De nombreuses difficultés pourraient bien compromettre sérieusement la filière.
Selon BloombergNef, les voitures à batterie pourraient passer de moins de 10 % des ventes mondiales de véhicules en 2021 à 40 % en 2030. La filière pourra-t-elle vraiment tenir ses promesses de montée en puissance et de démocratisation ?
Jean Pierre Corniou : L’industrie du véhicule électrique vit dans un temps réduit les affres de la mise en place mondiale d’une nouvelle filière de mobilité. Alors que depuis la fin du XIXe siècle l’essor de l’industrie automobile à moteur à explosion a été lent et progressif, laissant à l’industrie le temps de passer, en 50 ans, des prototypes d’artisans géniaux à la grande série, et de trouver les ressources en pétrole nécessaires à la croissance du marché, le véhicule électrique est brutalement ressorti des cartons, où il était resté longuement à l’état de promesses, pour devenir une réalité industrielle. En 2012, 120 000 véhicules électriques étaient vendus dans le monde. Avec 6,6 millions de véhicules vendus en 2021 et un stock de véhicules en circulation estimé à 16,5 millions fin 2021, le véhicule électrique prend une place visible dans la rue, les publicités et les préoccupations des constructeurs. La Chine et l’Europe tirent le marché mondial. Dans un contexte morose pour l’industrie automobile, la part des véhicules électriques continue de progresser en 2022. Il y a 450 modèles de véhicules électriques disponibles sur le marché mondial, toutefois seul le marché chinois réussit à proposer une offre pour tous types de véhicules. Mais, plus encore, c’est l’engagement des pouvoirs publics, partout sur la planète, à stimuler avec des aides fiscales la production de véhicules électriques d’ici 2030, puis dans la décennie suivante d’interdire la production de véhicules thermiques, qui créée une formidable pression sur l’industrie automobile sommée de réussir en quelques années cette mutation majeure.
C’est donc un défi considérable pour cette industrie de motoristes, rompue à la complexité de la production de moteurs thermiques et à la gestion de leurs émissions de gaz, de se réinventer pour mettre en place une filière industrielle complète, fiable et économique, allant des mines de lithium au recyclage. Les problèmes sont complexes et les délais pour réussir courts. La bonne nouvelle pour l’industrie, c’est, qu’en moins de dix ans, elle a mis en place l’expertise, les filières de production et de sourcing et la distribution aval pour réussir ce pari en démontrant la faisabilité de la production de masse de véhicules électriques. L’exemple de Tesla démontre que de nouveaux venus ont réussi ce pari. Le succès de l’industrie chinoise, qui représente 50 % de la production mondiale de véhicules électriques, est également remarquable. Tous les constructeurs automobiles mondiaux ont désormais pris ce virage.
Mais il reste désormais à monter en puissance. L’Union Européenne a fixé comme objectif dans son programme Fit-for-55 une réduction de 55%, par rapport à 2021, des émissions des voitures particulières et 50 % pour les véhicules utilitaires légers. Ceci implique une électrification massive des gammes des constructeurs et des flottes. L’Agence internationale de l’énergie estime pour que pour rester dans la trajectoire d’une augmentation des températures de 1,5°C en 2050 (Net Zero Emission), il faudrait fournir en véhicules électriques, en 2030, 60% du marché automobile mondial, soit 350 millions de véhicules. Or les tendances actuelles, bien que positives, ne représentent que 20% du marché de 2030. Un effort considérable est donc à fournir pour combler cet écart. Tous les composants de la filière industrielle européenne doivent donc être repensés pour atteindre pour les véhicules électriques la même performance en qualité et en prix que celle atteinte après des décennies d’efforts et d’innovation pour les véhicules à moteur thermique.
