Une autre France est en train de se développer et les formations politiques dites de gauche détournent les yeux. La gauche officielle a abandonné tous les secteurs de production en analyse, compétence, et solutions.
La disparition de la Gauche dans l’organisation politique nationale, c’est-à-dire un parti puissant, son maintien occasionnel dans la gestion des villes et son omniprésence revendiquée dans la communication et la culture sont analysés avec compétence par un grand nombre de commentateurs essayant d’utiliser au mieux les quelques chiffres qui pourraient soutenir les thèses avancées. Les figures emblématiques se sont désolidarisées de cette évolution, aussitôt dénoncées comme des renégats aux portes de la droite extrême. Faut-il se réjouir de cette disparition du parti emblématique, vouloir le ressusciter ? Je ne suis pas habité par la nostalgie mais je constate que l’ambition, la générosité et l’enthousiasme d’une gauche qui aspirait à gouverner a laissé la place à un nombrilisme intolérant d’essence totalitaire que l’on ne peut que vouloir combattre. Ma Gauche n’a jamais admis le stalinisme, elle ne se retrouve pas plus dans les délires actuels « inclusifs » et « racialistes ». Elle n’est plus représentée par une organisation, elle s’exprime à travers une armée de personnages « controversés », je me nourris de leurs écrits , je persiste à penser qu’ils ont raison, et pour trouver des parades à la dérive lente de cette pensée dite moderne je cherche à comprendre comment ceux qui défendaient la jeunesse et la liberté, les classes déshéritées, sont devenus avec bonne conscience ces « moi d’abord » généreux avec eux-mêmes et avec tous ceux dont ils fantasment l’existence sans jamais les rencontrer.
Je souhaiterais partir d’un autre point de vue qui va surement irriter les idéologues chevronnés qui en contesteront la pertinence et même l’existence : ce que l’on appelle la Gauche qui a produit des hommes et femmes politiques, un fourmillement d’idées sur la transformation de la société et des conflits majeurs dans la société a eu comme racines l’observation des secteurs de production, les inégalités qui en résultaient, l’exploitation du personnel et le désespoir qui en était un des résultats les plus évidents. Dans tous les cénacles politiques qui aspiraient au changement, le progrès scientifique et technique, le respect de l’outil industriel et des travailleurs concernés étaient les socles de la réflexion et des propositions d’actions. Désormais la pensée officielle de ceux qui se disent de gauche en excluant tous les autres s’appuie essentiellement sur le sort réservé aux « minorités » tandis que les problèmes sociaux renvoient uniquement à la politique de l’emploi sans jamais prendre en compte la nature du travail effectué. La Gauche officielle a donc abandonné tous les secteurs de production en analyse, compétence, et bien sûr solutions, un anticapitalisme lyrique permettant souvent toutes les erreurs factuelles. Ayant ainsi abandonné la nature même de son ambition, peut-on appeler pensée de gauche cette logorrhée hors sol, je ne le pense pas, mais ce qui est fâcheux c’est que tous ces soixante huitards et leurs émules plus jeunes continuent à se réclamer d’actions antérieures de leurs ainés sans aucun rapport avec leur réalité, une usurpation d’identité en quelque sorte.
La conséquence électorale c’est que dans notre pays le secteur productif ayant décliné en quarante ans de moitié en effectifs ne se retrouve plus dans la représentation nationale officielle. Tout le monde a perdu ses repères, patrons « sociaux »et encadrement « responsable » cherchent ailleurs qu’à gauche les possibilités d’influence de façon désordonnée, tandis que les gens de terrain les acteurs de la production se réfugient dans l’abstentionnisme ou trouvent des attraits au populisme, plutôt au Rassemblement National (RN) qu’à La France Insoumise (LFI) . Chaque Français se sent une fidélité paysanne fondamentale mais voit disparaitre année après année ses champs et bocages, tandis que les urbains constatent sans effroi l’installation universelle de friches industrielles soulageant leurs habitations de voisins encombrants. C’est cet abandon progressif qui a tué en moins de quarante ans l’esprit généreux de Mai 1981 qui avait marqué l’arrivée de la « Gauche » par des explosions de joie. En délaissant les thèmes constituant leur propre corpus éthique et politique, en ne se penchant plus sur la production de biens, de richesses, de science, de produits agricoles ou industriels, les partis de gauche traditionnels ne se sont plus préoccupés que du « sociétal », c’est-à-dire les transformations parfois souhaitables de la vie sociale et la prise en compte des minorités visibles ou invisibles. Ils se sont ainsi coupés de leurs bases, leur générosité, leur solidarité, et donc au terme du processus de leur électorat.
