Quel pays étrange que la France, qui disposait d’un outil exceptionnel dans la production d’énergie électrique grâce au nucléaire, et qui, depuis plus de 25 ans s’est obstiné à essayer de le faire disparaitre sans avoir le courage d’affronter le coût de la réalisation d’alternatives.
Aujourd’hui, timidement, on constate qu’il faut préparer une remise en fonctionnement des centrales à charbon pour passer l’hiver, avec des « effacements » (c’est-à-dire l’arrêt momentané de certaines industries) et le recours à la production de nos voisins… autrefois nos meilleurs clients, grâce aux interconnexions !
Une filière industrielle française puissante
Rappelons d’abord que, si l’électricité d’origine nucléaire a été encouragée par le Général de Gaulle, puis par Pompidou avec le plan Messmer de 1974, c’est pour des raisons d’indépendance nationale puisque notre production pétrolière et gazière nationale était déficitaire et que nos mines de charbon arrivaient à épuisement. Notre compétence en physique nucléaire a conduit à accélérer les investissements et à bâtir une filière industrielle solide, forte de 100 000 à 200 000 professionnels au service d’un grand acteur public, EDF, œuvrant à satisfaire les objectifs nationaux. Cette énergie est ainsi devenue abondante et bon marché, aussi avons-nous pu l’exporter et rentabiliser plus vite nos investissements. Cerise sur le gâteau : l’environnement qui n’était pas la préoccupation majeure de notre Président Général est aussi gagnant grâce à la pollution moindre occasionnée par ces centrales. Surtout, la production d’électricité nucléaire n’occasionnant aucune émission de carbone, cette préférence nationale pour le nucléaire est un atout considérable, alors que la lutte contre le réchauffement climatique s’est traduit par la mise en place de nouvelles contraintes.
Cependant, les erreurs accumulées par l’écologie politique fragilisent le front anti-nucléaire: les quatre candidats à l’élection présidentielle qui ont la faveur des sondages sont d’accord pour offrir à l’industrie nucléaire sa chance de redresser le pays avec une énergie abondante et bon marché
Nos hésitations commencent en 1968, lorsque les jeunes s’interrogent sur les excès de la croissance et de la nouvelle société de consommation, rêvant d’aller élever des chèvres dans le Lubéron. Pour la génération contestataire, l’utilisation civile du nucléaire, liée à la bombe de même type, est le comble de la modernité – et du danger. On aurait pu, à l’époque, vanter le rôle de la médecine nucléaire, mais on a préféré ignorer cette idéologie de la peur en maitrisant les manifestations qui ont conduit par étapes à la constitution d’un noyau actif anti-nucléaire. Ce noyau qui a constitué la base de l’écologie politique française – et allemande – et donc de la poussée électorale des « Verts ».
Premiers mécontentements en Bretagne
Cependant, jusqu’en 1981, rien ne change dans le programme d’installations des centrales. Puis le projet d’implantation d’une de ces centrales à Plogoff, près de la Pointe du Raz dans le sud-Finistère, donne lieu à des manifestations violentes. Pendant sa campagne électorale, Mitterrand promet de reculer sur Plogoff, ce qu’il décide dès son arrivée au pouvoir ! On peut épiloguer sur cette promesse de campagne ainsi que sur la décision pas très opportune d’installer une centrale près d’un site mythique. Cependant, Mitterrand a poursuivi le programme d’installations de centrales nucléaires. Mais le vert était dans le fruit, et les alternatives au site de Plogoff n’ont jamais été retenues. La Bretagne reste dépendante jusqu’à aujourd’hui de la centrale à charbon de Cordemais (près de Saint-Nazaire) pour sécuriser son approvisionnement électrique !