Loïk Le Floch-Prigent : Plantons d’abord le décor, le véhicule individuel est devenu au cours du XXéme siècle, et cela continue aujourd’hui, un élément essentiel de la vie de milliards d’individus. Le choix du mode de propulsion a porté sur le moteur thermique avec comme combustible l’essence ou le diesel venant des raffineries de pétrole. Cette sélection a été opérée pour des raisons de poids, de flexibilité et finalement de prix. Des progrès considérables ont été réalisés au cours du temps sur ces automobiles, en particulier l’intégration d’une électronique qui a révolutionné les aides à la conduite et les contrôles automatiques, avec une fiabilité plus importante et donc une sécurité renforcée. Le handicap du moteur thermique est celui des émissions de polluants, malgré tous les efforts effectués et, en conséquence, l’idée de l’utilisation, en zone urbaine, de véhicules électriques, est redevenue une hypothèse plausible. La difficulté du véhicule électrique, abandonné dès les débuts de l’ère automobile, portait sur le poids des batteries(à l’époque au plomb), leur encombrement, et la recharge (logistique et temps de recharge). Ce sont donc les pouvoirs publics des agglomérations qui ont demandé aux constructeurs de faire des progrès pour justifier la présence de véhicules électriques pour « dépolluer » les villes et y retrouver un air plus respirable. Le consommateur, habitué à « sa » voiture thermique, a manqué d’enthousiasme, d’autant que le prix d’achat du véhicule s’avérait plus cher… Il a donc fallu prendre un catalogue de mesures, dont des subventions, pour forcer le destin jusqu’à annoncer la fin de la construction de véhicules thermiques dans certains pays dont l’Europe. Pour rivaliser en flexibilité et en prix, il fallait faire des progrès considérables et c’est le lithium, le métal le plus léger et le plus réactif, déjà utilisé dans les téléphones portables, qui a été le plus mis à contribution pour alléger les batteries et en augmenter la longévité : pour exister il fallait être compact, réactif et léger, tout le contraire des « vieilles batteries au plomb ». Au bout de plus de cinquante ans de travaux, dans des milliers de laboratoires, et sur tous les continents, des progrès ont été réalisés mais les réalités de la physique continuent à s’imposer (les rendements des transformations ), comme celles de l’économie, les deux filières convergent, mais il n’est pas dit que l’une, l’électrique, va gagner , car l’autre, pour les usages non urbains comme dans les pays ou régions à l’électricité non abondante continuera à être la meilleure solution. Quelques soient les progrès encore réalisables pour le véhicule électrique, la cohabitation au niveau mondial fera mieux que résister, elle s’imposera.
Répondons donc à la première question : si l’on interdit la vente et l’utilisation de véhicules thermiques dans certains pays, leur utilisation va croitre, si ce n’est pas le cas, on continuera sur la pente actuelle pour atteindre une vingtaine de pour cents , essentiellement pour les villes et les régions très investies dans la multiplication des bornes de recharge permettant aux automobilistes de rapprocher le mode d’utilisation du véhicule électrique de celui du véhicule thermique qu’ils possédaient.
Le mot « démocratisation » utilisé dans la question ne manque pas de sel ! il est clair que le véhicule électrique est possible pour les classes sociales aisées et les pays très électrifiés, il n’est donc pas aujourd’hui « démocratique ». La classe moyenne est encore « thermique »!
Plus intéressant encore, imaginer un continent, le notre, s’interrogeant sur la manière de passer l’hiver prochain avec une puissance de production électrique insuffisante et des pénuries tout en voulant promouvoir le véhicule électrique et éradiquer le véhicule thermique peut apparaitre hors de propos, c’est cependant l’avenir que l’on nous propose , les idéologies ont du mal avec les réalités..
Je le dis, avec beaucoup d’autres, depuis des années, le véhicule électrique est une réalité souhaitable dans les villes, il ne remplacera pas les automobiles thermiques sauf si on interdit ces dernières et il sera difficile alors d’en faire un objectif « démocratique ».
Dans quelle mesure le prix des métaux et plus largement de la construction des batteries pourrait-il devenir un facteur limitant dans la construction de batteries ?
