Si le paquet législatif envisagé par Bruxelles relève de la vraie ambition bien calibrée les États membres de l’Union agiront-ils tous de consorts pour appliquer ces mesures ?
Atlantico : Le package législatif fit-for-55 va être présenté au parlement européen le 14 juillet prochain. Quelles sont les mesures qui composent cet ensemble s’inscrivant dans le green new deal ? Lesquelles sont les plus pertinentes ? Lesquelles le sont moins ou pas du tout ?
Loïk Le Floch-Prigent : Les mesures « fit 55 » telles qu’elles semblent prévues dans le texte de la Commission Européenne du 14 juillet prochain relèvent de la technocratie bureaucratique indigeste pour les millions d’Européens qui vont subir les conséquences de décisions sans pouvoir les comprendre à défaut de pouvoir les voter. La plus claire est la mesure automobile qui prévoit de fait l’arrêt de la construction de véhicules thermiques (diesel ou essence) en 2035 et non plus en 2040. La plus folle est incontestablement la décision de modifier les règles concernant l’acier et l’aluminium dans un contexte post-covid de renchérissement considérable de ces deux produits en Europe accompagné d’un début de pénurie stoppant net certaines entreprises industrielles . L’élaboration de ce programme est hors -sol , réalisé par des obsédés du CO2 qui n’ont visiblement aucune idée des problèmes rencontrés par l’industrie européenne avec la disparition déjà de plusieurs centaines de milliers d’emplois dans l’automobile et d’angoisse du lendemain chez tous les transformateurs de métaux.
Mais ce qui doit déclencher des réactions de rires c’est la taxation souhaitée sur le kérosène alors qu’il n’y a pas d’alternative et que l’on exonère les jets privés et les avions cargos. Les politiques qui doivent passer un jour devant les électeurs ont au moins une corde de rappel pour éviter les trop grosses âneries, les personnels administratifs non élus peuvent nager en Absurdie sans danger .
Samuel Furfari : Le green new deal avait déjà posé le cadre de ce qu’ils voulaient proposer, et maintenant, ils devront le convertir en texte législatif. On donne un cadre, une proposition, et puis en fonction de l’accord du parlement et du conseil, elles sont déclinées en des textes législatifs. Donc ce qui va sortir mercredi, c’est toute une série de nouvelles propositions de directives européennes qui vont être négociées au parlement et au Conseil européen qui seront ensuite transposées dans les états membres, et tout cela en trois ans. L’opération prendra du temps, au minimum 2 ans pour les objectifs les plus simples.
Fit-for-55 propose des mesures pour la promotion des énergies renouvelables, pour la promotion de l’efficacité énergétique en général (diminuer la consommation), et des mesures pour l’abattement des émissions de CO2 dans quasiment tous les secteurs, dont ceux où il n’y avait même pas encore d’activité. Dans le secteur domestique, ces mesures législatives auront effet d’essayer de faire consommer moins d’énergie pour se chauffer. Idem avec les véhicules thermiques, les vols internes et le maritime. Ou encore, des taxes CO2 pour des produits manufacturés de l’étranger.
Toute notre vie dépend des émissions de CO2, et l’énergie permet la vie, ces restrictions vont donc toucher tous les aspects de notre vie, du matin au soir, tout sera sujet aux directives.
Il y a aussi le fait de ressasser tout le temps les mêmes choses. Par exemple, la directive sur le bâtiment, la première date de 2002, il y a donc 19 ans que cette directive existe. Mais ça n’a jamais marché, elle fut modifiée par deux fois, et sera modifiée une autre nouvelle fois. Vous pensez bien qu’un propriétaire ne va pas démolir sa maison à cause d’une directive sur les émissions CO2. Une maison ça a une durée de vie d’environ un siècle, donc nous les démolirons dans un siècle et pas avant. De ce fait, les émissions dans le bâtiment ne vont pas évoluer. On peut mettre du double vitrage, ou isoler son grenier certes, mais ces innovations datent des années 70, rien de nouveau donc.
Ils proposent des mesures sans aucune nouveauté.
