L’année 2020 est désormais indissociable de la Covid, c’est-à-dire de la priorité sanitaire à l’échelle nationale et au-delà. Chaque pays a tenté de concilier la poursuite de son activité économique tout en protégeant sa population et pour notre pays cela a été l’occasion de constater la méconnaissance profonde des gouvernants et de la population des réalités de l’industrie française, de ses problèmes, de son fonctionnement…les années précédentes on la voyait dépérir, on expliquait en général son déclin par la mondialisation et son inadaptation. Mais pour ceux qui acceptent de regarder on peut aussi observer l’inadaptation de notre système de santé et plus généralement de notre administration dans la gestion de crise, comme une illustration d’un best-seller de 1976 écrit par Alain Peyrefitte « le mal français ».
La contamination rapide d’un virus qui a franchi la distance qui nous sépare de l’Asie a d’abord pris tout le monde par surprise, rien n’était prêt pour l’accueillir, ni les masques, ni les respirateurs, ni les lits de réanimation, et par la suite les tests. On s’est alors aperçu que l’industrie des masques avait quasiment disparu de notre pays, comme celle des respirateurs et que les coupes budgétaires dans les hôpitaux, la compression du nombre de médecins libéraux mettaient notre pays en danger de ne pouvoir prendre en charge les malades. L’idée de s’interroger sur les possibilités de l’industrie française n’est venue à personne et dans le plus grand désordre l’administration s’est rendue compte que les réserves de masques n’existaient pas non plus et a conclu à leur inutilité. L’organisation des achats, bien maitrisée par l’industrie, n’a pas non plus été sollicitée et les industriels qui voulaient protéger leur personnel en ont souvent été empêchés, tandis que des innovateurs de matériel de respiration étaient éconduits. Ni les gouvernants, ni leurs administrations, ni les commentateurs et les médecins attirés par la prise de parole à la télévision n’avaient quelque idée que ce soit de ce qui pouvait être demandé en termes de prix et de délais. Cette ignorance va être encore plus visible lorsque l’on va devoir parler médicaments et approvisionnement, principes actifs, tests et vaccins. Par exemple les travaux de recherche qui conduisent aux premiers vaccins homologués ont débuté il y a dix ans et un des leaders est un français, parti aux USA, qui a fait ses premières armes à l’Institut Mérieux de Lyon. Ce sont les choix idéologiques de la France qui ont conduit à ne pas miser sur les biotechnologies et à accuser un retard consternant alors que nous étions les pionniers des vaccins. De même c’est depuis vingt ans que les principes actifs déménagent vers l’Asie…
L’affolement pandémique conduit alors à lancer dans le domaine économique des recommandations de protection en valorisant la peur pour conduire une majorité de travailleurs vers le télétravail et le chômage partiel. On assène quotidiennement dans la communication gouvernementale et les actes administratifs la nécessité de réduire les activités comme la vertu ultime. Des grandes entreprises déjà en difficulté se précipitent sur cette aubaine et le tissu industriel se délite à grande vitesse, le BTP s’arrête (contrairement à tous les autres pays) et le secteur industriel connait plusieurs mois d’enfer dans l’incompréhension complète de la population. N’arrivant jamais à distinguer l’industrie des autres activités, ni d’ailleurs les régions les unes des autres, on précipite des entreprises disposant encore d’un carnet de commandes dans un arrêt absurde qui a un effet d’entrainement sur l’écosystème. Contemplant le champ de ruines en train de se réaliser, on invente rapidement le PGE, prêt garanti par l’Etat, qui préserve la vie en soutenant la trésorerie. Mais le bon diagnostic aurait été de constater que c’est de capital que les entreprises encore vivantes avaient besoin et par conséquent de fonds propres…encore une mauvaise connaissance de la réalité. Beaucoup de sociétés ont vacillé, mais l’industrie pouvait toujours s’en remettre si le carnet de commandes ressuscitait et si l’écosystème avait pu se reconstituer. La sélection entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas est alors mutilante et la reprise « déconfinée » se passe mal. Les gouvernants annoncent donc un plan de relance par l’offre dans un secteur industriel qui a horreur de l’assistanat et de la paperasserie administrative. Les professionnels de l’effet d’aubaine se précipitent et les fonctionnaires comme les gouvernants ont le sentiment de faire un travail exemplaire pour satisfaire leurs concitoyens. Ils y sont d’ailleurs aidés par des commentateurs zélés qui ajoutent des chiffres aux chiffres au point que les parlementaires demandent des « contreparties « aux entreprises. Mais encore une fois le diagnostic est erroné, l’industrie demande autre chose, les possibilités de fonctionner, pas l’aumône, elle n’a besoin ni d’aide ni d’orientation géniale des esprits supérieurs, elle souhaiterait avant tout qu’on lui permette de travailler, elle sait ce qu’elle a à faire.