Jean Pierre Corniou : Il est clair que plusieurs facteurs limitent la croissance du marché des véhicules électriques sur les marchés automobiles matures alors que la stratégie chinoise de filière, qui a été conçue comme un facteur global de compétitivité de l’industrie automobile a, dès le début des années 2000, permis à la Chine de maîtriser l’ensemble des composants de la filière. L’industrie occidentale, jusqu’à la crise de 2009, attachée à la solution diesel comme facteur de réduction des émissions de CO2, s’est cantonnée dans le déni de la pertinence d’une filière électrique globale et a tardé à prendre les mesures nécessaires. Par ailleurs, en l’absence d’une pression suffisante des clients, l’implantation de bornes publiques de recharge n’a pas fait l’objet d’un déploiement volontariste. C’est donc en priorité ces facteurs – offre attractive de véhicules, densification du réseau des bornes publiques – que l’industrie et les pouvoirs publics doivent stimuler pour accélérer la croissance du marché. On peut toutefois considérer en 2022 que la disponibilité des batteries n’est pas en Europe un facteur limitant à cette croissance immédiate, mais à terme l’importation de batteries en volume est une menace pour la souveraineté. En revanche, le prix des véhicules électriques est un obstacle majeur immédiat à leur diffusion sur le marché européen car l’offre reste typée haut de gamme et ne couvre pas tous les cas d’usage.
La maîtrise des prix de revient des batteries, la diversification et l’attractivité des gammes, la montée en volume sont donc les facteurs techniques que les industriels ont décidé de prendre en compte pour apporter une réponse performante à la décarbonation des transports par le véhicule électrique. Ils sont fortement soutenus par les États européens et l’Union européenne sur ce chantier vital pour l’avenir de l’emploi et de la souveraineté de l’Europe.
Loïk Le Floch-Prigent : La volonté de perdre du poids et de gagner en puissance a conduit les concepteurs de batteries vers le lithium et ensuite pour stabiliser ce métal très réactif qui explose à l’air et à l’eau de faire appel à des métaux comme le cobalt ou le nickel … métaux non pas rares mais chers à extraire et raffiner. Les laboratoires ont travaillé et travaillent toujours sur des métaux moins sophistiqués mais il se pose très rapidement des problèmes de poids et de longévité comme d’encombrement . On est donc pris en tenaille entre des optimums difficilement envisageables pour des centaines de millions de véhicules et des produits plus répandus mais moins performants et on marche, en conséquence, vers une voiture « élitiste » et une dégradée …tout le contraire de ce qu’est devenu l’univers du véhicule thermique où les progrès sont constatés par le plus grand nombre, y compris dans le « low cost ». Pour prendre un exemple clair, la voiture de la moitié de l’humanité qui aspire à juste titre à la possession ou l’usage d’un véhicule, ce n’est pas la « Tesla » actuelle. Elle ne pourra jamais y avoir accès.
En dehors du prix des métaux et de leur disponibilité, il faut avoir en tête le cout des installations des usines de batteries avec les incertitudes sur leur durée de vie ! L’industrie automobile thermique tablait sur un minimum de sept ans , ici cela pourra être plus rapide , ce qui aura des répercussions sur le prix des véhicules pour les consommateurs . A un véhicule très « mature » et très contrôlé, on veut substituer une filière encore fragile nécessitant des investissements colossaux et sans certitudes d’évolution technique …c’est l’aventure.
La disponibilité des métaux est-elle, elle-même, en péril ?
Jean Pierre Corniou : Face à l’augmentation du nombre de véhicules électriques l’industrie travaille dans deux directions : réduire l’usage des matériaux par une optimisation de la batterie et d’autre part en sécuriser l’approvisionnement. Leur caractère vertueux est mis en doute ce qui entache la réputation des véhicules à batteries, qui certes ne produisent pas d’émission au lieu d’usage, mais dont les batteries sont issues d’un processus de production perfectible.
Tous les constructeurs, tous les fournisseurs de batteries, dominés, jusqu’alors, par les quatre asiatiques que sont les chinois BYD et CATL, le coréen LG et le japonais Panasonic, cherchent la combinaison optimale entre le coût de production, l’autonomie, le poids, la puissance, le nombre de cycles de recharge, la recyclabilité, autant de performances qui doivent être acquises avec un processus de production le plus vertueux possible sur le plan environnemental et social. En particulier, ils cherchent à éliminer le cobalt, qui coûte 28 000 $ la tonne et est produit dans des conditions critiquées en République Démocratique du Congo qui possède 50% des réserves mondiales. Tesla s’est engagé dans ce processus de réduction du cobalt, composant essentiel de la cathode, et est parvenu à en réduire l’usage de 60% depuis six ans. L’Agence internationale de l’énergie estime que d’ici 2040 la demande mondiale pour les minerais nécessaires aux technologies de la décarbonation des véhicules va être multipliée par un facteur 10 à 20, selon la vitesse de croissance du parc, le tonnage le plus important étant le lithium.