La pandémie a aussi mis en lumière un égoïsme inattendu, c’est-à-dire la protection des plus âgés au détriment de la jeunesse et de l’enfance, la dette venant au secours des adultes tandis que les étudiants, les élèves, les enfants devenaient quantités négligeables jusqu’à devenir coupables de pouvoir contaminer sans être eux-mêmes malades. Les donneurs de leçons se sont ainsi retrouvés dans le melting pot des frustrés et des acariâtres sans signes distinctifs, certains voulant même imposer les masques dès le berceau !
La Gauche est ainsi devenue la Goche, c’est-à-dire une affaire d’intellectuels, classe patricienne méprisant le plèbe, qui décidément ne comprend rien à la lutte du Bien contre le Mal. Elle avait déjà montré en 1997 qu’il fallait « partager le travail » et aller vers les 35 heures alors que le monde du travail productif y était fermement opposé. Dans le même temps plutôt que d’accepter les résultats du suffrage universel, les « sachants » ( droite et goche confondus) se sont organisés pour effectuer les avancées bonnes pour notre avenir, les instances internationales diverses, et européennes en particulier, par exemple l’organisation mondiale du commerce (OMC) et la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne, la Cour Internationale de Justice, La cour Européenne de Droits de l’Homme,le GIEC, le FMI, la Banque Mondiale… des instances qui règlent notre vie quotidienne, non élues, et qui se considèrent néanmoins comme l’expression des démocraties au suffrage universel. La production, les acteurs de la production, ont disparu de toutes ces instances. Le Forum de Davos avait souhaité rassembler patrons et politiques pour qu’il existe au moins un contact annuel entre décideurs mais il n’en est plus resté que des mondanités futiles : communication, jeux d’apparence et déni de réalité.
En caricaturant si la Gauche ne représente plus les ouvriers, les techniciens, le monde industriel, les ouvriers agricoles, les petits agriculteurs, si elle n’est plus en contact des faibles, si elle abandonne l’espoir de l’ascenseur social, si elle efface la production, la science de ses aspirations, bref la « civilisation » que reste-t-il ?
Si l’on écoute la France Insoumise il suffit de partager les richesses pour rendre la population française heureuse. On peut toujours mieux partager, mais il faut d’abord produire et demeurer compétitif. Les ravages de l’écologie décroissante et punitive sont partout dans les discours qui parlent d’une autre réalité que la notre. L’utopie est nécessaire pour faire avancer un peuple, mais elle ne peut pas ignorer la réalité, à savoir un secteur productif en déshérence, une agriculture malade prise entre les écologistes et la grande distribution avec la disparition annuelle de centaines d’exploitations et une industrie non compétitive à cause de la fiscalité nationale, les normes et règlements inapplicables agités par une administration tatillonne et malveillante. A partir du moment où un déménagement en Allemagne, en Suisse, en Italie ou en Espagne, sans parler des endroits plus exotiques, permet de restaurer la rentabilité de la plupart des productions, toutes les organisations politiques auraient dû s’interroger, et en particulier celles de gauche qui se prétendaient en osmose avec le monde du travail. La France Insoumise n’a pas pu « mordre « sur cet électorat ouvrier car elle ne le connait plus, elle agite encore son effigie prolétarienne dans son discours , mais l’a abandonné en tant que catégorie opératoire d’analyse du réel.
