Après le décès du président Idriss Déby, au pouvoir depuis trente ans, le Tchad est plongé dans l’incertitude. Son fils, Mahamat Idriss Déby, est dorénavant à la tête du pays et préside désormais le Comité Militaire de Transition. Loïk Le Floch-Prigent décryptage la stratégie de la France vis-à-vis de la situation politique et militaire au Tchad et dans la région.
Les réactions des démocraties, et en particulier celle de la France, ont de quoi surprendre après la mort du Président Idriss Deby du Tchad remplacé immédiatement par son fils à la tête d’un Conseil Militaire de Transition -CMT- décidant de la suspension de la Constitution du pays. Le Président Français, présent aux obsèques du dirigeant défunt a « pris acte » de ce Coup d’Etat tout en demandant au CMT de faire de la place à « l’ensemble des enfants du Tchad ». On attend encore les commentaires des uns et des autres, défenseurs des valeurs de la République, de la démocratie, tandis que les oppositions locales se désespèrent de cet abandon en rase campagne des défenseurs des peuples, de leurs droits et de la nécessité de suivre leur expression.
Certes, en Afrique, après avoir célébré la nécessité des indépendances pour que les nations disposent d’elles-mêmes, les démocraties ont fini par s’habituer aux élections truquées avec les « Commissions électorales indépendantes » (sic) reconduisant avec des scores confortables les Présidents déjà élus. Le dernier mandat du Président autocrate du Tchad n’avait pas dérogé à cet aveuglement, et personne ne s’était ému en France des divagations et des incohérences du candidat Président pas plus que dans les autres Etats comme le Congo-Brazzaville. Devenus sourds aux désirs des peuples d’avoir un espoir d’une alternance, les régimes démocratiques ont fini par souhaiter une stabilité désormais inscrite dans l’absence de volonté de porter attention à l’élaboration des listes électorales et aux conditions des votes comme de leur dépouillement. Il est vrai qu’écouter les peuples est souvent ravageur et qu’un dictateur poli est souvent une sécurité pour les voisins.
On nous dira sans doute que cette évolution est celle de la « real politique » et qu’elle est sans doute meilleure que la volonté interventionniste qui a conduit à la chute de Saddam Hussein, à celle de Kadhafi et à la tentative manquée de déboulonner Bachar El -Assad. La doctrine de faire le bien des peuples malgré eux en investissant militairement les pays où règnent des dictateurs n’a pas eu le succès attendu et il est sans doute inutile de persister. D’ailleurs la présence militaire longue demandée par certains Etats transforme vite les armées amies en forces d’occupation et ne finit jamais très bien comme la France le constate dans les pays Africains où elle intervient aujourd’hui.
Devant ce putsch « héréditaire » assez inattendu le réflexe démocratique est de constater que le décès du dirigeant étant prévu par la Constitution, celle-ci n’est pas suivie et de s’en étonner. C’est d’ailleurs la position récente qui avait été prise sur le Mali ! On a suffisamment déploré officiellement des manquements à la démocratie chez ceux qui s’en réclamaient pour ne pas faire une exception alors qu’il s’agit d’un pays ami, francophone, dans lequel notre armée est présente. Que peuvent comprendre les peuples africains abreuvés des grands principes défendus par notre République Française si cette expression évidente n’est même pas esquissée, et peut-on attendre autre chose d’eux qu’une recrudescence du « French Bashing » ambiant d’une attitude aussi timide ! Nous avons bien soutenu les oppositions lors des voyages Présidentiels en Union Soviétique, nous avons encore récemment considéré que Monsieur Poutine ne se comportait pas correctement avec son opposant déclaré et emprisonné Navalny. Notre tradition est de ne pas avoir notre langue dans notre poche et de dire les choses conformément à notre philosophie du droit des peuples à s’exprimer et à décider. Cependant la Russie organise des scrutins qui conduisent régulièrement son dirigeant à un pouvoir légitime sans que soient contestés les organisations des scrutins ! Il fallait donc rappeler ces principes comme tous les Présidents de la République l’ont fait dans le passé , en particulier en Afrique pour contester l’apartheid en Afrique du Sud.
Mais il est clair que, si la population Tchadienne laisse faire la junte comme dans d’autres pays africains, il est inutile d’aller plus loin, simplement il faut rappeler à cette occasion que notre présence militaire a été bâtie dans le cadre d’une défense de l’intégrité du pays et non d’un régime car on ne sait pas comment la situation peut évoluer et nous pourrions ne pas être préparés aux conséquences d’un décès prématuré dans un pays compliqué. Autrement dit nous sommes là pour soutenir un peuple dont les voisins, en particulier la Libye d’autrefois, souhaitait la disparition, mais il sera difficile de prendre parti dans une guerre civile qui semble ne pas être un cas d’école. Notre intérêt est clairement défini, nous ne souhaitons pas l’instauration d’un Etat Islamiste ou Islamique qui soit une menace à la fois pour ses voisins et pour notre pays comme nous l’avons vécu avec Daesch, et les soldats Tchadiens ont été nos meilleurs alliés pour combattre les tentatives d’organisation de cette mouvance dans cette partie de l’Afrique.
Si cette clarté à la fois dans notre vocation à défendre nos valeurs démocratiques et dans l’expression des raisons de notre présence au Tchad est nécessaire, c’est que les évènements qui ont conduit à la disparition du Chef de l’Etat n’ont pas encore été élucidés. Idriss Deby était bien connu comme combattant éclairé par ses professeurs militaires, les généraux de notre pays qui lui ont enseigné l’art de la guerre et ont toujours eu des relations fraternelles avec lui. C’était donc un militaire avisé qui avait fait ses preuves. Le traquenard qui a conduit à sa mort et à celle de son chef d’Etat-Major ainsi que celle de nombreux autres officiers ne peut pas avoir été ignoré de certains de ses proches. L’armée Tchadienne a comme ossature son ethnie, Zaghawa, et c’est même un quasi-monopole. Les arabes au Nord du pays et les chrétiens -animistes du Sud du pays sont en large part exclus à la fois de la fonction militaire et de la direction effective du pays. Les opposants au régime actuel, ou du moins leurs chefs, sont également de cette tribu, ce sont les fameux « rebelles » que le Général-Président poursuivait et pour certains des parents. L’aide dont ils paraissent disposer est importante, des véhicules blindés sont apparus sur les écrans avec des armes modernes généralement à la disposition des Etats eux-mêmes. Il sera sans doute facile de définir ces colonnes comme des partisans des totalitaristes islamiques, mais si le conflit persiste c’est en fait une bagarre de plusieurs années entre deux clans irréductibles de musulmans Zaghawas à laquelle nous avons déjà eu le tort dans le passé de nous mêler. Il eut été plus judicieux, ici comme au Congo-Brazzaville, au Gabon, en Cote d’Ivoire, au Mali et dans beaucoup d’autres pays francophones de demander aux dirigeants de laisser de coté les considérations ethniques dans l’exercice du pouvoir. Mais pour cela il faut s’arrimer à des gens de terrain qui ont semble-t-il disparu des centres de décision.
Réaffirmer notre foi dans la démocratie, la redéfinir à l’occasion des coups d’Etats n’est donc pas un luxe inutile, c’est d’abord ce que les peuples africains attendent de la République Française et non des petites phrases et des petits calculs finalement assez médiocres.