Les budgets de recherche sont considérables, la compétition intense, et les annonces de pistes nouvelles par les laboratoires de recherche sont quasi-quotidiennes. Mais entre ces annonces et la production de masse, il se passe plusieurs années. Les recherches portent sur la chimie de l’électrolyte et la composition métallique de l’anode et de la cathode. C’est un équilibre complexe qu’il faut parvenir à obtenir dans le comportement de chacun de ces composants et dans leurs interactions. Or la connaissance de ces interactions est encore imparfaite, et passe par la modélisation et l’expérimentation.
Comment sécuriser les approvisionnements ? Les prix du lithium et du cobalt ont doublé sur le marché mondial en 2021. La guerre en Ukraine pèse également sur les prix de l’aluminium et du nickel. L’industrie minière est connue pour une gestion réactive et pragmatique des réserves, mettant en production les ressources connues en fonction de la demande et du niveau des prix. La notion de réserve est donc toujours relative, il ne faudrait parler que de potentiel dans des conditions de demande et de prix déterminées. L’augmentation du prix va conduire automatiquement à la mise en place de nouvelles facilités de production.
L’Europe peut y jouer un rôle. Le BRGM a lancé en 2018 une étude sur les capacités françaises en lithium contenus dans les roches dures (minéraux lithinifères) pour identifier les ressources et les conditions d’exploitation. 41 sites ont été identifiés, essentiellement dans le Massif central et la Bretagne granitiques. En 2018 les ressources européennes sont estimées à 52 millions de tonnes d’oxyde de lithium, soir 24 Mt de lithium métallique. Il y avait en Europe, en 2018, 527 gisements potentiels de lithium , 39 projets et 15 compagnies recensés. Le Portugal, l’Espagne, la France, l’Autriche et la Finlande représentent 70% de ce potentiel. La production mondiale de lithium est passée de 28 000 tonnes en 2010 à 100 000 tonnes en 2021. Le consortium EuGeLI – pour European Geothermal Lithium Brine -, brine signifiant « saumure », rassemblant neuf partenaires industriels, dont PSA, EDF, BASF, Eramet , et des centres de recherche, le BRGM et l’IFP Energies nouvelles. Lancé en janvier 2019, son objectif était de valider un procédé développé par l’industriel Eramet et de mettre au point un procédé rentable de filière industrielle allant de l’extraction au raffinage à partir des ressources géothermales européenne, ce qui a été validé en janvier 2022.
Il faut noter que le lithium contenu dans les piles et batteries est parfaitement recyclable, plusieurs usines fonctionnent déjà dans le monde. Une batterie de véhicule électrique contient de 7 à 15 kg de lithium, ce qui est marginal dans le poids des batteries. L’industrie du recyclage est également une opportunité industrielle pour l’Europe.
La demande de lithium a suivi la multiplication des usages et l’augmentation des volumes, mettant en avant une problématique classique de l’industrie minière, les conditions environnementales d’exploitation et de recyclage des métaux. Or le véhicule électrique est présenté par les constructeurs et les gouvernements comme un véhicule écologique, propre, zéro émission. Au risque de compromettre le succès du véhicule électrique, cette image vertueuse ne peut être entachée par des conditions environnementales et sociales contestables de production des composants de la batterie. Il est clair que l’acceptabilité, et donc le succès, des politiques de développement du véhicule électrique implique que la qualité environnementale du processus industriel soit irréprochable. L’Europe entend jouer un rôle de leadership mondial dans ce domaine et ainsi se différencier de ses compétiteurs.
