l’imagination, dans la science, la technique et l’industrie de demain, pas encore aujourd’hui ! Alors il va falloir, en attendant ce paradis espéré faire avec ce que l’on a , des meilleurs rendements pour le gaz et le pétrole et un ralentissement accéléré du charbon en commençant par les usages domestiques (comme en Inde !).
En attendant il faut rapidement investir dans les centrales nucléaires à neutrons rapides qui utilisent les déchets des centrales actuelles et dans l’hydroélectricité en particulier en Afrique pour tenter de stabiliser le continent avec des réseaux électriques performants.
La transition a toujours été le propre des civilisations techniques qui ont progressé tous les jours avec ce que les industriels appellent « l’amélioration continue » et les « retours d’expériences », on est loin de la politique des anathèmes et des imprécations , loin de l’hypocrisie aussi, mais le réveil va être douloureux , nous sommes encore dans le coma profond !
Avons nous trop abordé ces enjeux par de la pensée magique ?
Loïk Le Floch-Prigent :Bien sur ! En mettant autant de classes d’âge loin des sciences physiques et biologiques, loin de l’industrie et de ses exigences, en donnant l’illusion que l’homme était un destructeur de la nature alors qu’il n’avait jamais fait autre chose que de la transformer et la domestiquer , on a donné l’illusion à la jeunesse d’un âge d’or vers lequel il fallait revenir tout en lui fournissant les derniers instruments de la technique ! Il faut « sauver la planète » avec le smartphone …mais sans pétrole et sans gaz , sans nucléaire …sans ciment, sans acier, sans pétrole…sans mines et désormais sans travail . Encore une fois ce n’est pas gagné !
Tout à fait d’accord avec Loïc le Floch Prigent. Je ne comprends pas la position des autorités concernant les éoliennes et le solaire qui sont inutiles, cheres et nécessitent l’utilisation de gaz et de charbon.
Sont-ils si cons que ça, ou est-ce voulu ?
Les deux apparemment
LLFP fait 1 analyse excellente et jamais relayée par le troupeau bêlant des médias incultes.
Sa dénonciation de l’hypocrisie générale à la fois politique, médiatique, gauchisâtre et hélas populaire est saine mais ultra minoritaire.
Merci à lui de sa croisade
Excellente analyse . Merci aux intervenants !
Ainsi, le niveau élevé du prix des hydrocarbures et conséquemment les énormes profits des majors sont dus aux écolos qui ont poussé à la réduction de la production, sans qu’on ait de compensation quantitative des ENR…..
Existe-t-il quelques personnes sensées et responsables qui pourraient remettre en cause les plans actuels de nos dirigeants européens et français ? Comme le dit Loïc il faut replanifier une stratégie de transition dans la durée qui tienne compte de la réalité de terrain loin des dictats écologiques sans fondement. Ne démolissons pas l’économie, ne demolissons pas la société sous prétexte d’écologie.
Analyse pertinente et excellente et cependant aucun écho relayé par les « grands médias «