Atlantico : Se dirige-t-on vers des propositions imposant des contraintes environnementales ou seront-elles seulement sous forme de conseils et recommandations pour les États membres de l’union européenne ?
Loïk Le Floch-Prigent : Le drame pour notre pays qui se veut toujours le bon élève c’est que ces propositions vont être considérées comme des conseils ou avis pour la plupart de nos partenaires, mais que nous sommes certains que nos fonctionnaires vont les prendre comme des ordres à portée immédiate bousculant encore plus les situations précaires de bon nombre de secteurs économiques. Bien évidemment certains pays seront bien incapables de répondre aux souhaits de la Commission : si nous avions l’humilité de dire que c’est le cas pour nous, nous sauverions beaucoup d’entreprises !
Samuel Furfari : Le plus flagrant, c’est que ce sont toutes des mesures législatives contraignantes et fiscales, il n’y a rien sur la technologie. Il y a 40 ans que nous cherchons sans aucune innovation. Nous n’avons pas inventé la transition à cause du changement climatique et de la lutte contre les émissions de CO2, on a inventé la volonté de réduire nos consommations d’énergie à partir des crises pétrolières des années 70. À l’époque, les gens ont eu peur, et ils se sont mis à chercher des solutions. La Commission européenne fut pionnière dès 1974 pour trouver des solutions dans le domaine. Aujourd’hui, 47 ans plus tard, on constate que la technologie n’est plus inventée, nous sommes sans solutions, la seule restante étant les taxes.
Ici, nous serons sur des mesures contraignantes pour les états si elles sont adoptées. Toutefois, entre la proposition de la commission et le vote, il y aura énormément de discussions. Et lorsqu’il faudra payer, on fera des calculs. Je crois que nous en aurons pour quelque temps de discussions entre marchands de tapis au parlement et Conseil européen. Ce n’est pas demain que les gens seront heureux de payer d’énormes taxes.
Atlantico : Sans obligation, la commission peut-elle proposer autre chose que de l’affichage politique ? Les multiples intérêts divergents inhérents aux différences économiques entre les pays rendent-ils impossible toute action concrète ?
Loïk Le Floch-Prigent : Il s’agit en fait d’une pièce de théâtre dont les principaux acteurs sont exclus. Les peuples ne sont pas invités dans la salle, ce sont les sachants qui veulent décider de notre marche vers le bonheur ! Mais toutes ces prétendues avancées coutent très cher et on va essayer ici ou là de faire marcher une économie verte illusoire avec des jeux de contraintes et de subventions en s’appuyant sur les textes qui vont sortir le 14 Juillet . Les populations ne sont pas averties que les décisions , toutes les décisions, augmentent les prix des produits, des transports, des infrastructures, que l’on organise ainsi une ponction sur leurs revenus …mais pour leur bien . Les différences entre les pays rendent inopérantes la plupart des attendus du 14 Juillet, mais l’esprit technocratique qui les anime va rendre plus difficile la vie des européens qui ne comprendront pas d’où cela est venu.
Samuel Furfari : Ce n’est pas nécessairement à cause d’intérêts divergents, mais plutôt à cause de la dure réalité. Allez dire à un Slovaque, un Grec ou un Bulgare qu’il paiera bien plus cher son essence parce que la commission veut réduire de 55 % les émissions, les gens feront le calcul de leurs coûts personnels.
Tout cela coûte cher, et c’est toujours la même rengaine. En décembre 1993, Jacques Delors avait publié un livre blanc intitulé « Croissance, compétitivité et emploi » dans lequel il justifiait des taxes carbone pour lutter contre les émissions de CO2 et créer de la croissance. Cela fait maintenant 28 ans, et nous sommes nul part.
Il y a une différence entre annoncer, et oser affronter la rue devant des taxes qui vont exploser. Nous ne devrons plus parler de Gilets jaunes, mais de Garde-robes jaunes, il ne faudra plus qu’un petit gilet, et pas seulement en France où nous verrons des révoltes. L’Europe est en train de s’enfoncer dans l’éloignement vis-à-vis de leurs citoyens, ces derniers aimaient bien l’Europe quand on faisait de l’Erasmus, que l’on pouvait aller d’un endroit à l’autre sans devoir présenter sa carte d’identité, que l’on était libre de ses déplacements. À présent, l’Europe sera les taxes.
