Atlantico : En juin dernier dans la prison de Condé-sur-Sarthe a eu lieu une prise d’otages où deux surveillants, ont été retenus par un détenu avant d’être relâchés. Mardi 5 octobre, dans cette même prison, un nouvel individu condamné à perpétuité a lui aussi blessé un surveillant et bloqué une surveillante dans une cellule provoquant une prise d’otages. Deux situations qui nous font s’interroger sur l’état actuel des prisons et les conditions de détention des établissements français. A quel point les prisons sont-elles confrontées à un manque de moyens matériels ?
Loïk Le Floch-Prigent : On ne s’intéresse aux prisons que lorsqu’il y a évasion ou prise d’otages, et encore plus lorsqu’un délinquant revenu dans la société commet un crime. L’émotion étant rapidement éteinte, on passe à autre chose et les sujets ne manquent pas. De temps à autre, toutefois un brillant esprit se réveille en dénonçant le scandale des peines non exécutées et donc la nécessité d’ouvrir d’urgence de nouvelles prisons, 20 000 places en général, pour y engouffrer la racaille. La bonne méthode n’est pas celle-là, elle consisterait à faire un constat, établir un diagnostic et suggérer des remèdes. Ceci serait très angoissant car cela voudrait dire ouvrir la boite de nos lâchetés, c’est-à-dire découvrir ce que nous voulons cacher sous le tapis. Il est clair que la prison, son fonctionnement, son rôle, ses moyens, son personnel… sont les derniers de nos soucis, individuels comme collectifs. « Repenser la prison » comme j’ai voulu le proposer dans un ouvrage récent, c’est aussi s’interroger sur la société dans laquelle nous vivons et sur son organisation quand il s’agit de traiter crimes et délits.
Avant d’en venir aux moyens matériels, il faudrait réfléchir à ce que nous voulons faire en incarcérant des « coupables » ou des « présumés coupables ». Voulons-nous surveiller et punir selon un barème écrit dans la loi ou voulons-nous protéger la société d’un danger sur les personnes ou sur les biens. La plupart des pays occidentaux sont en train de se poser cette question en mêlant magistrats, avocats, policiers et personnel pénitentiaire, beaucoup en France se mobilisent autour de la deuxième alternative « protéger la société », mais le flot des commentaires reste le même dans l’hexagone et finit par le confort d’une récrimination budgétaire.
S’interroger sur le danger conduit cependant à s’interroger sur l’accompagnement du détenu lors de son incarcération, sur l’examen de son cursus avant sa libération et sur les chances de sa réinsertion dans la société, c’est-à-dire la probabilité qu’il ne soit plus dangereux. C’est ainsi que celui qui a prononcé la peine est conduit à devenir acteur du programme carcéral et responsable du droit de sortie… un changement complet par rapport à la philosophie et au fonctionnement actuel.
Autrement dit si on considère par moyens nécessaires à rendre efficace l’incarcération uniquement les investissements matériels, on se trompe complètement, mais si l’on parle de personnel d’insertion et de probation, de psychologues et de psychiatres, d’éducation, de travail, de contenus, alors oui il faut augmenter les moyens et aider le personnel pénitentiaire à renouveler entièrement la conception de l’incarcération. Mais il faut d’abord en convaincre les magistrats et les rendre responsables des peines qu’ils prononcent dans la durée et non seulement au prétoire.
Pierre-Marie Sève : Il est assez difficile de porter un jugement général sur les prisons françaises en prenant pour exemple la maison centrale de Condé-sur-Sarthe.
D’abord parce que cette maison centrale abrite uniquement des criminels, et ces criminels sont parmi les plus dangereux de France : Tony Meilhon, Youssouf Fofana etc… Elle est également réputée pour être la mieux sécurisée de France et, contrairement à l’immense majorité des prisons de France, elle n’est pas surpeuplée. Les détenus sont ainsi tous isolés et ne communiquent que très peu entre eux.
En revanche, le roulement des effectifs de surveillants de prison, estimé à 30% annuellement, dit quelque chose des conditions de travail déplorables qui y ont lieu. La violence est omniprésente car gérer des détenus psychologiquement déséquilibrés et qui n’ont plus rien à perdre est une des missions les plus difficiles qui soient. La prise d’otages d’hier n’en est d’ailleurs qu’une parmi des dizaines à Condé-sur-Sarthe ces dernières années.
Le système de réinsertion et de formation durant les peines est-il à réinventer ?
Loïk Le Floch-Prigent : C’est bien cela dont il s’agit et c’est la seule manière de protéger le personnel pénitentiaire qui voit la violence grandir tous les jours à l’intérieur des établissements alors qu’ils sont débordés et que l’acte de surveillance qu’ils ont déjà du mal à réaliser est dérisoire par rapport au sujet à traiter : que font les détenus et comment se préparent-ils à revenir dans la société. Participer à cette grande ambition de réinsertion et de protection de la société pourrait avoir un sens, surveiller pour accompagner une punition est très insuffisant.
Pierre-Marie Sève : La Justice française souffre d’un dogme selon lequel le seul objectif de la peine est de réinsérer le coupable. Comment une personne qui n’a aucun espoir de jours meilleurs peut-elle continuer à vivre ? Depuis que la société française ne croit plus en la vie après la mort, elle ne peut se résoudre à la cruauté de condamner une vie entière à la perpétuité réelle. C’est donc logiquement que la perpétuité réelle n’existe plus dans notre pays. C’est aussi pour cette raison que toutes les peines en France sont pensées pour la réinsertion future des détenus, même les plus dangereux, même ceux dont il y a une chance infime de réadaptation à la vie en société. C’est pourtant inconscient de vouloir libérer et réinsérer certains profils qui ne sortiront jamais de la violence.
Le preneur d’otages d’hier matin, Sofiane Rasmouk, a commis des actes inimaginables : il a violé et défiguré deux jeunes femmes au hasard, avec une cruauté sans nom. Pourtant, comme tous les autres détenus français, il garde une possibilité de sortie. Normalement, dans 17 ans, il pourra demander une sortie conditionnelle ou un aménagement de peine. Il n’aura que 50 ans. Cet homme a été condamné des dizaines de fois avant de commettre ces meurtres. De plus, il les a commis en semi-liberté. Il n’y a aucun espoir de réinsertion pour lui.
Alors oui, sans même parler de la peine de mort, qui est une question qui peut se poser, la perpétuité réelle, qui n’existe pas en France, doit être rétablie d’urgence car des potentielles victimes innocentes ne peuvent subir les frais d’un criminel libéré trop tôt.
Le sous-investissement de l’État en la matière est-il en train de transformer les prisons en école du crime ? L’état d’insécurité, des trafics en interne et la violence sont-ils inquiétants ?