Pendant la période qui suit on maintient en fonctionnement 58 réacteurs sans pour autant amorcer leur remplacement éventuel tandis que les contestations se font de plus en plus fortes et qu’il devient nécessaire d’y répondre de façon plus pédagogique. Et, plutôt que de poursuivre le programme technique préparé par les spécialistes de la filière (après les réacteurs « N 4 », les réacteurs « N 4+ ») avec le remplacement des réacteurs les plus anciens par les plus récents, le monde politique invente une alternative pour se mettre à l’abri, pense-t-il, des difficultés des opinions publiques : une coopération franco-allemande et une évolution majeure de la sureté nucléaire. Ce sera le projet EPR (European Pressurized Reactor, réacteur pressurisé européen) dont les retards et les surcouts défraient la chronique depuis le lancement du chantier en 2007.
Depuis la gauche plurielle, nos gouvernements ont le nucléaire honteux
Le problème des déchets reste le véritable clou dans la chaussure du nucléaire et le projet Superphénix d’une centrale à neutrons rapides qui utilise comme combustible l’uranium usagé et donc appauvri (le déchet) sortant des centrales classiques est fondamental pour lever les derniers obstacles scientifiques et psychologiques à l’utilisation de l’énergie nucléaire, en attendant, à très long terme, la « fusion ».
L’écologie anti-nucléaire va donc appuyer sur deux sujets, Superphénix d’abord et la Centrale de Fessenheim en Alsace. Après les législatives anticipées de 1997 c’est le réacteur à neutrons rapides qui va payer le prix de l’intégration de l’écologie politique à la « gauche plurielle » de Jospin. Sans que le chef de l’Etat Jacques Chirac s’y oppose.
Depuis, nos gouvernements ont le nucléaire honteux. Quant à la Commission Européenne, sa volonté de « casser » le monopole d’EDF au nom de la concurrence a pour conséquence l’affaiblissement de ce pilier de la filière nucléaire – et hydraulique – contribuant ainsi à l’affaissement du nucléaire civil. Avec le soutien du mouvement écologiste elle va promouvoir les énergies « renouvelables », « vertes », « propres » et « gratuites », à savoir l’éolien et le solaire, en feignant d’ignorer leur coût réel et le caractère intermittent de leur production. Intermittence qui fragilise les réseaux européens existants car la capacité de stocker l’électricité est aujourd’hui extrêmement limitée.
Après les abandons successifs de Chirac, Sarkozy acceptera la création de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), un dispositif permettant aux fournisseurs d’électricité concurrents d’EDF en France (qui ne sont pas de producteurs mais des intermédiaires) de racheter à l’électricien jusqu’à 25% de sa production nucléaire à un tarif fixe. C’est se tirer une balle dans le pied pour satisfaire à l’idéologie de la libéralisation du marché, alors que la production de l’électricité est un monopole structurel.
Macron avalise la fermeture de Fessenheim
Dans le même temps le « Grenelle de l’Environnement » fait la promotion du solaire et de l’éolien « quoi qu’il en coute » et il ne reste plus qu’à attendre qu’une nouvelle gauche plurielle en 2012 demande la baisse de la part du nucléaire dans la production de l’électricité de 75 à 50% et la fermeture immédiate de Fessenheim. Ce qui sera décidé sous Hollande et effectué sous Macron. Il faut dire que l’introduction dans la Constitution d’un principe de précaution bien vague permet toutes les interprétations, en particulier de la part des anti-nucléaires, surtout après le tsunami de Fukushima. Le programme neutrons rapides, renommé « Astrid », qui avait redémarré en 2006 avec Chirac, est arrêté par Macron en 2019. Il sera poursuivi dans d’autres pays avec l’aide de nos données.
Le résultat de cette histoire est triste : ce sont le charbon, puis le gaz qui profitent de ce recul en Europe et en France car les énergies renouvelables sont incapables en l’état de soutenir notre consommation. Entre-temps, les prix de l’énergie flambent car on a réduit l’investissement dans l’exploration des carburants fossiles et leur production. Tout cela, alors que l’Europe a plus que jamais besoin d’une énergie électrique abondante, fiable et bon marché pour assurer sa compétitivité industrielle et assurer la montée en puissance du véhicule électrique au détriment de l’automobile à moteur thermique.