Atlantico : De quoi l’Europe aurait-elle réellement besoin pour réduire ses émissions carbonées dans les trente prochaines années ?
Loïk Le Floch-Prigent : Si l’on voulait vraiment diminuer les émissions de gaz à effet de serre, on commencerait par mettre à sa juste place le CO2 indispensable à la vie, et parler également du méthane et des oxydes d’azote. Ensuite on calculerait les responsabilités de l’Union Européenne sur ces émissions et celles d’autres contrées comme l’Inde ou la Chine. On observerait alors qu’en leur confiant le rôle de « manufacture » ces dernières décennies nous avons aggravé à la fois les émissions de gaz à effet de serre dans le monde mais aussi fragilisé nos chaines de valeurs industrielles : nous vivons en pénurie potentielle sur un grand nombre de biens essentiels. Plutôt de continuer à nous regarder le nombril et à désespérer l’industrie de notre continent, on pourrait alors reconsidérer notre programme actuel de décroissance de la production et bâtir un projet de baisse tendancielle de nos émissions en excluant les produits manufacturés de l’extérieur « riches en gaz à effet de serre ». Plutôt que de dire un jour « la solution c’est le véhicule électrique » et le lendemain » c’est l’hydrogène » regardons avec les professionnels comment réduire et non pas « décarboner « à horizon défini . Cette culpabilité permanente conduisant à des promesses insoutenables, destinées à nous faire tous périr, devient insupportable. Essayons plutôt de marcher dans la croissance vers une économie plus durable et plus propre, évitant les gaspillages et les désordres environnementaux. C’est possible si on reste dans la vie réelle et si on abandonne la vue des communicants qui nous mentent en nous présentant un monde parfait -mais en Europe seulement- en 2035. Seuls les gogos peuvent les croire.
Samuel Furfari : Nous devons impérativement redimensionner ce problème, il n’y a que l’Europe qui s’est mis une corde au cou. Pourquoi l’Europe doit-elle jouer le chevalier blanc pour sauver la planète alors que les autres ne font strictement rien ? Depuis qu’on dit qu’il faut diminuer les émissions de CO2, ces dernières ont augmenté de 58 %.
Donc si les Japonais, les Chinois, les Indiens et les Russes ne suivent pas, pourquoi faudrait-il tuer notre économie, imposer des taxes et empêcher notre liberté, alors qu’ailleurs, rien ne change ?
Aussi, il faudrait laisser du temps au temps. Depuis 1992, nous n’arrivons pas à réduire nos émissions de CO2, alors maintenant pourquoi faut-il se précipiter ? Je rappelle aussi que de 1990 à 2020, donc sur 30 ans, nous avons réduit nos émissions d’environ 20 %. À présent, sur les 9 dernières années restantes jusqu’à 2030, il faudrait les réduire jusqu’à 55 %, ce n’est pas sérieux.
Finalement, si nous voulons réduire nos émissions de CO2, il y a une situation immédiate : l’énergie nucléaire. C’est la seule énergie abondante qui produit de l’électricité massivement sans émissions carbonées. Cependant, promouvoir le nucléaire est tabou, on perçoit là bien toutes les contradictions, où l’intérêt est de taxer. Aussi, ils veulent promouvoir les énergies « renouvelables » ; éolien, solaire. Sans bien sûr aborder l’hydro-électricité. Depuis les chocs pétroliers des années 70, l’énergie solaire et éolienne représente 2,5 % de notre consommation d’énergie primaire, et depuis 2000, nous avons dépensé plus de 1 000 milliards d’euros pour financer ces 2,5 %, ce n’est pas sérieux.
Les pères fondateurs de l’Union européenne, en 1955, ont déclaré qu’il n’y aurait pas d’avenir sans énergie abondante et bon marché.