Loïk Le Floch-Prigent : Les matériaux existent dans la nature, c’est leur coût qui peut conduire à pénurie. Un théorème simple à méditer « les réserves augmentent avec le prix «. Il y aura toujours du pétrole et du gaz dans notre sous-sol, toujours aussi du lithium, du cobalt ou du nickel , mais le cout de l’extraction peut devenir prohibitif ce qui exigera un contrôle de gaspillage, du recyclage et une concentration sur des usages profitables (élitistes ?).
La très forte dépendance à la Chine pour les matières premières et la construction de batteries, dans un contexte de tensions géopolitiques grandissantes, pourrait-elle à terme être un frein au développement du véhicule électrique ?
Jean Pierre Corniou : La Chine et la Russie sont des fournisseurs en matériaux essentiels aux industries de l’électromobilité. Or les tensions politiques ne sont jamais un facteur favorable pour développer sereinement la mutation d’une industrie mondiale aussi essentielle à l’économie mondiale que l’industrie automobile. La Chine a son propre plan de développement de tous les véhicules électriques et entend en devenir le leader mondial. La Chine se caractérise par le développement d’une offre globale de véhicules de deux, trois et quatre roues, de toutes tailles et de tous usages. Cette attaque frontale du marché de la mobilité lui confère un avantage stratégique majeur car elle sait produire tous les composants nécessaires à travers un écosystème innovant et dynamique. La Chine entend bien ne pas se limiter à la fourniture des batteries mais cherche à améliorer sa valeur ajoutée en proposant d’exporter des véhicules complets sur les marchés mondiaux ce qu’elle n’a fait jusqu’alors que marginalement, sous ses propres marques, comme SAIC MG, BYD, mais aussi à travers les exportations des producteurs occidentaux installés sur son sol, Tesla ou GM.
Loïk Le Floch-Prigent : Nous avons laissé la Chine prendre le contrôle de toutes les filières de batteries. Cela voulait dire que nous considérions que la filière thermique allait induire des progrès suffisants pour ne pas polluer les villes . Nous avons eu tort et maintenant nous donnons le leadership de notre politique technique aux chinois . C’est déraisonnable, il fallait acter la nécessité de réaliser des véhicules électriques, accepter la cohabitation thermique/électrique et avancer calmement vers une industrie de l’électrique en Europe. C’est ce que préconisaient nos industriels du secteur. Ils n’ont pas été entendus et désormais on a créé des drames dans tout le secteur automobile européen, on a déstabilisé les consommateurs qui ne savent plus quel véhicule acheter pour répondre à leurs besoins, et nous nous sommes mis à la remorque d’un pays -continent qui est capable de produire deux fois moins cher que nous des véhicules sur lesquels ils ont une expérience incontestable et des composants essentiels dont nous n’avons aucune maitrise : une politique de gribouille ! (la batterie c’est 40% du cout du véhicule électrique).
A quel point l’établissement d’une filière complète européenne ou occidentale serait-elle difficile voire impossible à mettre en place ?
L’Europe a pris conscience que sa dépendance envers les grands fabricants asiatiques de batteries – les deux chinois CATL et BYD, le coréen LG Chem et le japonais Panasonic – représentait une menace sur sa souveraineté économique et a pris les dispositions nécessaires pour s’équiper sur son territoire en gigafactories. Elle prévoit d’être en mesure de produire 25% de la demande mondiale de batteries en 2030, dans les meilleures conditions environnementales, avec 30 gigafactories opérationnelles. Toutefois, la plupart des acteurs asiatiques sont impliqués directement dans ces projets. Quelques acteurs sont spécifiquement européens comme ACC, lancé par Stellantis et Total, ou le français Vektor. Sur 22 projets annoncés, 15 ont été effectivement lancés. Mais l’atteinte des performances techniques nécessaires à l’intégration dans les véhicules électriques pourra prendre du temps. Néanmoins, il est prévu que la production de batteries pourra passer de 44 GWh, soit 6% de la capacité mondiale en 2021, à 400 GWh d’ici 2025, soit une capacité nécessaire pour équiper 6 millions de véhicules électriques.
Pour effacer son retard en bornes de recharge, l’Union européenne a également décidé d’atteindre un million de points de chargement publics en 2025 et trois millions en 2030.