Illusions perdues
Bercés par les illusions de l’écologie politique, nos gouvernements se sont trompés dans leurs calculs à la fois de rentabilité et de consommation au point où la grande peur, aujourd’hui, n’est plus celle du nucléaire mais celle de la pénurie et du délestage : on annonce que certains territoires doivent se préparer à vivre des coupures d’électricité systématiques. Une situation inconcevable pour un pays hier exportateur d’électricité et dont la maîtrise technique, conjuguée à un appareil industriel de pointe, a permis à la Chine de s’équiper de centrales nucléaires de modèle français ! Notre mix électrique composé d’une base nucléaire, d’un pilotage hydraulique et gazier et d’investissements limités et raisonnables dans les énergies solaire et éolienne était surement le meilleur du monde, non seulement en termes de coût et de disponibilité mais aussi en matière d’émissions de CO2.
Cependant, les erreurs accumulées par l’écologie politique aux commandes des villes (notamment Lyon, Bordeaux et Grenoble) fragilisent le front anti-nucléaire. Désormais, les quatre candidats à l’élection présidentielle qui ont la faveur des sondages sont d’accord pour offrir à l’industrie nucléaire sa chance de redresser le pays avec une énergie abondante et bon marché. Mais que de temps perdu, que d’existences gâchées, que d’occasions de redresser notre balance commerciale abandonnées ! L’espoir est que l’essentiel de nos physiciens, ingénieurs, techniciens et industriels de talent sont restés chez nous, prêts à rebondir dans des délais que l’urgence exige. Mais il ne faudra plus les décevoir, et les atermoiements de nos représentants à la Commission Européenne ne sont pas de bon augure. Nous devons investir dans l’électricité nucléaire, et vite.
Je reste cependant perplexe sur l’action des différents présidents d’EDF et des syndicats, pourtant si prompt à défendre l’emploi, pour laisser leur entreprise se faire tortiller et ruiner. Un Carlos Tavares, président de Stellantis (Peugeot Citroën Fiat Chrysler), tout en répondant à l’obligation qui lui est faite de fabriquer des voitures électriques annonce publiquement cependant la casse industrielle, sociale, économique qui va en resulter.
Excellent article comme d’ailleurs parmi de nombreux autres permettant de regarder avec un peu de recul notre histoire « nucléaire »
Rendons grâce à l’hystérie climatique qui permet de justifier ce retour à la raison. Ce n’est pas si rare que des bonnes décisions soient prises pour de mauvaises raisons. Un signe fort pourrait être le redémarrage de Fessenheim qui est tout-à-fait possible (je le sens bien…)
La rétrocession par GE à EDF de l’activité Turbines d’Alstom, au top mondial, est tout de même un signe encourageant pour réveiller la belle endormie, l’industrie nucléaire française. La réacquisition de nombreux savoir-faire perdus ces dernières années ne sera pas l’affaire de quelques mois, malheureusement.
Excellente mise au point historique et lucide. Le maintien des investissements dans une recherche de haut niveau et une industrie de pointe est aussi la meilleure garantie pour la sécurité des installations, comme pour la limitation de la production de déchets radioactifs, voir leur absorption qui sera également utile avec la raréfaction éventuelle de l’accès aux gisements d’uranium.
Bien sur l’analyse est des plus lucides, dans cette affaire il y a une responsabilité énorme de Macron… mais on entend pratiquement rien
L’arrêt d’Astrid qui plus est sans aucune discussion concertation est d’une absurdité crasse , seule solution dans la durée envisageable raisonnablement pour plusieurs siècles tant la fusion, simple dans la physique, mais avec un risque de ne pas aboutir au plan énergétique industrielle . C’est le même qui parle de start up nation , c’est vrai l’ENA n’est pas une école d’ingénieurs mais on peut les écouter plutôt que d’aller à la pêche à quelques voix vertes.
La situation est d’autant plus grave que même avec une forte volonté de relancer la filière il va y avoir quelques « soucis »
1) On ne met pas une centrale nucléaire n’importe où , il est quand mieux de disposer de capacités hydraulique de refroidissement ! Qui va par exemple pouvoir remettre une centrale sur le Rhin ( à Fessenheim par exemple) . On avez là une centrale compact sans Aero ventilation et vapeur d’eau.
2) Les ingénieurs en physique nucléaire ,en physique des matériaux , des thermodynamiciens ils sont où … ils attendent que Macron change d’avis qu’il fasse la girouette ou l’éolienne? Même avec une volonté féroce il va falloir 10, 15 ans pour avoir un retour! A moins que l’on achète des microcentrales à neutrons rapides en Russie, en Chine ou au US ?
Sur le projet Astrid, les Japonais étaient partenaires. Notre défection définitive avalisée par Macron en personne en 2019, après 800 millions € d’investissements les a laissés orphelins. Pas pour très longtemps puisque Mitsubishi vient de signer fin janvier avec Bill Gates pour développer dans le Wyoming un réacteur à neutrons rapides (https://asia.nikkei.com/Business/Energy/Bill-Gates-backed-fast-reactor-effort-joined-by-Japan-heavyweights). Ah bien sûr Macron a derechef promis 800M€ maintenant pour des « SMR » à la française. Qui ne seront pas utiles en métropole mais destinés à l’export. Après 2030! Quelle étude de marché a été faite, et surtout quelle analyse de la concurrence? Les Chinois construisent déjà un SMR dans l’île de Hainan (un vrai, compact et de 125MWe, pas de 340 MWe comme le Nuward français qui de facto ne mérite pas cette appellation de SMR puisque selon le classement de l’AIEA, la limite est de 300 MWe!). Rolls Royce aura son SMR opérationnel en 2030 (et non « au premier béton en 2030 comme le Nuward). Les Canadiens, les Russes auront aussi tous DES réacteurs SMR en fonctionnement à cette date. Les Américains aussi avec Nuscale qui en 2025 en aura un opérationnel et en construira déjà en…Ukraine! Ce sera quoi, le « marché international du SMR français »??
Pendant ce temps les Français se voient prélever 7 Milliards €/an sur leur facture d’électricité pour « soutenir » les énergies intermittentes!!
Ce désastre est volontaire car autant de bêtise au sommet, ce n’est pas crédible.
Emmannuel Macron a annoncé la construction de six EPR et huit autres en option d’ici 2050 mais il faut voter la loi ,toutefois
les prétendants les mieux placés actuellement a l’éléction Présidentielle sont favorables au nucléaire ce qui ne dispense pas
d’investir dans les énergies renouvelables .Le demi -tour de Macron coutera cher dans la réalisation de ces options tardives .
Des politiques en France ,écologiques préférent encore le réchauffement climatique au nucléaire.Ainsi jean -luc Mélenchon
propose la fermeture de toutes les centrales ,proclamant qu’un EPR peut etre compensé par 45 éoliennes en mer,c’est du délire !
Yannick Jadot vise toujours la disparition du nuléaire dans sa totalité comme l’indique Greenpeace et son influence sur les
politiques énergétiques qui a des conséquences désastreuses .
Émotion et tristesse à l’annonce de la disparition de Bernard Bigot: son engagement au service de l’intérêt général, son énergie immense et enthousiaste dans la recherche de solutions, sa conviction profonde du rôle du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique. Un grand scientifique qui a su engager Iter dans sa phase de construction essentielle à l’heure où le monde retrouve un dynamisme vif sur la fusion nucléaire.
Outre son travail de recherche et d’enseignement, il a occupé des fonctions importantes au sein du ministère chargé de la recherche et de l’éducation nationale entre 1993 et1997, puis de 2002 à 2003. Il est nommé administrateur général du CEA en 2009, puis directeur général d’Iter Organization en 2015.