Du point de vue de la rationalité énergétique et économique, les solutions possibles sont claires pour affronter l’hiver. Ce qui l’est beaucoup moins, c’est le chemin politique pour y parvenir…
Atlantico : Du point de vue de la rationalité énergétique et économique, les solutions pour affronter l’hiver semblent claires. Quelle serait la meilleure approche à adopter ?
Pierre Bentata : Quand on essaye de faire face à une pénurie ou une crise économique qui se caractérise par une faiblesse de l’offre ou des prix élevés, les mesures trop globales, celles qui visent à inciter l’ensemble des acteurs à consommer, peuvent aggraver la situation. De plus, on brouille un facteur essentiel, qui est le prix. Si une variation d’un prix par rapport à un autre apparaît, cela veut dire qu’il y a un problème de rareté. Les acteurs s’adaptent en conséquence et modifient leur comportement. Le risque est que les individus continuent à consommer ou se plaignent en pensant que le gouvernement n’en fait pas assez, sans même réaliser qu’il y a un vrai problème et que l’État n’est pas responsable.
Il y a deux phénomènes, liés en général, celui de l’augmentation des prix de l’énergie et celui de la rareté : une des lois de l’économie, ce qui est rare est cher !
Et c’est effectivement comme cela que l’augmentation des prix de l’énergie a commencé il y a deux ans : on a voulu cumuler pour des raisons électorales l’affaiblissement de l’électricité d’origine nucléaire et l’effondrement de l’exploration des fossiles (pétrole et gaz) en entonnant la trompette du recours accru aux énergies dites renouvelables essentiellement éoliennes et solaires.
-le monde dépend à 80% de l’énergie fossile -charbon, pétrole, gaz, faire décroitre l’exploration et la production sans prévoir un remplacement à un cout équivalent est dangereux car cela va conduire à une augmentation des prix (rareté) inacceptable dans la population et dans les entreprises.
-le recours augmenté à une énergie électrique « propre », à savoir éolienne et solaire, bute, en dehors des couts prohibitifs de raccordement et de dérèglement de réseaux, sur leur caractère intermittent nécessitant une « doublure » pour 75% du temps (!) par une énergie pilotable, en fait gaz ou charbon. La « propreté » ou la « verdeur » des énergies intermittentes est donc inexact puisque leur utilisation nécessite à coté une énergie « classique ». Dans notre pays et ses voisins, l’appel à une énergie abondante est hivernal et cela tombe le plus souvent dans une période où il n’y a pas de vent et peu de soleil ! Les problèmes des consommateurs, individuels ou collectifs, ne sont résolus que par des énergies pilotables, hydraulique, fossiles, nucléaire ! En Norvège et au Québec, l’énergie pilotable est majoritairement hydraulique, dans l’Europe anti-nucléaire l’énergie pilotable est majoritairement issue du gaz ou du charbon. Dans nos pays vouloir éradiquer nucléaire et fossiles est donc suicidaire et ne peut mener qu’à un renchérissement de l’énergie puis à des pénuries.
Pour mettre en place de telles mesures, un débat politique ouvert ne serait-il pas plus efficace qu’un conseil de défense énergétique ?
Pierre Bentata : Cela nécessiterait d’abord d’expliquer clairement quels sont les enjeux et d’avoir plus de transparence sur l’impact de ces mesures. Aucun dirigeant politique, ni même dans l’opposition, est venu expliquer à la population quel est le niveau d’inflation anticipé, comment il va peser sur les ménages et les entreprises … Il y a donc une forme d’infantilisation de la population, même si cela se comprend puisqu’il ne faut pas terroriser tout le monde. Pourtant, l’effet est presque opposé puisque de temps en temps, certains politiques lâchent de petites phrases sans rapport avec le discours officiel. Ils rassurent d’un côté et promettent de contenir l’inflation avant d’annoncer que c’est la fin de l’abondance ou qu’il y aura des pénuries. Il y a là un certain décalage qui peut choquer. Le gouvernement devrait faire preuve de pédagogie et devrait avoir confiance en la capacité de compréhension des citoyens, qui ne sont mis au courant de rien.