L’industrie n’éprouve pas la nécessité qu’on l’oblige à se numériser, à se robotiser, à s’automatiser, pas plus qu’ à respecter l’environnement ou à protéger ses salariés, elle n’a pas besoin de menaces non plus d’ailleurs, elle a besoin de fonds propres disponibles pour permettre sa croissance qu’elle ira chercher partout où c’est possible avec ses équipes scientifiques, techniques, industrielles et commerciales. Son problème essentiel est le niveau de taxes par rapport à la concurrence, le niveau de normes et règlementations devenu insupportable et conduisant à sa rentabilité médiocre sauf exceptions. Cette rentabilité insuffisante n’attire pas les capitaux, sauf ceux des étrangers qui veulent acheter ses techniques à bas prix pour en préparer le déménagement ultérieur. La Covid aurait pu être l’occasion de revoir la copie de la disparition progressive de l’industrie française avec un début de mesures correctives susceptibles de conduire à un retournement, une réappropriation, une relocalisation, non pas en sélectionnant un ou deux exemples dans le domaine de la santé pour faire de la communication mais en traitant le problème de fond, celui de la compétitivité avec comme conséquence l’attractivité de l’industrie nationale pour les épargnants.
On aurait pu penser que dans le plan de relance on s’inquiète en priorité du différentiel d’impôt payé par l’industrie, par exemple les taxes sur la production, plus de 70 milliards pris aux entreprises et qui n’existent à ce niveau dans aucun pays européen, équivalent à 3, 6% de marge ! Il est prévu un geste à 10 milliards l’an prochain, il reste donc encore 3 ,2% à compenser. L’énergie électrique était un de nos points forts de compétitivité, il s’érode d’année en année avec la volonté de rabaisser le nucléaire (fermeture de Fessenheim et annonces de la suite) et d’investir massivement dans l’éolien et le solaire. Pour une production dérisoire d’énergies intermittentes on a déjà augmenté de 25% l’addition électrique, ce sera avec le Plan Pour l’Electricité bientôt un doublement du prix. Le Crédit Impôt Recherche (CIR), créé en 1983, n’a toujours pas été digéré par les Inspecteurs des Finances, il s’est complexifié avec le temps et une dernière attaque a été perpétrée dans le projet de budget 2021, on ne défiscalise plus les dépenses effectuées dans les entreprises au profit des laboratoires publics, encore une érosion d’un de nos atouts incontestables. Tout ce qui nous donnait encore un avantage est supprimé ou combattu.
Les décisions individuelles prises pendant cette année 2020 vont toutes dans le même sens, la poursuite de l’abandon de nos spécificités réussies, le projet de démantèlement d’EDF (projet Hercule), l’éclatement d’Engie (créant ainsi le drame de la disparition possible de Suez), l’incapacité d’une décision sur le nucléaire conduisant, en particulier, à une indécision pour reprendre la souveraineté sur les turbo-alternateurs Arabelle cédés à General Electric, la vente de Photonis aux Américains semble-t-il arrêtée de justesse par les militaires, l’attente de décision sur la cession des Chantiers de l’Atlantique aux Italiens de Ficantieri alors qu’on projette d’y construire le prochain porte-avions… la liste est longue des petites lâchetés conduisant toutes à la poursuite de la désindustrialisation nationale. Mais plus grave encore toute l’action environnementale menée par la minorité de l’écologie politique conduit à soupçonner l’industrie et à la faire disparaitre, les normes et règlements modifiés toutes les semaines mettent les industriels dans un embarras croissant et les poussent à la délocalisation, on l’a vu dans l’automobile, dans l’énergie, mais c’est encore pire dans la chimie et la pharmacie. Les administrations se sont transformées au cours des dernières années en procureurs et on nous en promet encore plus : nos directeurs d’usines sont soumis à des contrôles tatillons de plus en plus acerbes, coupables de vouloir encore produire en France où « le glaive de la Justice s’abattra sur eux ».
L’industrie française n’a pas été aimée en 2020, elle a beaucoup souffert.
Et dans le même temps, l’administration française et son gouvernement poussent l’industrie étrangère à coup d’aides dispendieuses, y compris à l’aide de tribunaux d’exception que nous n’avions pas vus depuis Pétain, à nous vendre très cher de petites unités industrielles pour lesquelles nous ne possédons ni compétence ni filière industrielle, dont la rentabilité est extrêmement faible et qui participent à la ruine partielle des paysages français alors que le tourisme est l’une des rares industries encore debout hors effet Covid : les éoliennes terrestres ou maritimes. Est-ce qu’il y a un pilote dans l’avion ou faut-il se souvenir que « les c…, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît »?