L’annulation de la commande de sous marins par l’Australie sous la pression américaine a rappelé à nos dirigeants comment les Etats-Unis traitent leurs amis en matières de commerce et d’industrie. Notre pays se remettra de cet affront. Dans la course à l’armement nucléaire, nous ne sommes pas les plus mal placés.
La presse et la classe politique regorgent d’avis définitifs sur la rupture du contrat des sous-marins entre l’Australie et la France, sujet devenu brûlant. Rajouter sa pierre à cette profusion d’opinions, de compétences et d’incompétences est dangereux, d’autant que la campagne électorale ne va pas manquer de poursuivre l’exégèse de cet événement. Il faut donc tenter d’aider le citoyen à comprendre un peu mieux cette rencontre délicate entre le commerce international, la politique et la géopolitique.
Toute commande importante d’armements se fait avec l’autorisation de fait des États-Unis, puissance dominante du camp occidental qui grâce à son arsenal législatif peut arrêter une vente de matériel, dès qu’il y a facturation ou présence d’un seul composant d’origine américaine. Tout le monde le sait, sauf les naïfs ou les aveugles. C’est ainsi que l’avion Rafale a vu son expansion internationale arrêtée de nombreuses fois, mais les exemples sont nombreux et mettent à mal notre orgueil souverainiste.
Le contrat avec les Australiens n’a pas été remporté contre les Américains, mais contre les Allemands et les Japonais. Il ne s’agissait pas pour les Australiens d’acheter des sous-marins fabriqués en France, mais de fabriquer des sous-marins en Australie avec l’aide de Naval Group et des transferts de technologie. En conséquence, la vie de Naval Group ne dépendait pas du contrat australien. Mais celui-ci permettait à la France et à l’entreprise de montrer leur compétitivité.
Le choix de sous-marins classiques, et non à propulsion nucléaire, s’explique par deux raisons : d’abord le souhait de la puissance américaine de ne pas disperser la technologie nucléaire et d’autre part le souci des Australiens de réduire la dépense.
Les États-Unis n’ont pas envie de voir toutes les nations disposer de technologies nucléaires. Il y a une douzaine d’années, le Canada voulait acheter à la France des sous-marins nucléaires, les Américains s’y sont fermement opposés, menaçant de mettre fin à tous les accords commerciaux nord-américains. Il y a quatre ans, ils ont donc laissé le champ libre aux Australiens pour sélectionner un dispositif non nucléaire au Japon ou en Europe.
Pour les Australiens, il n’y avait alors aucune urgence à disposer de l’atome. Tout d’abord, ils sont utilisateurs et vendeurs de charbon, et souhaitent le rester pendant les années qui viennent, et d’autre part ils sont conscients de l’effort considérable nécessaire pour devenir une nation compétente dans le nucléaire. Comme me le disait un cousin sous-marinier qui a passé de longs mois à l’Île Longue près de Brest dans notre grand centre sous-marinier nucléaire, construire, maintenir et faire fonctionner des engins à propulsion nucléaire ne s’improvise pas. Un sous-marin nucléaire, c’est une centaine d’hommes regroupés autour d’une petite centrale nucléaire associée à une turbine de production électrique, une usine à oxygène, des torpilles et, dans le cas de mon interlocuteur, des missiles nucléaires. Cela nécessite une longue formation aux consignes de sûreté et de sécurité, ce qui se chiffre en milliards. Ne pas avoir construit de centrales nucléaires pendant des années a abouti à une érosion des compétences scientifiques, techniques et industrielles françaises que nous avons mis plusieurs années à rebâtir, et nous ne sommes pas au bout de notre peine !
Le contrat passé entre les Australiens et Naval Group était donc clair, à la fois dans les intentions et dans l’ordre de grandeur des coûts pour les uns et pour les autres.
Le changement d’appréciation géopolitique des Australiens et des Américains s’explique par l’analyse de la menace chinoise que l’on se fait sur les deux continents. Certes, les sous-marins de conception française disposent d’un rayon d’action important (et c’est d’ailleurs ainsi que Naval Group a gagné), mais encore nettement inférieur à ce que souhaitent les Américains aujourd’hui. Naval Group a donc proposé des sousmarins nucléaires d’attaque, qui sont sa spécialité. Les Australiens ont répondu qu’ils voulaient des classiques,
mais plus performants. Finalement ils reviennent à leur idée première, mais plus avec nous, avec les Américains et leurs complices habituels, les Britanniques.