Considérer que l’urgence est de permettre une installation plus rapide des énergies intermittentes en France en présentant un projet de loi en ce sens est un déni de réalité, rien ne pourra changer, au contraire, avec des investissements couteux et inutiles pour les cinq ans à venir. Par exemple si le programme de l’usine éolienne des Caps Fréhel et d’Erquy voit le jour dans trois ans, sa puissance installée servira 25% du temps et la Centrale à gaz de Landivisiau y suppléera, ainsi que la centrale à charbon-pellets de Cordemais et la centrale nucléaire de Chinon : il y a de l’électricité en Bretagne qui n’a nul besoin du saccage de la Baie de Saint-Brieuc !
L’urgence, on le voit bien aujourd’hui, c’est de faire baisser les prix pour tous les consommateurs y compris industriels, et d’éviter les pénuries.
Le recours à des combustibles abondants et disponibles est une première réponse, il faut desserrer les contraintes à l’égard du pétrole et du charbon, c’est ce que fait tout le monde sans le dire pour éviter trop de manifestations des écologistes politiques. On peut donc s’attendre à une baisse de ces deux produits, à une relative abondance, mais il faudrait quand même pour de vraies raisons écologiques éviter de multiplier les générateurs individuels ou collectifs à essence ou diesel comme on peut les connaitre dans les pays à faible réseau électrique ou réseau « intermittent «.
Le gaz est un problème européen sur les deux aspects, le prix et la disponibilité. Pour la disponibilité ce n’est pas un problème français (nos réserves sont abondantes avec nos stockages) sauf si nous sommes trop généreux avec nos voisins, par contre le prix est prohibitif et il faut trouver le moyen de ne pas voir disparaitre à court terme beaucoup de consommateurs « captifs », ménages ou industriels. Si l’on résout le problème de l’électricité on peut espérer tempérer celui du gaz.
Reste en prix et en disponibilité l’électricité qui était nucléaire à 75% avant 2012 et qui est tombée à 50% ces derniers mois avec une augmentation vertigineuse du « prix de gros », c’est-à-dire l’invention de la Commission Européenne d’un « marché » pour un produit qui doit être consommé dès qu’il est produit, non « stockable « ! Ce marché artificiel est une catastrophe puisque nous finissons par racheter dix fois plus cher une énergie nationale bâtie avec l’argent des contribuables français. Il y a plusieurs solutions à ce problème, expérimentées par nos voisins, mais il faut remettre les choses à plat dans les semaines qui viennent et tourner le dos aux absurdités qui vont tuer toute l’industrie ! Revenir à la gestion collective d’un monopole de production hérisse le poil des « libéraux obtus » mais il y a urgence réelle
Mais il faut surtout savoir comment remettre en urgence en fonctionnement effectif l’ensemble de notre potentiel de production nucléaire avec des centrales arrêtées en grand nombre pour des problèmes de maintenance.
Tout d’abord, malgré le travail de l’ASN (Agence de Sureté Nucléaire) qui a montré depuis des dizaines d’années sa grande compétence, il faudrait vérifier si, à cause du fameux « principe de précaution « introduit dans la Constitution, on n’a pas exagéré le nombre des arrêts . Par exemple considérer un effet de série et stopper quatre réacteurs parce que l’on observe une anomalie sur l’un d’entre eux est-ce raisonnable, ce n’est pas, en tous les cas, la pratique courante industrielle, cela accroitrait sensiblement les dépôts de bilan.
Ensuite, ayant bien analysé les problèmes posés, EDF édite un planning tenant compte des disponibilités des entreprises sous-traitantes, car c’est un travail collectif qui exige des compétences au-delà de la maison-mère ! Le PPE de 2012 a raréfié les compétences, mais elles existent et peuvent être mobilisées si on décrète l’URGENCE, c’est-à-dire si on a vraiment envie de passer un hiver paisible pour l’ensemble des Français ! Lorsque nous rencontrons des risques de pénalités fortes dans l’industrie nous avons recours à des équipes de jour et de nuit avec heures supplémentaires, au lieu de 3X8 on fait du 12H /12H, on mobilise du travail en Week-end, on fait appel à toutes les compétences, y compris des préretraités rappelés pour la circonstance, en bref on mobilise les forces vives ! En l’occurrence si l’on remet en route suffisamment de réacteurs nucléaires avant l’hiver et si on a traité le « marché » absurde de l’électricité, on passe cet hiver et les deux suivants sans encombre en retrouvant la souveraineté indispensable à notre prospérité, mais cela veut dire que nous concentrons tous nos moyens sur cet objectif et que la loi d’urgence permettra à toutes les entreprises de ne pas se trouver pénalisées par les tribunaux.
