La multinationale Procter & Gamble s’est engagée à réduire son impact sur l’environnement avec un bilan zéro émission carbone d’ici 2040. Cette attitude volontariste des entreprises est-elle plus à même de changer les choses que les discours politiques ?
Atlantico : Procter & Gamble promet un bilan zéro émission carbone d’ici 2040. Quelles sont les grandes lignes de son plan ? A quel point est-il ambitieux ?
Christian Gollier : Procter & Gamble émet du CO2 dans de nombreux secteurs de ses activités. Lorsque l’on produit du papier toilette, on coupe du bois pour faire de la pâte à papier et elle est transformée en rouleau puis il se dissout avec le temps et renvoie du CO2 dans l’atmosphère. Si on s’arrête là, la production de papier toilette produit du CO2.
Leur stratégie actuelle consiste à replanter assez d’arbres pour remplacer ceux qu’ils coupent pour faire du papier toilette. Mais, il faut de l’énergie pour produire et remplacer les arbres. Ils annoncent alors que cette énergie est essentiellement décarbonée grâce à de l’énergie verte.
Leur plan de zéro émission nette en 2040 est très ambitieux et mieux que celui prévu dans l’Union européenne. De ce point de vue-là, s’ils réussissent, ils sont plus ambitieux que tous les pays ayant annoncé une ambition pour 2050. Certains chefs d’entreprise ont une vraie vision, volonté d’être responsables vis-à-vis de la planète et du climat. Ils sont prêts à subir des coûts et baisser la rentabilité de leur entreprise car ils ont le sens des responsabilités, mais la plupart des sociétés n’ont pas cette sensibilisation. La question est de savoir si les actionnaires sont parties prenantes du projet et prêts à accepter les sacrifices sur la rentabilité pour être plus responsables. Réduire ses émissions de 10 ou 20% n’est pas complexe, mais réduire de 100% les émissions est très difficile. Dans le cas de Procter & Gamble, lls veulent réduire les émissions de production et l’utilisation des consommateurs de leurs produits.
Loïk Le Floch-Prigent : La réponse de cette grande entreprise à ceux qui lui demandent « d’agir pour le climat » est passionnante car elle dit quelques vérités fondamentales. La première c’est que réaliser une baisse des émissions directes (usines et bureaux), et des émissions de l’énergie utilisée est assez simple et déjà fortement engagé chez Procter & Gamble, mais que le vrai problème est celui de la chaîne de valeur depuis les matériaux utilisés jusqu’au recyclage et que là il faut miser sur l’innovation car les solutions n’existent pas. C’est un grand camouflet aux gouvernements et à l’écologie politique qui ont tendance à jouer au « faut qu’on, y’a qu’à ». La seconde c’est que, parmi les chiffres avancés par P & G, il y a celui des émissions effectuées par les utilisateurs de leurs produits, 83,3% des émissions totales ! La troisième c’est que la lutte contre la déforestation doit être féroce car la forêt absorbe une grande quantité du gaz carbonique émis. Son ambition réside dans l’acceptation de faire des progrès considérables dans des domaines qui ne dépendent pas de son activité et donc de pousser consommateurs finaux et sous-traitants à trouver des solutions. Par exemple leurs produits sont transportés et il n’y a pas de solution actuelle à zéro émission carbone dans le transport ! Il n’y en a pas non plus dans le recyclage de bon nombre de leurs emballages et ainsi de suite. On peut discuter leurs chiffres mais il est difficile de contester leur volonté et leur désir de transparence : ce sont leurs clients qui polluent le plus et il va falloir les éduquer… Vaste programme !
En s’attaquant aux émissions dites de « Scope 3″, alors même que les moyens techniques n’existent pas encore de l’aveu d’une des responsables de l’entreprise. Est-ce une ambition qui va inciter à être proactive ?
Christian Gollier : Lorsque l’on est PDG, on a la main sur son processus de production, cela correspond au « Scope 1 » et l’on contrôle sur ce que l’on fabrique avec les produits utilisés. Avec le « Scope 2 », on intègre les émissions de CO2 qui sont induites par l’énergie utilisée dans la « supply chain », si l’on consomme de l’électricité on va regarder les émissions de CO2 engendrées par la production de kWh consommée. Le « Scope 3 » rajoute l’offre et on regarde la consommation de CO2 de la consommation de nos produits. Si on regarde Total, l’entreprise explose son budget carbone avec la vente de produits pétroliers et on ne peut pas vérifier le véhicule utilisé qui brûle le pétrole.
Si Procter & Gamble arrive à zéro émission nette sur l’ensemble de la chaîne c’est très ambitieux. Il y a une chance pour que l’entreprise soit vraiment prête à sacrifier une partie de ses profits pour affronter ses responsabilités envers les générations futures. Si Procter & Gamble agit d’une telle manière c’est parce que les États n’ont pas fait leur travail.
Loïk Le Floch-Prigent : Comme vous pouvez le comprendre, Scope 1 ce sont leurs usines et bureaux, c’est-à-dire pour ce qui les concerne des centres de remplissage, Scope 2 c’est l’achat d’énergie où la qualification « verte » est souvent affaire de convention puisque l’électricité d’origine nucléaire est bas carbone mais considérée comme non verte par beaucoup d’écologistes politiques, Scope 3 c’est le fonds du problème non attaqué par les « verts » ! Pour Procter & Gamble, c’est l’essentiel et c’est une réalité. Et cette chaîne de production, extraction des matières premières, traitement, opérations, transport, consommation et recyclage est partout dans ses balbutiements, les politiciens n’ayant, en général, pas la connaissance de l’origine des produits dont ils méprisent ou sanctifient l’usage et une ignorance abyssale des conditions du recyclage. Les cimetières de pales d’éoliennes (non recyclables) qui commencent à se répandre dans tous les pays illustrent parfaitement cette méconnaissance des réalités. Les documents de P & G montrent que la compagnie ne met aucun problème de côté, il va falloir mobiliser un très grand nombre d’acteurs, scientifiques, techniciens, industriels, petits et grands, pour arriver à imaginer des solutions à des difficultés aujourd’hui insolubles. C’est la manifestation d’une grande confiance dans l’ingéniosité humaine et dans sa capacité à concevoir et produire en vingt ans de véritables nouvelles révolutions ! Arriveront-ils, réussiront-ils ? On verra puisqu’ils veulent faire déjà la moitié du chemin en 2030, mais sans ambition et l’engagement de moyens on ne peut pas avancer. Les intentions c’est du « green washing », les réalisations c’est autre chose, les intentions sont là mais suffiront-elles ?