Reste à comprendre pourquoi. La réponse est simple : ce sont les Américains qui vont devoir payer le différentiel de coût de ce changement stratégique, ce que nous sommes incapables de faire. Nous sommes encore une puissance technique et industrielle, mais nous commençons à faiblir et nous avons besoin de contrats rémunérateurs. Les États-Unis vont « nucléariser » l’Australie à marche forcée en maîtrisant les techniques apportées et ils n’ont pas envie de sous-traiter. Nous sommes désormais en deuxième division dès qu’il s’agit de mettre des milliards sur la table. C’est vrai dans tous les secteurs industriels mais, concernant le nucléaire, le fait d’avoir arrêté Fessenheim, Superphénix et Astrid, puis d’hésiter à relancer le programme électronucléaire civil et de fléchir devant la Commission européenne et l’Allemagne antinucléaire accélère notre affaiblissement économique et industriel. Si nous voulons retrouver notre capacité à vendre des sous-marins nucléaires, il nous faut reconquérir notre réputation nucléaire en montrant la confiance de la nation dans cette technique et résister au lobby antinucléaire qui empoisonne notre industrie depuis des dizaines d’années. Un rapport récent qui a fortement déplu au ministre Nicolas Hulot avant sa démission concluait à la nécessité, pour conserver le nucléaire militaire, de poursuivre le nucléaire civil !
La moralité de ce début d’aventure n’est pas aussi catastrophique que ce que pensent la presse et les politiciens. Les Américains étant désormais d’accord pour nucléariser les pays amis, nous sommes habilités, après discussion avec nos alliés, à proposer nos sousmarins nucléaires d’attaque aux pays qui le souhaitent, commencer par l’Inde. Ce sera l’objet obligé de la rencontre entre les deux présidents en octobre.
La population française a enfin compris comment les États-Unis traitaient leurs amis. Les industriels le savent depuis longtemps, mais les politiciens et la presse le cachent. Le sursaut d’orgueil du peuple français fait du bien, après la revendication de souveraineté industrielle née du Covid.
Enfin, Naval Group se porte bien. Ce contrat était si peu vital pour lui que sa direction commerciale ne voulait même pas répondre à l’appel d’offres australien qui semblait acquis aux Japonais. Mais il a mis en lumière la grande compétence de l’entreprise et la nécessité pour les pouvoirs publics de la soutenir « géopolitiquement » en reprenant les principes chers au général de Gaulle, et pas seulement avec de belles paroles.
Une analyse extrêmement pertinente qui montre une vraie maîtrise de l’international. Nos politiques aveugles au monde seraient bien inspirés d’en prendre graine
Naval Group et le gouvernement auraient dû entendre et prendre au sérieux les attaques contre l’accord, qui ont débuté dès la signature de celui-ci en 2016 et qui se sont intensifiées à partir de fin 2020. En laissant les opposants au contrat dérouler leurs arguments, les Français ont in fine contribué à la victoire de ceux-ci. Il est vrai que le gouvernement australien ne laissait rien transparaître publiquement : en août dernier, les Australiens se disaient satisfaits du programme. Mais c’est aussi une logique commerciale habituelle que de ne pas dire à son fournisseur que l’on négocie avec quelqu’un d’autre.
Cette aventure restera dans les annales de la guerre économique comme une déroute qui a été amorcée bien en amont. Les groupes français doivent tirer les leçons de cet échec en prenant davantage au sérieux la guerre et l’intelligence économique. Il est urgent pour l’entreprise de revoir sa politique d’intelligence économique et, pour le gouvernement français, d’opérer une réorganisation des services économiques des ambassades, c’est le moins qu’il puisse faire, pour comprendre Il était peu probable que les français fournissent un outil supérieur au niveau régional et que l’Australie avait également un programme ne répondant pas aux exigences en matière de construction locale et de capacité industrielle souveraine. Une grande partie du travail aurait été réalisée en France, avec un faible retour pour l’industrie australienne.
L’Australie, à l’anglo-saxonne, est passée au plan B, sans état d’âme.
La chaudière nucléaire a l’avantage de faire aller plus vite et de disposer d’une bien plus grande autonomie que les moteurs thermiques, ce qui permet de lutter contre « la tyrannie de la distance » d’un espace océanique très vaste en s’intégrant ainsi dans une relation militaire plus étroite, avec les cousins américains, pour contrôler l’espace indo-pacifique.
Clair, précis, simple, à lire… surtout pour nos jeunes pousses, ing. de l’énergie (dont électrotech.).
REX 1970-80 ; jeunes ing., nous n’avions pas ce texte si clair sous la main, d’où, nombre de pertes d’énergies, et d’industries !!!
Dans les années 80 on a sciemment fermé notre industrie électronique. Ce qui fait que tout nos systèmes d’armes sont basés sur des composants américains. Comme si cela ne suffisait pas, on leur a vendu l’entreprise qui fabrique les turbines de nos sous marins. Les pleurnicheries des politiques n’intéresse qu’eux-mêmes.
Pour Alex:
EDF et GE entrent en négociations pour le rachat par la France de l’activité nucléaire
L’activité nucléaire française d’Alstom, pour les centrales, avait été rachetée en 2014 par les Américains. Le rachat par EDF signerait un retour sous pavillon français de cette technologie. Mais des points restent à préciser, notamment le périmètre de la vente.