La question est donc simple, voulons-nous ou non résoudre le problème auquel nous sommes confrontés ou voulons-nous continuer à parler sobriété et éoliennes pour plaire à l’écologie politique ?
À quel point les arbitrages qui vont peut-être devoir être faits seront politiquement marqués ?
Pierre Bentata : Il y a plusieurs scénarios. Si on aide tous les acteurs en même temps, l’arbitrage se fera entre aujourd’hui et demain, entre le présent et le futur. On continue à fabriquer de la dette, à se mettre en danger, et à inciter la population à consommer, alors même que cette crise peut se répéter. Ce type d’arbitrage est le plus cynique mais aussi le plus efficace à court terme : on privilégie le présent pour sacrifier le futur.
À l’inverse, des stratégies pourraient être plus pertinentes sur le plan économique. L’arbitrage se fera entre les ménages les plus pauvres et les plus riches, avec des effets de seuil qui peuvent être ressentis comme injustes. Le soutien doit également être sectoriel. Par contre, ces effets créent un certain clivage dans la population.
Loïk Le Floch-Prigent : Soit on continue dans les délires de l’écologie politique qui vient de montrer ses limites, soit on prend en mains sans tabous une situation périlleuse en recherchant l’efficacité pour le bien-être de la population et le maintien de la prospérité économique.
Peut-on imaginer un clivage entre les entreprises et les ménages ?
Pierre Bentata : Il y a deux solutions. La première consiste à sacrifier l’avenir en faisant de la dette et en laissant le problème au prochain gouvernement. Le second consiste à créer un clivage au nom de l’efficacité en créant des prix qui augmentent en fonction de la quantité consommée, ce qui crée un sentiment d’injustice.
La solution intermédiaire consiste à jouer de la démagogie en aidant les ménages et en pénalisant les entreprises. Cela se comprend politiquement mais n’a aucun sens d’un point de vue économique. Si les entreprises sont en difficulté, cela retombera sur les individus les moins qualifiés. Au final, pour protéger les ménages les plus pauvres, on met en danger la pérennité de l’emploi des acteurs les moins qualifiés.
Ce n’est pas d’un conseil de défense opaque que l’on a besoin mais de réellement passer en économie de guerre en mobilisant toutes les ressources et en les affectant à ce qui est le plus urgent. Un exemple tout bête : les lubies écologiques impliquent de rendre obsolètes des investissement couteux (pas seulement dans le domaine de l’énergie mais aussi par ex dans le domaine des moteurs) et concomitamment de faire des investissements énormes dont non seulement on ne sait pas si on en recueillera un fruit plus tard mais dont on sait en plus que les moyens consommés pour cela (y compris de l’énergie dont nous manquons) ne serons pas récupérés avant des années (quand un véhicule électrique a t il remboursé la dette en matériaux et énergie qui a servi à le construire ?). Une première mesure évidente serait donc de faire un tri impitoyable entre tous les projets d’investissement et à faire un moratoire immédiat sur ceux qui sont un boulet à court terme. Inutile de dire que dans ces conditions il faut arrêter immédiatement les constructions d’éoliennes, de parcs solaires, de véhicules électriques…Il faut également sauver tous les moyens de production que l’on voulait fermer prématurément ou qui ont fermé récemment (Fessenheim).
Il faut bien entendu redéployer ce que l’on économise (le béton des éoliennes peut être mieux utilisé dans le nucléaire, les matériaux énergivores doivent être réservés aux bon projets…), recentrer la main d’œuvre disponible sur l’indispensable. Par ex les ingénieurs ayant abandonné l’industrie au profit de la finance ou de formes de management qui peuvent être réduites (la bureaucratie) et confiées à de non-ingénieurs. Il faut relancer les formations, il faut accepter de travailler un peu plus (quelques heures de plus par semaine en situation de crise ne seraient pas un scandale…).
Il n’y a aucune raison pour que l’on ne puisse pas renouveler les exploits de guerres précédentes. Le projet Manhattan étant pour moi le meilleur exemple de ce que l’on peut faire quand on a conscience de l’urgence.
Bonsoir, en marge de cet article, Je cherche les références d’une interview récente sur le même sujet de M. Le Floch Prigent par Eric Brunet : quel média, quelle émission… Si quelqu’un peut me les donner, merci
LCI à minuit il y a une sem