Dans le mouvement écologiste, c’est encore pire car si les patrons des entreprises sont généralement considérés comme des pollueurs irresponsables qu’il faut punir inlassablement, les agriculteurs sont coupables d’utilisation de pesticides, de production de méthane avec leurs vaches, de maltraitance animale… tandis que les ouvriers devraient quitter vite les secteurs emblématiques des peurs et frustrations, le nucléaire, l’automobile thermique, la chimie, les carrières, les mines… Il n’y a pas discours plus anti-agriculture et anti-industrie que le discours de l’écologie politique. Et ce n’est pas l’incantation sur les emplois écologiques qui vont permettre de les réconcilier avec les ouvriers.
Reste la social-démocratie, tuée par les dix dernières années de mauvaise gestion et de réformes sociétales. Elle finit aujourd’hui par se réfugier dans une agriculture urbaine qui viendra sur les toits nourrir des résidents interdits, de fait, de se déplacer trop loin de chez eux . La politique clientéliste (ex-Terra Nova) érigée en pratique quotidienne reste en plein essor, l’encouragement au communautarisme aussi et la production industrielle et agricole est très loin des pensées comme des discours, il ne reste plus alors comme slogan que l’unité de la Gauche pour « gagner ». On ne sait plus ce qu’il faut « gagner » d’ailleurs, si ce n’est le droit de propager le bien malgré les désirs pervertis des citoyens. Et si l’on n’est pas d’accord c’est parce que l’on est des « fachos », relégués à coups d’anathèmes, comme les Parisiens qui ne reconnaissent plus la ville dans laquelle ils vivent !
Le monde de la production ayant visiblement du mal à s’incarner dans un parti politique ou une organisation prônant la liberté et la nécessité de l’ascenseur social, la plupart des commentateurs ignorant les réalités du monde de l’industrie et de la science, il parait difficile dans cette période électorale de faire revenir au premier plan les conditions du maintien et du développement de notre prospérité. Il est cependant essentiel d’y parvenir car l’argent dépensé avec France-Relance est mal utilisé puisque les conditions de la compétitivité n’ont pas été préalablement rétablies. Ainsi les implantations industrielles nouvelles en France ne sont guère favorisées, on parle de relocalisation mais on n’agit guère en la matière, il faut analyser nos dépendances , soutenir ceux et celles qui veulent bouger en nous mettant à l’abri des monopoles extérieurs qui nous empêchent et nous empêcheront de fabriquer et de consommer ce que nous voudrions. Il y a un mouvement patriotique à encourager, celui d’industriels nombreux qui souhaitent que des fabrications critiques qui nous rendent vulnérables soient installées ou réinstallées dans notre pays.
L’avenir du pays ne peut se résumer à des transformations sociétales jugées indispensables par des minorités actives et donc ceux qui pensent représenter la Gauche de notre pays se sont fourvoyés en abandonnant le monde de la production qui était pourtant leur seule raison éthique et historique d’exister et leur principale fonction politique :« L’outil de travail »-. Quel que soit le sujet traité, redistribution, écologie…si on ne revient pas à cette dimension originelle on parle dans le vide, on prend des postures, on n’intéresse plus que des minorités en conflit permanent. Si l’on veut rebâtir une gauche nouvelle, sans nostalgie et sans tabous, il faut de nouveau s’intéresser au monde du travail et de ses évolutions, ubérisation, distribution, logistique.