Concevoir, produire, distribuer des gammes complètes de véhicules électriques répondant à tous les segments du marché est donc bien aujourd’hui l’objectif de tous les constructeurs européens qui commencent à mesurer la puissance compétitive de la Chine. La constitution d’une filière compétitive en Europe est donc un élément prioritaire pour les constructeurs comme pour les États et l’UE. Néanmoins, assembler les modules pour construire les batteries ne suffit pas. Il faut être en mesure de produire les cellules et de suivre le rythme de l’innovation dans ce domaine. L’Alliance Européenne des Batteries (EBA) et le programme de recherche BATTERY 2030+ visent à rassembler toutes les conditions techniques pour installer en Europe une filière complète.
Loïk Le Floch-Prigent : Il n’y a , bien sûr, rien d’impossible, mais il faut du temps et de l’argent. Du temps, la politique émotionnelle de notre pays et de l’Europe n’en a pas donné.
De l’argent, il y en a eu, mais essentiellement pour colmater les trous de l’abandon progressif des véhicules thermiques en mettant des pansements sur les problèmes sociaux déclenchés par les décisions intempestives d’éradication « définitive » des véhicules thermiques.
Suite aux évènements récents (Covid et Guerre), la nécessité de redéfinir une politique de production électrique pour notre pays et notre continent s’impose, la prise en compte des pénuries possibles doivent nous conduire à ne plus accélérer l’éradication du véhicule thermique et nous remettre dans le pragmatisme d’une cohabitation électrique/thermique . Alors on se donnera du temps, pour conduire les investissements nécessaires à partir des innovations de nos chercheurs en veillant à reprendre le contrôle de certaines filières de métaux essentiels (Nickel de Nouvelle Calédonie, par exemple ! ). Et l’argent que nous dépensons pour éviter les drames sociaux dans l’automobile, on pourra le mettre dans les projets d’avenir en redonnant confiance à nos industriels nationaux et européens qui n’auront plus à chercher leur rentabilité sur d’autres continents .
Sommes nous encore capables de revoir nos politiques au regard des réalités et de définir de nouvelles priorités ? Je l’espère. Ecoutons les industriels du secteur et leurs « patrons » , les consommateurs, qui ne savent plus de quoi l’avenir sera fait si on ne veut pas affronter le monde tel qu’il est .
Face à tous ces défis, le crash de la filière est-il encore évitable ?
Jean Pierre Corniou : La transformation de l’industrie automobile européenne à marches forcées est une ambition à hauts risques. L’automobile en Europe, ce sont 6,6% de la population active et 12,7 millions d’emplois directs et indirects. Un échec compromettrait la prospérité de l’Union est sa capacité à relever le défi de la décarbonation, qui implique des solutions techniques innovantes et audacieuses comme une acceptation de ces solutions par la population. Construire une filière complète de véhicules électriques, mais aussi à hydrogène, implique un volontarisme nouveau auquel la Commission et le Conseil ne nous avaient pas habitués. Mais, avec peut-être seulement cinq ans de retard sur la Chine, l’Union et les Etats membres semblent inspirés par une combativité qui permet de prendre à bras le corps le défi systémique de la décarbonation des transports en Europe. Il s’agit désormais non plus de concevoir des plans ambitieux mais de les mettre en œuvre avec efficacité et pragmatisme avec les professionnels impliqués et sans céder au totalitarisme du court terme. L’enjeu dépasse le champ de la mobilité. C’est l’essence même de notre modèle démocratique qui est à préserver à travers cette ambition. Personne n’aidera la vieille Europe à réparer les dégâts de l’industrialisation du passé, sinon l’Europe elle-même, ses représentants et surtout ses citoyens.
Cet article est très intéressant cependant je suis surpris qu’il n’aborde pas les deux problèmes majeurs des voitures électriques qui sont:
– la durée de vie des batteries avec un coût de remplacement très élevé,
– la reconversion des batteries usagées avec leur impact important sur l’environnement.
Ces deux problèmes sont rarement évoqués dans la presse, ce qui est regrettable.