L’ouverture du dossier production / travail va conduire, c’est incontestable, à des remises en cause impressionnantes. Les « acquis sociaux » recueillis religieusement dans le code du travail ne concernent plus qu’une partie de la population, celle qui va dans les bureaux et que l’on exhorte depuis le covid à rester chez elle en « télétravail ». Si l’on en croit les statistiques ce personnel est désormais majoritaire, mais si l’on souhaite retrouver, en tant que pays, des marges de manœuvre financières, c’est la production qu’il faut reconsidérer. Le code du travail est désormais inadapté aux changements opérés depuis vingt ans, la numérisation, l’automatisation, la robotisation, l’utilisation d’internet et des applications ont complètement changé le monde du travail et le covid est venu ajouter sa pierre avec ses légions de livreurs à domicile. Le code du travail protège les nantis, mais le travail précaire s’est généralisé sans contrôle réel. Une autre France que celle des codes est en train de se développer et les formations politiques dites de gauche détournent les yeux, s’intéressant au sort de la planète ou au sexe des anges (ou à leur disparition). On a changé d’époque sans qu’ils s’en aperçoivent, mais c’est normal puisque cette population bienpensante ne vit plus avec la production , elle ne connait plus que la consommation et la critique voire le dénigrement… du comportement des autres.
Jeter à la poubelle l’essentiel des codes du travail et de l’environnement pour retrouver le gout et le savoir-faire de la production agricole et industrielle, cela va être très dur pour des gens qui ont toujours eu l’habitude de penser qu’ils avaient raison, y compris contre le peuple quand il s’exprime dans les urnes, c’est cependant la seule route qui permettrait et permettra de pouvoir de nouveau parler de l’avenir de la France avec une certaine légitimité.
C’est donc en revenant à la source, la production, et à notre pays avec ses forces et ses faiblesses que l’on peut construire un nouvel espoir pour tous les orphelins de la générosité sociale, les humanistes. Et, dans un premier temps, le souci électoral d’être représentés dans les instances représentatives n’apparait pas essentiel. C’est au niveau de la société civile, en effectuant des expériences, en fournissant la matière à des débats sans tabous que l’on a une chance de retrouver un fil conducteur. La société française qui se tiermondialise dans sa grande masse et qui laisse une classe de privilégiés, mondialisés tout en créant une économie assise sur des emplois précaires ne peut pas nous intéresser et les thèmes portés par la gauche ancienne ( le souci des plus faibles et l’impérieuse existence de l’ascenseur social) sont les garants d’une possible cohésion sociale renouvelée. « L’assignation » qui permet à une grande partie de la population de caractériser les individus en les mettant dans une case dont ils n’ont pas droit de sortir est un cancer qui nous ronge, alors que nous avions le sentiment que le totalitarisme qu’il engendre avait été analysé suffisamment (ou détricoté) pour qu’il ne revienne jamais plus. Or, comme un pendule, ces aspirations reviennent avec insistance, et comme avant elles proviennent d’une mauvaise digestion d’interrogations présumées « progressistes » et donc de gauche, et les mots socialisme et communisme ont été tellement utilisés à mauvais escient que les utopies qui les sous-tendent deviennent suspectes, comment ne pas penser au Goulag et aux Khmers rouges quand on voit des jeunes exclure la liberté d’expression et bientôt la liberté de penser ?
Se raccrocher au secteur productif qui permet une organisation sociale prospère avec en filigrane la satisfaction du plus grand nombre avec l’épanouissement personnel, c’est sans doute encore ce que l’on peut faire de mieux en attendant que, de nouveau, une expression politique fructueuse puisse se régénérer.
Il aurait fallu, comme nos amis américains mettre au pouvoir des sages âgés, genre Michel Barnier, les gens d’avant 68, conscient des réalités économiques et de l’intérêt général, plutôt que tous ces petits jeunes qui profitent de la manne des milliardaires, s’en mettent plein les poches et repoussent les problèmes aux calendes grecques.
Le souverainisme jacobin qui pointe ici le bout de ses dents, voudrait-il capter ce qui restent des oripeaux d’une gauche partisane du fédéralisme et du mutuellisme social, qui a oubliée les théories de Marx et rêve encore de Proudhon, ce faux apologiste du désordre. Quel mauvais amalgame avec le bonapartisme ambiant d’un monde politique en mal de repères…